Auroville, sur une des voies du développement soutenable

Au cœur des villages indiens, en quittant Pondichéry, le tissu urbain se délite, passant des anciennes demeures coloniales aux faubourgs hétéroclites. Un panneau indique la direction à partir de la route principale de la plage. Les dégâts du tsunami du 26 décembre 2004 sont encore visibles sur la frange côtière. Ensuite, la dense végétation tropicale prend place entre les plantations d’anacardiers et les prairies. Montant sur le plateau en retrait de la côte, les publicités se font plus discrètes pour totalement disparaître au cœur d’Auroville. De nouvelles habitations apparaissent, mais l’entrée sur le territoire d’Auroville est discrète. Les 90 communautés sont assez dispersées en fait. Cette quiétude visuelle est surprenante… toutefois, quelques échoppes proposent encore ici la marque de soda la plus connue au monde. Le calme est aussi parfois troublé par les moteurs, repères urbains et contemporains de la grande cité voisine de Pondichéry.

Territoire international, Auroville n’en reste pas moins inséré dans une nébuleuse de communautés rurales indiennes dont les habitants sont nombreux à venir y travailler. Ce projet constitue aussi une opportunité d’emplois et de rencontres depuis plusieurs décennies.

Un territoire international aux destins multiples

Après plus de trente années d’existence, Auroville constitue un vrai croisement d’horizons géographiques et culturels différents. Plus de 700 Indiens, 283 Français, 235 Allemands, une centaine d’Allemands, autant d’Italiens, environ 60 Nord-américains, 40 Russes et plus ponctuellement quelques Israéliens, Argentins, Tibétains, Japonais, Éthiopiens, Algériens, Colombiens, Mexicains… soit quelque 1.800 citoyens qui donnent corps à cette expérience d’Unité humaine unique. Par ailleurs, des visiteurs de toutes origines s’y pressent pour des périodes d’une semaine à quelques mois… plus particulièrement lorsque le climat est clément.

Un rôle pionnier sur les techniques renouvelables et adaptées

Dès 1972, une des réalisations techniques les plus emblématiques fut la pompe éolienne. Exportée dans toute l’Inde, elle constitue un exemple de l’utilisation des énergies renouvelables au même titre que le four solaire collectif, plus importante installation de ce type sur le sous-continent indien. Ensuite, le Center for Scientific Research travailla notamment sur les installations solaires photovoltaïques permettant à quelques communautés et fermes de fonctionner en autonomie énergétique… avec forcément une gestion et une maîtrise importante de la consommation énergétique en amont.

La distribution gratuite d’eau potable dynamisée, dont la communauté Aqua Dyn se charge, est faite dans les lieux de restauration collective d’Auroville et plusieurs villages tamouls alentours ont été équipés. L’agriculture pratiquée est d’origine biologique et les productions sont largement de type végétarien. Désirant fonctionner de manière la plus autonome possible, non dans un souci d’autarcie mais de non-gaspillage des ressources et de responsabilisation, il n’est pas possible en effet de supporter plusieurs élevages pour proposer de la viande quotidiennement à chacun. Par conviction écologique et/ou spirituelle, les personnes végétariennes sont ainsi particulièrement nombreuses. Cette agriculture cohabite pourtant avec l’utilisation de DTT sur quelques fermes voisines et des pompages exagérés dans les nappes phréatiques mettant la ressource en péril.

Enfin, dans l’habitat, des briques de terre comprimée crue sont la base de la plupart des bâtiments érigés. Loin de constituer seulement quelques démarches ponctuelles, à l’instar des installations HQE sous nos latitudes, ces exemples sont révélateurs de la visée générale. Quelques dissonances viennent toutefois soulever des interrogations.

La mobilité, l’argent, la démocratie participative en questionnement

L’architecte français Roger Anger se vit confier la réalisation des plans de la cité sur un territoire de 25 km². Quarante ans plus tard, Auroville reste en évolution afin de pouvoir accueillir à terme environ 50.000 citoyens. Sur les 10 km² aujourd’hui réalisés, la maîtrise foncière approche les 80%… mais les autres 20%, soumis notamment à la pression foncière, mettent en péril la réalisation globale et l’intégralité du projet.

Entre le désir de respecter les orientations initiales, avec la « ceinture verte » et les quatre espaces (industriel au nord, international à l’ouest, résidentiel au sud, et culturel à l’est) et les contraintes quotidiennes, le débat est toujours actuel. Le respect de ces « zonages » initiaux, basés sur le concept d’une galaxie, implique le recours aux véhicules motorisés pour se déplacer entre les lieux de vie éparpillés. Avec la place démesurée que prend la mobilité individuelle dans nos « sociétés modernes », la volonté ne semble pas forcément au rendez-vous pour organiser quelque chose de différent ici. Si le développement des énergies renouvelables est important, dans le domaine des transports le recours aux véhicules motorisés, donc au pétrole, est quasiment aussi important qu’ailleurs en Inde. Ce ne sont pas les très rares voitures électriques qui changent fondamentalement la donne. La planification originelle s’oppose à une croissance organique, plus fondée sur les contraintes quotidiennes, permettant peut-être une meilleure maîtrise des flux. En effet, il apparaît bien difficile de vivre quotidiennement sans recours à un véhicule motorisé dès lors que l’urbanisation choisie l’impose en partie. À l’instar des concerts, projections, rencontres ou conférences en soirée, la fréquentation des lieux culturels n’est pas aisée à travers les pistes de latérite non éclairées et au revêtement souvent chaotique.

Une reconnaissance grandissante

Mais la reconnaissance et le soutien des institutions internationales et les prix remis à certains auroviliens ou aux communautés témoignent de la valeur et de l’intérêt des actions entreprises. À plusieurs reprises, en 1966, 1970, et 1983 notamment, l’UNESCO a apporté son soutien à Auroville comme modèle de vie communautaire. L’Union Européenne y a tenu, en 2003, un séminaire sur les réseaux de ville durable dans le cadre de ses travaux de coopération avec le continent asiatique. L’État Indien entretient une relation plus confuse entre un accord sur un statut spécial créant la « Fondation d’Auroville » en 1988 et une tendance à vouloir reprendre la main sur ce qui se passe en ses frontières, à travers par exemple le Conseil d’administration.

Ces encouragements internationaux montrent à la fois une forme de reconnaissance et d’attention portée aux nouvelles voies d’organisation de nos territoires. Parmi les premiers enseignements, on s’aperçoit que si techniquement, Auroville peut être un modèle d’adaptation, les questions en suspens restent sociétales et démocratiques, c’est-à-dire les questions les plus difficiles à résoudre aujourd’hui encore dans nos sociétés occidentales.

La Charte d’Auroville – 28 février 1968

1. Auroville n’appartient à personne en particulier. Auroville appartient à l’humanité dans son ensemble. Cependant pour vivre à Auroville, chacun doit être serviteur de la Conscience Divine.

2. Auroville sera le lieu d’une éducation perpétuelle, du progrès constant et d’une jeunesse qui ne vieillit pas.

3. Auroville veut être le pont entre le passé et l’avenir. Profitant de toutes les découvertes extérieures et intérieures, elle veut hardiment s’élancer vers les réalisations futures.

4. Auroville sera le lieu de recherches matérielles et spirituelles pour l’incarnation d’une unité humaine concrète.

Eric VIDALENC

Nature et Progrès

Revue n°57

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