Le drame des transports

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Parmi nos lubies, il y a l’obsession de la vitesse et de la mobilité. Dans les pays industrialisés, nous avons oublié que nous avions deux jambes. Pourtant, nous tenons à nous déplacer sans cesse et vite. Souvent nous vivons loin de notre lieu de travail. Nous prétendons être une société rationnelle mais, dans le domaine des transports, nous perdons la raison. Nous pesons lourdement sur l’environnement alors que la plupart de nos déplacements sont superflus, inutiles et irrationnels.

Au Royaume-Uni, on paie pour que nos vergers soient brûlés et l’on fait venir les pommes d’Afrique. On paie les paysans pour qu’ils ne produisent pas et l’on importe du beurre de Nouvelle-Zélande. On paie nos travailleurs pour qu’ils restent au chômage et l’on achète nos chaises en Chine. Qu’est-il advenu de notre pensée rationnelle?

E. F. Schumacher voit un jour passer un camion chargé de biscuits venant de Manchester et se dirigeant vers Londres. Quelques minutes plus tard, il en voit passer un deuxième en sens inverse, allant de Londres à Manchester. En tant qu’économiste, il cherche à comprendre ce qui justifie ces allées et venues de biscuits. On utilise autant de carburant fossile, gaspille autant de travail humain et pollue autant l’atmosphère pour faire ça? Schumacher se creuse la cervelle. N’ayant trouvé aucune justification, il soulage sa frustration en plaisantant: “Bon, je ne suis pas nutritionniste. Peut-être qu’aller de Manchester à Londres et de Londres à Manchester améliore les qualités nutritionnelles des biscuits! »

Les transports consomment d’énormes quantités d’essence. C’est l’une des principales sources de pollution et de bruit. Ils causent d’effroyables d’encombrements — en particulier dans les zones urbaines; mettent la santé des populations en danger; participent au réchauffement climatique; tuent hommes et bêtes. Malgré tout cela, on ne peut pas s’en passer, on est totalement dépendant du transport des marchandises et des êtres vivants. Difficile d’imaginer comment, concrètement, on peut se sortir de ce bourbier.

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Selon une expression anglaise, « la seule limite, c’est le ciel ». En ce qui concerne le trafic aérien, même cette limite-là n’en est plus une. Des fleurs arrivent par avion du Kenya tandis que les producteurs de fleurs des îles Scilly n’arrivent plus à gagner leur vie. Et le sénateur démocrate américain Tim Johnson nous conseille à tous de restreindre nos trajets en avion.

John Whitelegg est au regret de dire que les camions n’ont pas d’avenir. Il est clair que ce sont des monstres. Que l’on revienne à une production et une fabrication locale, et l’on n’aura pas besoin de camions gloutons, pollueurs et bruyants.

Pour mettre au pas les camions et les avions, il faut mettre au pas le commerce international. Nick Robins, entre autres choses rédacteur adjoint de Resurgence, établit clairement qu’en matière de protection de l’environnement et de justice sociale, le commerce international est comme un cheval de Troie permettant au Nord d’assujettir le Sud à son exploitation capitaliste sans tenir compte des conséquences désastreuses.

Cette question des transports a de profondes racines. Elle est liée à notre économie dualiste et Maurice Ash lance le grand débat.

Il est possible de changer le commerce et les transports. À Bristol, comme le souligne James Bruges, architecte et auteur de « The little Earth Book », on table sur la durabilité. Et aux États-Unis, d’après Donella Meadows (entre autres choses docteur en biophysique et agricultrice bio), les CSA, (« community supported agriculture » littéralement « agriculture soutenue par la communauté », dont l’équivalent en France seraient les AMAP « association pour le maintien d’une agriculture paysanne »), permettent de réduire le transport de produits alimentaires et de redonner aux gens l’amour de la terre et l’envie d’en prendre soin.

The tragedy of transport

Satish KUMAR

Resurgence n° 197

Le site de Resurgence

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