En quoi les Européens sont-ils plus verts que les Américains ?

Un Américain rejette en moyenne trois fois plus d’émissions de CO2 qu’un Français. Une journaliste américaine qui vit en Europe nous explique comment elle a appris à aimer se servir de sa corde à linge et transpirer en été.

Il était tard et il pleuvait à Stockholm, cet été, lorsque je me suis approchée du bureau des renseignements de l’aéroport d’Arlanda afin de connaître le meilleur moyen de gagner le centre-ville. « Le plus rapide, c’est par le train, mais il y a également des bus », m’a dit l’employé.

« Est-ce qu’il y a des taxis ? », ai-je demandé, tout en essayant de chasser de mon esprit le site Internet de l’aéroport où on vous rappelle bien que le train « est le moyen de transport le moins polluant » et que les taxis sont « une alternative » pour ceux « qui sont dans l’impossibilité de prendre les transports en commun ».

« C’est une possibilité », a-t-il répondu d’un ton méprisant tout en lorgnant par-dessus son bureau sur mon seul et unique bagage.

J’ai pris un taxi en douce, j’ai payé environ 60$ et j’ai passé les 45 minutes qu’a duré le trajet à me sentir aussi coupable que si j’avais fait construire une centrale au charbon dans mon jardin. (Nota bene : les taxis à Arlanda sont des voitures hybrides.) Deux jours plus tard, en dépit du fait que mon avion décollait à 7 heures du matin, j’ai pris l’Arlanda Express. Ça m’a coûté deux fois moins cher et le trajet n’a duré que 15 minutes.

En Europe, et particulièrement dans le nord, on est bien plus acquis à la cause environnementale qu’aux États-Unis, malgré la résolution sincère et passionnée qu’ont prise les Américains de passer au vert. En 2006, les émissions de CO2 par habitant s’élevaient aux États-Unis à 19,78 tonnes selon l’Union of Concerned Scientists, alors qu’elles n’atteignaient que 9,6 tonnes au Royaume-Uni, 8,05 en Italie et 6,6 en France.

Pourquoi mes compatriotes ont-ils fait si peu de progrès dans un domaine qui signifie tant pour nombre d’entre nous ? En tant que journaliste américaine sillonnant l’Europe depuis quelques années et travaillant sur l’environnement, c’est un paradoxe qui m’a souvent interpellée.

Il y a une certaine pression sociale à se comporter de façon écologiquement responsable dans des pays comme la Suède où un tel comportement fait désormais partie du contrat social, de la même manière qu’on s’arrête au stop ou qu’on fait la queue pour acheter un billet. Mais il y a aussi le fait, plus important sans doute, que l’Europe est construite de telle manière qu’il y est facile de vivre en vert. Il faut vraiment être à la fois riche, égocentrique, inconscient et hermétique à la pression sociale pour ne pas prendre l’Arlanda Express.

Il est beaucoup plus facile en Europe de transformer ses bonnes intentions en actions. Et on se sent aussi beaucoup plus mal quand on ne le fait pas. Si tout le monde ou presque à un sac plastique à la main (comme c’est le cas à New York), ce n’est pas trop gênant. Mais si personne n’en a (comme à Dublin), on se sent complètement irresponsable.

Le problème vient en partie du fait que les États-Unis ont eu le bonheur de se développer en tant que vaste et riche territoire où l’espace pas plus que l’énergie bon marché ne manquent. Certes, nous autres Américains aimons nos parc nationaux. Mais nous vivons aussi dans un pays où les maisons sont grandes, où les voitures sont grosses, où les trajets sont longs, où l’air conditionné est partout, où les réfrigérateurs sont énormes et les congélateurs, à part, et où on utilise des sèche-linge et des rasoirs jetables.

C’est cette culture, plus que l’indifférence des Américains à l’égard de la planète, qui a donné naissance à un mode de vie où les émissions par habitant sont de loin les plus élevées du monde. Elles sont trois fois plus importantes qu’au Danemark.

Mais même en tant qu’Américain, si vous allez vivre dans un bel appartement à Rome comme je l’ai fait il y a quelques années, votre empreinte écologique va tout naturellement chuter. Ce n’est pas que les Italiens se soucient davantage de l’environnement, je ne pense pas que ce soit le cas. Mais dans un appartement chic à Rome, il n’y a ni sèche-linge, ni air conditionné, ni micro-ondes, ni eau chaude à volonté. Le chauffage n’est mis en automne qu’une fois que vous avez passé plusieurs semaines frisquettes à enfiler des pulls. Le réfrigérateur est minuscule. La voiture moyenne est petite. Une Fiat 500 a deux fois plus de kilomètres au compteur que n’importe quel véhicule hybride. Et ce n’est pas perçu comme une vie de souffrance pour autant. C’est au contraire la dolce vita.

Ce que je veux dire, c’est que l’empreinte écologique dépend des équipements qu’on utilise au quotidien, et à cet égard, les Européens ont un avantage évident. Vivre sans sèche-linge et sans air conditionné aux États-Unis, on considère que c’est difficile et que ça nécessite un sacrifice. Faire la même chose à Rome, où les appartements ont tous un balcon pour faire sécher le linge ou un séchoir, et où les bâtiments ont des murs épais et des persiennes qui protègent de la chaleur, c’est normal.

Dans de nombreux pays d’Europe, l’espace a toujours été considéré comme un luxe, ce qui a très tôt obligé les habitants à prendre davantage conscience des effets néfastes de l’homme sur la planète. Dans un petit pays comme les Pays-Bas, par exemple, on peut difficilement se débarrasser de ses ordures dans des déchetteries éloignées de chez soi, car les villes sont très proches les unes des autres. Aux États-Unis, il y a beaucoup d’espaces verts et on considère que c’est quelque chose qui doit être développé. En Europe, on cohabite avec.

En Europe, également, la construction des villes a souvent précédé l’invention de la voiture. A Londres, Barcelone ou Rome, les rues vieilles de plusieurs siècles ne sont tout simplement pas conçues pour un trafic important, ce qui est une vraie plaie, mais on apprend à vivre avec. En revanche, la plupart des villes américaines, je pense par exemple à Atlanta ou à Dallas, ont été pensées pour des habitants motorisés.

Et pourtant, je continue à être émerveillée par certaines stratégies environnementales dont j’ai pu être témoin en Europe.

Dans le vieux Zurich, par exemple, pour dissuader les habitants d’accumuler trop de déchets et réduire la quantité de détritus, le ramassage des ordures est limité depuis longtemps à une fois par semaine (contre trois dans la plupart des quartiers de New York) ; les matériaux recyclables comme le carton et le plastique sont quant à eux ramassés une fois par mois. Les habitants devant vivre plusieurs jours voire plusieurs semaines d’affilée avec leurs ordures, ils sont naturellement enclins à en produire moins. D’ailleurs, les aliments se présentent sans emballage et les téléviseurs sont vendus sans carton.

Un jour que je fouinais dans l’appartement d’une conseillère financière suisse, celle-ci m’a montré le débarras à ordures. En une semaine, elle n’en avait pas accumulé plus qu’un New Yorkais qui a pris des plats à emporter chez le chinois.

Dans le même ordre d’idées, j’ai vu en Allemagne des quartiers entiers de maisons « passives », ces habitations si savamment conçues qu’elles n’ont pas besoin de chauffage. Et aussi une banlieue chic qui avait proscrit les voitures. On pouvait certes en avoir une, mais elle devait être garée dans un parking en bordure de la ville où le prix de la place dépassait les 30 000 $ par an. Résultat : peu de gens en avaient une et quand c’était le cas, ils s’en servaient rarement pour aller faire les petites courses de tous les jours.

Dans les deux cas, il s’agissait de quartiers habités par des classes moyennes supérieures, mais j’ai été frappée par la différence entre ces quartiers en Allemagne et leurs homologues aux États-Unis. Les maisons y sont plus petites et il y a peu de pavillons. Une maison passive doit faire moins de 190 m² et avoir grosso modo la forme d’une boîte pour être économe en énergie. Comme me l’a confié un architecte spécialisé dans ce genre de maisons : « Si quelqu’un estime qu’il a besoin de plus de 190 m² pour se sentir bien, c’est un autre problème. »

Les Américains sont souvent déroutés par ce genre d’approche et ils ont l’impression qu’ils ne pourraient pas vivre là-bas. Je n’en suis pas si sûre. Les Européens que j’ai rencontrés dans ces quartiers me ressemblent assez : ils se préoccupent de l’environnement mais sont aussi soucieux de leur confort.

L’inclination environnementale des Européens n’est pas innée et elle n’est pas non plus exempte de contradictions. Ainsi, en Italie, la population est farouchement opposée aux OGM, mais, en voiture, on jette fréquemment ses détritus par la fenêtre. En Allemagne, on apprécie les petites maisons peu gourmandes en énergie, mais on continue à avoir un penchant pour les grosses voitures qui consomment beaucoup et qui vont très vite sur l’Autobahn.

Je pense que la plupart des gens ont une grande faculté d’adaptation et qu’il s’agit surtout, dans nos modes de vie, de changer nos habitudes et non pas de renoncer au confort ni aux commodités. J’ai certes pesté au début contre la dure vie qui était la mienne sans sèche-linge ni air conditionné à Rome, mais je prends aujourd’hui plaisir à accomplir le rituel de l’étendage du linge, j’ai la ferme intention de transpirer cet été et je me régale d’avance de la fraîcheur de l’automne.

What Makes Europe Greener than the U.S.?

par Elisabeth Rosenthal

reproduit à partir de Yale360

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