En toile de fond de la crise humanitaire en République démocratique du Congo (RDC), on trouve l’un des contextes écologiques les plus importants au monde : le parc national des Virunga s’étend en effet le long de la frontière entre la RDC, l’Ouganda et le Rwanda. C’est le plus vieux parc d’Afrique et celui qui offre la plus grande diversité biologique. Plus de 3 millions de Congolais sont dépendants de son écosystème.
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Les combats dans la région ont redoublé ces dernières semaines. Un fragile cessez-le-feu a bien été signé fin octobre, mais il ne semble pas tenir. Des centaines de milliers de Congolais ont été déplacés suite à des affrontements entre le gouvernement et les forces rebelles (et souvent au sein même de celles-ci) dans la province du Nord-Kivu située à l’est. L’aide ne parvient pas à destination. Plusieurs ministres européens des Affaires étrangères ont été dépêchés sur place et certains ont appelé à un mandat renforcé pour la MONUC, la mission de l’Organisation des Nations unies en République démocratique du Congo, qui représente la plus vaste opération de maintien de la paix de l’ONU La MONUC elle-même n’est pas épargnée, les populations locales lui reprochant de ne pas suffisamment assurer leur sécurité.
Pour les habitants de l’est de la R.D.C., prisonniers de ce conflit, le seul changement notable est le passage d’une situation catastrophique à une situation pire encore, et le désespoir s’installe chaque jour davantage.
En toile de fond de cette crise humanitaire, on trouve l’un des contextes écologiques les plus importants au monde : le parc national des Virunga s’étend en effet le long de la frontière entre la RDC, l’Ouganda et le Rwanda. C’est le plus vieux parc d’Afrique et celui qui offre la plus grande diversité biologique. Il abrite le gorille de montagne, une espèce gravement menacée d’extinction, il a constitué à une époque le territoire de la plus grande population d’hippopotames au monde et on a pu y voir récemment un okapi à l’état sauvage pour la première fois depuis 50 ans. Dans ce parc vivent plus de 700 espèces d’oiseaux – soit deux fois plus que dans toute l’Europe occidentale – et pas loin de 220 espèces de mammifères. Dans les deux cas, il s’agit d’un record pour l’Afrique.
Mais l’importance du parc national des Virunga va bien au-delà du rôle qu’il joue pour la vie sauvage de la RDC. Plus de 3 millions de Congolais sont en effet dépendants de ce parc et de son écosystème : cela va des bassins hydrographiques et des activités liées à la pêche aux ressources énergétiques génératrices de revenus. Ce parc, haut lieu de la biodiversité, est donc au centre de la vie des populations locales. Il est malheureusement également au centre de la pire crise humanitaire au monde.
Vingt années de conflit quasi incessant ont mis cet écosystème unique en danger. En effet, les ressources naturelles fournies par le parc sont utilisées par les belligérants pour financer les combats. Le commerce illicite du charbon de bois, estimé aujourd’hui à 30 millions de dollars par an, est pratiqué par les différentes parties en présence : les organisations rebelles comme les responsables militaires et gouvernementaux corrompus.
On pense ainsi que 25 % des vieilles forêts de feuillus de la moitié sud du parc ont été totalement rasées pour répondre à la demande. Les revenus, à leur tour, alimentent la violence. Ce commerce illicite est en lien avec l’abattage de 10 gorilles de montagne en 2007, ce qui a propulsé le parc des Virunga à la une des journaux du monde entier. Il s’agissait là de dissuader les défenseurs de l’environnement de tenter de démanteler le trafic. Il n’y a peut-être pas de mines dans le parc, mais il y a à coup sûr des ressources qui valent la peine qu’on se battent pour elles.
S’ajoutent à cela des centaines de milliers de réfugiés, déplacés par la guerre, qui dépendent pour vivre de l’extraction des ressources offertes par le parc. L’insécurité a par ailleurs fait fuir les touristes, entraînant une baisse importante des recettes du parc et des budgets alloués à la protection de l’environnement. Le braconnage, lui, a augmenté.
L’Autorité congolaise des parcs nationaux ne dispose pas de moyens suffisants pour faire face à ces problèmes. En effet, 20 ans ou presque de conflit ont mis à mal la gouvernance environnementale dans la région et favorisé la corruption. 120 rangers, soit un sixième de tous ceux qui patrouillent dans le parc, ont été tués dans l’exercice de leurs fonctions. Comble de malheur, la protection de l’environnement se retrouve en queue des priorités internationales à mesure que les ressources sont consacrées à la crise humanitaire.
Mais malgré toutes ces menaces, le parc survit et peut être sauvé.
Le Secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon est arrivé à Nairobi samedi pour assister à un sommet de l’Union africaine sur la crise en RDC Il y a rencontré le président congolais Joseph Kabila ainsi que Paul Kagame, président du Rwanda, dans l’espoir de parvenir à un accord de paix contraignant et durable. Si cela doit être la priorité numéro 1 pour la région, la communauté internationale doit néanmoins poursuivre ses efforts pour soutenir ce processus et éviter que le conflit ne s’étende.
L’environnement doit être inclus dans quelque accord de paix que ce soit. Car sans l’accomplissement d’avancées significatives en matière de gouvernance environnementale, de pouvoir et d’application de ce pouvoir, les ressources du parc continueront à constituer une source de revenus pour les belligérants.
Les besoins humanitaires bien réels de la population locale et des réfugiés doivent passer avant la protection de l’environnement, mais le rétablissement du pays pourrait néanmoins dépendre de celle-ci. Car on ne peut dissocier développement durable et protection de l’environnement. Les services rendus par l’écosystème, les ressources naturelles ainsi que le potentiel touristique du parc auront à coup sûr une importance décisive dans la reconstruction économique du pays une fois la paix revenue. Les populations locales, dont les moyens d’existence dépendent en grande majorité des ressources naturelles pour l’énergie, l’agriculture et l’emploi, devront pouvoir compter sur un environnement fonctionnel et sain.
Depuis vingt ans, la région est le théâtre quasi constant de violents conflits. Pour les populations locales, cela se traduit par des souffrances à grande échelle : décès, viols, déplacements, maladies et famine. Selon l’International Rescue Committee, plus de 5,4 millions de personnes ont trouvé la mort dans la région depuis août 1998, faisant de cette guerre le conflit le plus meurtrier depuis 1945. La plupart des victimes sont des civils, dont presque la moitié sont des enfants.
La communauté internationale, Canada compris, doit intervenir pour sauver le parc des Virunga, pour protéger ses forêts, ses montagnes, ses lacs et ses plaines, ainsi que sa faune et sa flore. En agissant de la sorte, elle s’attaquerait à certaines des causes fondamentales du conflit et pourrait aider à préserver un parc qui est au centre de la vie de millions de personnes, leur procurant revenus et bien-être.
Ces personnes ont besoin d’espoir et de changement. Le parc des Virunga aussi.
Une analyse de l’Institut international du développement durable, par Alec Crawford, coauteur d’une récente étude sur l’impact du conflit sur le parc national des Virunga.
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