De la fiabilité des outils d’évaluation des impacts des pesticides

C’est le moment pour nous, et pour vous, de faire une pause décisive. Car les chiffres, tous les chiffres, tous les propos, toutes les envolées, même les plus belle, reposent sur des calculs boiteux, incertains, discutables, sinon discutés.

Au point de départ, des experts se sont mis d’accord sur une « dose sans effet » (DSE) pour chaque pesticides. C’est la limite au-dessous de laquelle aucun effet n’est constaté lors des tests. On y ajoute un autre chiffre, censé garantir une sécurité parfaite, la « dose journalière admissible » (DJA), qui est cent fois inférieure à la DES. Et le débat est clos. De puissantes institutions internationales, comme l’OMS et la FAO, ont apporté et apportent leur prestigieuse caution à cette manière de jauger le danger.

Est-elle juste ? […] Ne prenons qu’un seul exemple, aussi saisissant qu’étrange, celui de la dioxine. Aux Etats-Unis, l’agence fédérale chargée de la protection de l’environnement, l’EPA, a pris les choses très au sérieux depuis une vingtaine d’années. Souvenir de Vietnam et des effets du désastreux « agent orange », qui contenait justement de la dioxine ? Peut-être. En tout cas, l’EPA a fixé une norme presque incroyable pour un Français, qui concerne la dose journalière admissible de dioxine qu’un humain peut supporter. Quelle est-elle ? 0,0064 picogramme par kilo et par jour. Et qu’est-ce qu’un picogramme ? Un millième de milliardième de gramme. Rien, ou si peu : le mesure de l’EPA signifie en fait que chaque molécule de dioxine est une menace pour la vie.

L’OMS, quant à elle, […], a fixé une tout autre limite. Jusqu’en 1997, elle était de 10 picogrammes par kilo et par jour, soit… mille cinq cents fois plus. Qui dit mieux ? Depuis, la norme flotte entre 1 et 4 pictogrammes, soit cinquante à six cents fois plus que chez les Américains, pourtant protégés par Coca et McDo réunis.

Ce petit détour terminé, reposons notre question : la DES et la DJA sont-elles ou non de bons indicateurs des effets possibles des résidus de pesticides sur notre alimentation de chaque jour ? C’est bien malheureux, mais la réponse est non.

Des scientifiques, encore très minoritaires mais dont la voix porte de plus en plus loin, remettent en cause la notion même de DJA. A l’heure où les autorités du nucléaire acceptent enfin de considérer les effets délétères des faibles doses de radiation, jadis niées, le fait mérite attention.

Par précaution, précisons que dans les lignes qui suivent nous n’affirmons rien d’autre que notre grande ignorance, et notre désir tout aussi puissant de véritables discussions publiques sur le sujet. Nous sommes d’accord ? Alors allons-y. Les mécanismes de la carcinogenèse, c’est-à-dire ce qui conduit à l’apparition de la première cellule cancéreuse, puis à sa prolifération, ont été examinés dès le début du siècle passé, notamment par les chercheurs japonais Yamigawa et Ichikawa. Inutile de dire que ce travail a connu de nombreux bouleversements. Surtout depuis les très récents développements de la biologie moléculaire.

Or plusieurs découvertes et travaux, rapportés par le cancérologue belge Eric Pluygers et bien d’autres, montrent que certains toxiques, dont les pesticides, agissent à des concentrations bien en dessous des seuils de détection. C’est proprement révolutionnaire ? Comme l’écrit Pluygers dans une note établie à la demande d’un député belge, « ces notions sont d’une importance capitale, car l’absence de seuil signifie qu’une substance est biologiquement active dès sa concentration la plus faible, c’est-à-dire une seule molécule. Dans ces conditions, aucune concentration d’exposition n’est admissible. »

Amis lecteurs, relisez ces mots avec nous et convenez que cela change tout. Tout ! Car dans le millionième de gramme d’une quelconque saloperie, il restera toujours au moins quelques dizaines de molécules potentiellement actives et dévastatrices pour nos gènes et notre ADN.

Du reste, Pluygers se charge lui-même, dans ses nombreux colloques et interventions, de tailler en pièces la clé de voûte du système de « contrôle » des pesticides, c’est-à-dire cette si fameuse dose journalière admissible. Dans une conférence tenue le 5 décembre 1998, il précise même : « On est donc bien obligés d’admettre que la notion de DJA n’est pas applicable à toute une série de substances cancérigènes, car elle ne tient pas compte des mécanismes de la carcinogenèse. »

El il ajoute, citant cette fois l’auteur d’une étude, le professeur De Jonckheere de l’université de Gand : « Les valeurs de DJA ne sont pas des données exactes, mais des estimations basées sur les données toxicologiques expérimentales d’un pesticide. Cette approche ne prend pas en compte la possibilité d’effets synergiques lorsque l’exposition se fait simultanément à deux ou davantage des pesticides. »

Les cocktails ne sont plus contrôlables

Est-il besoin de le préciser ? Ce dernier point est crucial. La DJA est en effet établie pour chaque pesticide, alors que nous sommes tous exposés à des cocktails de nombreuses substances. Lesquelles se mélangent, interagissent bien sûr, sans que personne soit capable de nous dire comment.

Cette connaissance essentielle est tout simplement hors de portée. Aucun scientifique, quel que soit son brio, n’est aujourd’hui en mesure de nous dire ce que produisent ensemble dans un tissu vivant telle et telle molécules. Bouteille à l’encre, silence de mort, tabou suprême : surtout ne pas parler de cette DJA qui ne protège rien ni personne.

François VEILLERETTE et Fabrice NICOLINO.

« Pecticides, révélations sur un scandale français » (p.39 à 42) – Fayard – 2007.

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