Chine : alors que le nombre de victimes de la pollution augmente, contestataires et médias réagissent

Ces derniers mois, les protestations contre les maladies graves causées par l’industrie lourde chinoise se sont soldées par des sanctions contre les pollueurs. La fronde est orchestrée par les médias gouvernementaux dont l’État se sert pour mieux contrôler les autorités locales corrompues et les puissants industriels.

En août dernier, des résidents de la ville de Chongqing, dans la province centrale du Shaanxi, ont encerclé les gigantesques bâtiments de la première entreprise de fonderie de plomb chinoise. Un acte courageux dans un pays totalitaire. Il faut dire que les habitants étaient en colère, car les médecins de la ville s’étaient aperçus que sur les 731 enfants qu’ils avaient examinés, 615 souffraient d’empoisonnement au plomb lié à la pollution de la Dongling Lead and Zinc Smelting Company.

Le scandale a éclaté quand une petite fille de six ans, Miao Fan, s’est plainte de douleurs au ventre. « Au début, on a cru qu’elle disait ça pour ne pas aller à l’école », raconte sa mère. « On l’a quand même emmenée à l’hôpital et on s’est aperçu qu’elle avait été empoisonnée au plomb. Je n’avais jamais entendu parler de ça jusque-là et j’ai suggéré à mes amis de faire eux aussi examiner leurs enfants. »

En tout, 166 enfants ont dû été soignés dans les hôpitaux de la région. Tous habitaient à proximité de l’énorme fonderie. Après la brève manifestation du 3 août, un journal local a relaté l’affaire dans ses pages intérieures et les autorités locales ont diffusé un communiqué parfaitement insipide, déclarant que l’usine avait rejeté 1,11 tonne de plomb dans l’air et les cours d’eau de la région l’année précédente, mais qu’elle avait respecté toutes les normes nationales de sécurité environnementale.

À l’époque où Internet n’existait pas, l’affaire se serait sans doute arrêtée là. Mais elle a éveillé l’attention de journalistes de l’agence de presse d’État Xinhua Online qui ont débarqué une semaine plus tard pour enquêter. Les parents, se sentant encouragés, ont alors réitéré : ils ont encerclé la fonderie, abattu le mur, mis les bureaux à sac et démoli les machines.

L’agence de presse tenait son histoire. Sa manchette du 18 août était accompagnée d’un éditorial qui posait la question suivante : « Si les normes de pollution ont été respectées, comment se fait-il qu’il y ait des empoisonnements au plomb ? » Quelques jours plus tard, l’usine a été fermée et l’affaire Dongling a entraîné une réaction en chaîne à travers le pays : un nombre croissant d’habitants s’est mis à protester contre les fonderies et les mines, et les journalistes chinois se sont davantage risqués à relayer l’information.

Si tout ceci s’était produit dans un pays occidental, il n’y aurait rien d’extraordinaire à ce que des événements comme ceux de Chongqing fassent la une des médias. Mais en Chine, c’est quelque chose de nouveau, fait remarquer Qian Gang, journaliste chinois reconnu qui a étudié la façon dont cette histoire a pris de l’ampleur pour le compte de China Media Project, un groupe de recherche de l’université de Hongkong. Les grands médias du parti communiste, tels que l’agence Xinhua, se mettent à relater des affaires liées à l’environnement, déclare Qian Gang. « Ils prennent désormais l’initiative. » Et, de tous les médias chinois, ils s’avèrent être « les plus acharnés, à la fois pour révéler des faits et pour émettre des critiques virulentes ».

Pourquoi un tel phénomène ? Par le passé, les médias du Parti ont toujours soutenu les officiels et couvert les scandales et les méfaits. Si une telle affaire avait dû être divulguée, cela aurait sans doute été le fait de médias privés. Mais Qian Gang fait remarquer qu’en Chine, aujourd’hui, les autorités centrales se servent souvent des médias pour contrôler des autorités locales quelque peu rétives ou de puissantes entreprises. Il ajoute que c’est aussi un moyen pour elles de canaliser le mécontentement de la population, ce qu’on appelle en chinois « yulun jiandu » ou « contrôle par l’opinion publique ».

À la suite du tremblement de terre dans le Sichuan, en 2008, qui a constitué un tournant pour le journalisme en Chine, le président Hu Jintao a défini sa nouvelle politique médiatique, selon laquelle les médias du Parti devaient renforcer ce qu’il a appelé « la canalisation de l’opinion publique ». Dans les médias chinois, on appelle cela « s’emparer du micro ». C’est une politique qui permet aux autorités de contrôler de près les médias privés tout en accordant des privilèges aux médias du Parti, y compris l’autorisation de mener des enquêtes.

Du fait de la pression qui a suivi les reportages de l’agence Xinhua, l’usine Dongling a fermé et onze responsables locaux de la santé publique ont été sanctionnés. Les autorités ont en outre distribué des aliments qui aident à évacuer le plomb, tels que de la laitue de mer, de l’ail, du thé Wulong et des algues.

La Chine, qui enregistre la croissance économique la plus élevée de la planète depuis 20 ans, est un des pays les plus pollués au monde. Mais elle est aussi en train de devenir l’épicentre de l’action citoyenne concernant les problèmes de santé et d’environnement dus à l’industrialisation. En 2008, la colère a grondé un peu partout en Chine à cause de la présence de toxines dans la nourriture et certains autres produits. Mais ces derniers mois, l’attention s’est déplacée vers la pollution environnementale à proximité des installations minières et industrielles. Et les médias chinois, avec à leur tête d’anciens responsables de la propagande du Parti, divulguent les scandales à travers tout le pays, voire dans le monde entier.

Parmi les problèmes existants, beaucoup rappellent ceux que l’Europe et l’Amérique du Nord ont connus par le passé, et plus particulièrement la découverte d’intoxications liées à coup sûr à des métaux lourds comme le plomb. Les symptômes de ces intoxications vont des douleurs abdominales et des maux de tête à une anémie et un développement neurologique anormal chez les enfants. Dans les cas les plus graves, cela peut même aller jusqu’au coma et à la mort.

À ce jour, en Chine, les protestations et les enquêtes des médias ont entraîné la fermeture d’un certain nombre d’usines. Mais la population ne va sans doute pas en rester là, d’autant plus que les autorités cherchent à savoir où résident les risques et comment les combattre.

Quelques jours après que l’affaire très médiatisée de l’usine Dongling, les autorités du Hunan, dans le sud de la Chine, ont fermé une fonderie de manganèse près de Wugang et arrêté deux responsables. Plus de 1000 personnes avaient en effet exprimé leur colère lorsque 1300 enfants étaient tombés malades, victimes là aussi d’une intoxication au plomb. Certains perdaient leurs cheveux, d’après les journalistes. L’usine n’était ouverte que depuis 15 mois. Des reporters de l’agence Xinhua ont découvert qu’elle n’avait pas reçu l’accord du bureau local de protection de l’environnement avant de démarrer.

Par la suite, la fermeture de trois fonderies a été ordonnée à Jiyuan, dans le Henan, la première région au monde productrice de métaux utilisés dans les piles. Et en septembre, des villageois ont bloqué une importante route à Fujian, dans l’est du pays. Ils entendaient protester contre le fait que 121 enfants sur les 287 examinés dans trois communautés différentes étaient atteints d’un empoisonnement au plomb probablement dû à la pollution de l’usine de piles locale. Ouverte depuis 2006 seulement, elle a arrêté sa production.

En janvier, une autre usine de piles, à Dafeng, dans la province du Jiangsu, a fermé après que 51 enfants ont été empoisonnés au plomb et sont tombés malades. Là non plus, l’usine n’avait pas reçu d’autorisation. Le plomb n’est pas le seul métal à entraîner des problèmes de santé. Dans une autre affaire qui a éclaté au grand jour dans le Hunan, à l’automne dernier, les médecins ont diagnostiqué chez 509 habitants de Liuyang et Zhentou un empoisonnement au cadmium, ce qui peut provoquer des lésions aux reins et au foie et parfois même des cancers. Deux résidents étaient déjà morts quand l’affaire a été découverte. Les habitants accusaient l’usine Changsha Xianghe, qui avait ouvert en 2003 et fabriquait du sulfate de zinc, un additif utilisé dans la nutrition animale.

Les risques liés à l’usine Changsha étaient tout sauf inconnus. En 2000, les autorités américaines avaient en effet interdit l’importation d’engrais chinois à base de zinc après avoir découvert qu’ils étaient contaminés au cadmium. Mais selon l’agence Xinhua, l’usine, sans le moindre scrupule, rejetait depuis longtemps des déchets industriels contenant ce métal dans les cours d’eau où les villageois puisaient pour irriguer leurs cultures.

Dans les zones minières également, on perçoit de plus en plus les métaux tels que le plomb, le cadmium et le zinc comme des menaces pour la santé et l’environnement. Dans le sud du Guangdong, où les cours d’eau deviennent oranges et blancs du fait de la contamination, certains journalistes chinois parlent désormais de « villages à cancer ».

Ainsi, en 2009, la mine de Dabaoshan, propriété de l’État, a fait l’objet d’attaques, car elle rejetait des eaux acides chargées de métaux comme le cadmium dans le fleuve Hengshi, une importante voie navigable dans la région, y tuant toute vie ou presque. Les villageois qui vivent à proximité ont leurs puits remplis de cette eau contaminée par le cadmium et le zinc, une eau qu’ils boivent et utilisent pour irriguer leurs rizières. En 2009 toujours, une étude menée par Ping Zhuang, du South China Botanical Garden, qui dépend de l’Académie chinoise des Sciences de Canton, a confirmé que les rizières et la nourriture locale renfermaient des traces de métaux à des niveaux dangereux.

Le taux de cancers du colon chez les adultes y est très élevé. D’après Qing-Song Bao, du Department of Food Safe Supervision, à Yixing, les enfants en aval de la mine présentent des taux élevés de plomb, cadmium et zinc dans le corps, ce qui entraîne selon lui une anxiété accrue, des dépressions, des problèmes sociaux, des maladies somatiques, des difficultés à se concentrer, ainsi que des comportements délinquants et agressifs.

Face à l’inquiétude croissante de la population, les autorités centrales chinoises ont lancé il y a deux ans un recensement des sources de pollution, réclamant que les 15 000 usines considérées comme polluantes, ainsi que les mines et les exploitations agricoles, soient transparentes sur leurs émissions qui dépassent souvent les limites officielles autorisées. Le gouvernement a insisté sur le fait que le but était d’évaluer et non de condamner et qu’une action en justice ne serait intentée qu’à l’encontre des entreprises qui continueraient à pratiquer la dissimulation. Les résultats du recensement ont été rendus publics en février, révélant une pollution de l’eau deux fois plus élevée que ce qui était reconnu jusque-là.

Ce recensement pourrait bien mettre à jour une affaire d’une ampleur insoupçonnée.

L’année dernière, en effet, Hu Yali, professeur de génétique à l’université de Nanjing, a déclaré aux journalistes que selon lui, la pollution de l’environnement serait responsable d’une malformation sur dix chez les nouveau-nés en Chine. Une affirmation particulièrement alarmante quand on sait que la vice-ministre en charge de la Commission nationale pour la population et le planning familial, Jiang Fan, avait annoncé que les malformations à la naissance avaient augmenté de 40 % en Chine depuis 2001. Elle avait rendu responsables les émissions des industries minières et chimiques et annoncé un nouveau programme de dépistage pour les femmes enceintes vivant dans les huit provinces les plus touchées par ces problèmes.

Mais tandis que les autorités nationales et les médias soutiennent les réformes et la transparence, au niveau local, les responsables répriment souvent les manifestations et cachent la pollution, même sous ses pires formes. L’été dernier, des militants des droits de l’homme ont annoncé que Sun Xiaodi, un défenseur de l’environnement de la province du Gansu, avait été arrêté ainsi que sa sœur et envoyé en « rééducation » après avoir parlé de problèmes de pollution dans une mine d’uranium. La législation chinoise, en théorie du moins, protège les personnes qui dénoncent des problèmes de pollution. Mais les deux personnes ont en l’occurrence été accusées de « divulguer des secrets d’État à l’étranger ».

Même à Chongqing, la clique locale semble avoir repris le dessus. La police a en effet prévenu les résidents qu’il y aurait des représailles s’ils parlaient aux médias. Certains contestataires ont été accusés d’appartenir au Falun Gong, mouvement spirituel interdit. Des responsables tenteraient même de dissuader certains médecins de pratiquer des examens sur les bébés pour déterminer s’ils sont empoisonnés au plomb.

À la fin du mois dernier, la fonderie Dongling a annoncé qu’elle allait bientôt réouvrir. Un des contestataires de la première heure, Yang Tagu, qui habite le village contaminé de Sunjianantou, a alors déclaré aux journalistes : « Ils veulent qu’on se taise quand ils redémarreront la production. » Sans doute. Mais étant donné le tout nouvel activisme de la population et des journalistes, le silence est en train de devenir une denrée de plus en plus rare en Chine aujourd’hui.

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