Une approche « écosystémique » des terres arides, fondement de nouvelles politiques de développement.

Malgré des efforts concertés, les problèmes des terres arides n’ont pas suffisamment attiré l’attention pour provoquer des améliorations rapides dans le combat contre la désertification et la lutte contre la pauvreté. Les initiatives récentes et les recherches concernant la gestion et le développement des terres arides ont été, soit incapables de lever suffisamment de fonds, soit trop encombrées de procédures pour s’attaquer efficacement aux problèmes à l’échelle locale.

40 % des pays pauvres sont constitués principalement de terres arides où les populations dépendent de la gestion durable des ressources pour assurer leur survie. Cependant, les politiques de réduction de la pauvreté et d’allègement de la dette ne tiennent pas compte de la gestion des écosystèmes arides dans l’amélioration des conditions de vie des populations pauvres.

Les politiques d’aide au développement des terres arides ont une approche limitée : elles se bornent à vouloir résoudre les problèmes actuels de dégradation des sols et de pénurie alimentaire sans s’intéresser au véritable potentiel de ces régions en termes de ressources, de biens et de services… Une approche « écosystémique » du suivi et de l’évaluation des terres arides est, quant à elle, porteuse d’espoir pour la gestion, le développement et l’investissement dans les terres arides, grâce à cette attention plus rationnelle et plus constructive.

Qu’est-ce qu’une approche « écosystémique » de la gestion et du développement ?

Une approche fondée sur l’écosystème est une stratégie qui examine les terres arides avec une perspective élargie. Alors que les méthodes traditionnelles de gestion des terres arides impliquent de maximiser la production et les rendements agricoles, l’objectif d’une approche écosystémique est d’optimiser les bénéfices apportés par l’écosystème en prenant en compte l’ensemble des biens et services dont les humains dépendent pour survivre et prospérer.

Cette approche fournit des indicateurs quantitatifs pour les biens et services immatériels ou non marchands qui ne sont pas pris en compte par les techniques d’évaluation conventionnelles, tels que les loisirs, les zones naturelles préservées, la conservation de la biodiversité, la qualité de l’eau, et le stockage du carbone, mais aussi des ressources comme la nourriture, le carburant, et les fibres.

L’approche écosystémique permet de mesurer simultanément l’influence humaine sur le fonctionnement d’un écosystème et sur sa productivité. En intégrant des informations économiques et sociales aux données environnementales disponibles sur un écosystème, l’approche met en perspective les besoins humains et la capacité biologique de l’écosystème à répondre à ces besoins. Par exemple, elle prend en compte l’échelle, les considérations sociales et les pratiques de gestion, lorsqu’elle cherche à définir la faisabilité de projets concernant les terres arides. Elle utilise donc les statistiques dans des domaines qui auparavant ne suscitaient pas vraiment l’intérêt ou qui étaient traités séparément, comme les considérations locales, nationales et globales, la lutte contre la pauvreté, ou encore les limites physiques et biologiques des ressources du sol. L’approche écosystémique s’appuie sur cette réserve de données quantitatives pour parvenir à des compromis efficaces, transparents et durables, en gardant à l’esprit le bien-être des générations futures.

Cette approche considère aussi que les écosystèmes sont des entités à part entière et ne peuvent pas être l’objet d’une gestion parcellaire ou uniquement fondée sur les frontières politiques. L’approche s’oriente donc naturellement vers la protection et la conservation d’écosystèmes tout entiers. Elle estime la gestion réussie uniquement si celle-ci préserve ou améliore la capacité d’un écosystème donné à produire un éventail varié de biens et de services sur la durée, ainsi que des cultures durables et d’autres denrées.

Appliquer une approche écosystémique à l’évaluation des zones arides

Les biens et services utilisés comme références dans l’évaluation des zones arides varient selon les régions et l’angle d’analyse. Avoir des indicateurs précis correspondant à chaque bien et service est impératif pour comprendre les situations et les tendances à terme. Les indicateurs choisis dépendront du type de données et de leurs qualités, ainsi que de la période pour laquelle l’information est disponible. Parmi les biens et services les plus couramment produits dans les zones arides, on trouve : les fourrages, le bétail ; les cultures de céréales, de racines et de tubercules ; le bois énergie, les réseaux de distribution d’eau pour l’usage domestique mais aussi industriel, agricole et autres (bien que l’eau ne se trouve pas en abondance dans la plupart des zones arides) ; de hauts niveaux de biodiversité ; le stockage du carbone pour limiter les concentrations de dioxyde de carbone dans l’atmosphère ; le tourisme et les loisirs ; enfin, les relations commerciales avec les marchés locaux et globaux, particulièrement avec les pays humides voisins.

Une analyse écosystémique de la situation et de l’évolution d’une zone aride s’intéressera aux changements majeurs dus à la présence humaine et à l’urbanisation. En plus d’augmenter les besoins en assainissement de l’eau, l’urbanisation augmente les pertes liées à l’écoulement à cause de la couverture et de la compression des sols. Dans certaines conditions, les troupeaux trop nombreux sur des pâturages de taille limitée peuvent bouleverser la flore, réduire la biodiversité, augmenter l’érosion du sol et parfois même éliminer la couverture végétale. La transformation de zones arides en zones agricoles remplace la végétation endémique par des cultures et modifie la composition du sol par l’utilisation d’engrais et de pesticides.

Sur les cinquante prochaines années, les zones arides devront faire face aux profonds changements liés à l’évolution du climat. Le réchauffement et l’assèchement du climat, prévus pour de vastes régions d’Afrique, devrait réduire le potentiel agricole de celles-ci et pourrait considérablement altérer l’élevage et l’agriculture des zones arides. La biodiversité, les ressources en eau et la production de bois énergie pourraient toutes s’en ressentir. La désertification, liée à des facteurs climatiques, sociaux, politiques et économiques, a tendance à mettre les milieux arides sous pression, diminuant ainsi leur capacité à produire des biens et des services. Une approche « écosystémique » s’efforcerait de calculer des indicateurs fiables pour chacun de ces facteurs.

La récompense : bénéficier d’une approche « écosystémique »

Une approche « écosystémique » de l’étude et de la gestion des zones arides pourvoirait les décideurs des outils dont ils ont besoin pour élaborer une politique plus efficace en termes de zones arides. Les données quantitatives sur les biens et services des écosystèmes arides devraient faciliter la tâche des institutions et des parties prenantes dans leurs discussions, leurs travaux de recherche et d’analyse environnementales, et l’évaluation de l’impact. Une approche « écosystémique » fournirait aussi des informations capitales quant aux éventuels risques et bénéfices liés aux possibilités de gestion, de développement, et d’investissement.

Bien que les indicateurs des biens et services produits par un écosystème fassent partie intégrante de l’approche « écosystémique« , il est évident que la mise au point de ces indicateurs en elle-même n’est pas suffisante pour apporter des changements au développement des zones arides. Les mesures prises par les institutions pour inciter à la multiplication des indicateurs doivent s’accompagner de mesures pour encourager la communication et la diffusion de cette information, ainsi que son utilisation dans les échanges sur la politique nationale, les rapports environnementaux, l’étude de l’impact sur l’environnement et l’aide d’urgence. Il faut s’assurer que les protagonistes ont bien accès aux informations dont ils ont besoin pour agir pleinement, afin que les politiques évoluent et soient rapidement mises en œuvre.

Grâce à sa capacité à attirer l’attention sur les biens et services profitables mais trop souvent négligés des zones arides, l’approche « écosystémique » peut générer l’enthousiasme et l’investissement requis pour traiter les problèmes auxquels sont confrontés les pays de ces zones. En faisant appel à ce qui intéresse le public au sujet des zones arides, l’approche « écosystémique » identifie les problèmes au niveau local, aussi bien qu’à différentes échelles spatiales et temporelles. Son utilisation devrait attirer et pérenniser l’intérêt des agences de développement, des gouvernements, des délégués nationaux de la Convention des Nations Unies pour combattre la désertification (CCD), d’autres conventions internationales et du grand public. Si ces organisations venaient à adopter l’approche « écosystémique » d’étude et d’analyse de la situation des zones arides, d’importants progrès pourraient être réalisés dans la revitalisation et la coordination des initiatives pour le développement et le combat contre la pauvreté.

An Ecosystem Approach to Drylands: Building Support for New Development Policies

Robin White, Dan Tunstall, Norbert Henninger

Earth Trends

World Resources Institute

Janvier 2003

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