Refuser la fatalité dans les migrations climatiques actuelles

Les rapports sur les conséquences du changement climatique, dont ceux du GIEC, décrivent en général les petits États insulaires comme « particulièrement vulnérables aux effets des changements climatiques, élévation du niveau de la mer et évènements extrêmes » (Mimura et al. 2007 : 689). On a souligne depuis un certain temps les menaces que représente l’élévation du niveau de la mer pour l’existence même de ces États, leurs habitants étant souvent décrits comme les premiers « réfugiés climatiques » potentiels. Et aujourd’hui, les médias présentent souvent ces petits États comme des « paradis perdus » dont les citoyens seraient l’équivalent des « canaris des mines de charbon » vis-à-vis du réchauffement climatique, une image qui se trouve d’ailleurs entérinée par les discours officiels lors des négociations sur le climat.

Bien qu’il ne soit pas question de fermer les yeux sur les déplacements – bien réels – de populations suite à des problèmes environnementaux dans les petits États insulaires, décrire leurs habitants comme des réfugiés climatiques en puissance qui n’ont d’autre choix que de quitter leur pays, c’est passer à côté de la complexité des changements environnementaux et des flux migratoires. La migration est par essence un processus pluricausal qui ne doit pas être synonyme d’échec des stratégies d’adaptation locales. J’en veux pour preuve certains travaux empiriques qui ont montré que les migrants qui quittaient le fort peu élevé archipel de Tuvalu pour rejoindre la Nouvelle-Zélande le faisaient pour toutes sortes de raisons et non pas seulement en prévision des conséquences du changement climatique (Mortreux et Barnett 2008 ; Shen et Gemenne 2010). Parmi ces raisons, on trouve la perspective de mieux gagner sa vie, de pouvoir faire des études plus poussées ou celle, simplement, de rejoindre des membres de sa famille.

De plus, présenter les habitants de ces îles comme des victimes impuissantes du changement climatique peut nuire à leur résilience et à leur ingéniosité et, au bout du compte, entraver les efforts qu’ils entreprennent pour s’adapter. Les stratégies d’adaptation sur ce type d’îles sont limitées et onéreuses.

C’est le cas, par exemple, de la construction de digues, de murs de protection et même d’îles artificielles, solution qu’a adoptée le gouvernement des Maldives. Il existe cependant d’autres mesures, beaucoup moins coûteuses, qui peuvent être appliquées au niveau local. Regroupées sous l’appellation d’« adaptation communautaire », elles consistent entre autres à transformer les techniques agricoles, à diversifier les cultures ou à souscrire de petites assurances pour couvrir les pertes dues aux catastrophes climatiques. Or ce type de stratégies peut être mis à mal si les habitants de ces petits États insulaires en arrivent à se considérer comme condamnés.

C’est pourquoi la migration ne doit pas être conceptualisée sous l’angle déterministe. Elle doit au contraire être perçue comme un processus parmi d’autres auquel les migrants eux-mêmes choisissent d’avoir recours. Et, dans l’hypothèse où il ne resterait plus que cette solution, la migration devrait être programmée et organisée avec soin, l’intérêt des migrants, qu’il soit individuel ou collectif, devant passer avant tout le reste. Leurs droits politiques, leur citoyenneté ainsi que leur identité collective devraient être tout particulièrement préservés.

Autrefois, dans les mines de charbon, on utilisait des canaris pour avertir les mineurs d’un danger imminent, mais ils n’étaient guère épargnés par ce danger. Bien qu’il soit souvent fait référence à cela quand on veut parler de la menace imminente que représente le changement climatique, il se pourrait que cette image fasse plus de mal que de bien aux habitants des petits États insulaires, alors même qu’ils doivent de toute urgence adopter des mesures d’adaptation. Car dans les mines de charbon, les habitants n’étaient pas les canaris, mais les mineurs eux-mêmes.

Réfutation de l’approche déterministe des migrations environnementales depuis les petits États insulaires

par François Gemenne

Source : Courtoisie de l’auteur

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