Ecotourisme et développement durable

Depuis la parution du rapport Bruntland en 1987, le concept de  » développement durable  » a fait du chemin. Malgré son ambiguïté, on cherche des outils pour le mettre en oeuvre. En raison de sa dépendance au milieu naturel et de l’importance de ce marché, l’écotourisme attire l’attention de nombreux chercheurs. Cependant, il n’y a pas consensus sur le sens des principes qui lui sont associés, en plus d’être souvent confondu avec d’autres formes de tourisme.

Introduction

Depuis la parution du rapport Bruntland en 1987, en passant par le Sommet de la Terre à Rio et, plus récemment, le Sommet de Johannesburg, le concept de « développement durable » est sur bien des lèvres. Un nombre croissant de chercheurs se penchent aujourd’hui sur ce paradigme et tentent de mieux comprendre comment concilier le développement socio-économique et la protection de l’environnement. Malgré les quelques années qu’elle a derrière elle, la notion de développement durable ne fait toujours pas l’unanimité, tant dans la population en général que parmi les scientifiques (Revéret et Gendron, 2002). Le nombre élevé de définitions en circulation ainsi que la complexité inhérente à un tel concept, qui fait des emprunts dans presque toutes les disciplines, permettent un grand nombre d’interprétations et, du coup, participent à la confusion générale. La spécificité du développement durable tient dans la reconnaissance de l’environnement comme élément de développement. La nouveauté de la prise en compte de l’environnement dans les questions de développement nous oblige à explorer d’autres champs d’activités jusque là tenus pour marginaux.  » Une chose est absolument certaine : dans aucun pays, encore moins sur la planète entière, l’évolution contemporaine de la civilisation humaine n’a un caractère durable. Ainsi, l’idée du développement durable est un défi, un appel urgent à l’exploration de voies qui nous permettraient d’y parvenir1  » (Moldan, 1996; 72). Parmi la panoplie d’outils proposés afin d’évoluer vers un développement durable de nos sociétés, il y en a un qui retient maintenant l’attention : l’écotourisme.

Depuis le début des années 1970, le tourisme est l’industrie qui connaît la plus forte croissance à l’échelle de la planète (Boo, 1990). Avec l’émergence de nouvelles préoccupations sociales et environnementales, celle-ci est de plus en plus confrontée à la question de sa compatibilité avec le développement des communautés locales et de la protection de l’environnement (McCool, 1995). L’écotourisme est alors souvent vu comme une solution miracle capable de concilier le développement économique, la protection de l’environnement et le bien-être des communautés.  » Autour du monde, l’écotourisme a été acclamé comme une panacée : une façon de financer la conservation et la recherche scientifique, de protéger les écosystèmes vierges et fragiles, de bénéficier aux communautés rurales, de promouvoir le développement dans les pays pauvres, de renforcer la sensibilité écologique et culturelle, d’insuffler une conscience sociale et environnementale à l’industrie touristique, de satisfaire et d’éduquer les touristes et même, d’après certains, de bâtir la paix mondiale2  » (Honey, 1999). Cependant, peu d’études ont tenté de caractériser l’écotourisme durable et les exemples positifs d’écotourisme sont encore rares (Lopez-Espinosa de los Monteros, 2002). De plus, certains chercheurs (voir entre autres Weinberg et al., 2002) se questionnent à savoir si l’écotourisme peut être viable dans le temps sans se transformer en simple tourisme de masse, lequel s’éloigne généralement des principes du développement durable.

Pour bien comprendre l’apport de l’écotourisme à la réalisation d’un développement durable, encore faut-il en saisir l’origine, l’évolution, les ambiguïtés que véhicule le terme et les principes de base qu’il soutient. Nous verrons que derrière sa simplicité apparente se dissimule un nombre impressionnant de zones d’incertitude. Il n’y a donc point de consensus sur le rôle qu’une telle activité pourrait jouer dans l’atteinte d’un équilibre entre le développement socio-économique et la protection de l’environnement.

Origine, définitions et concepts

L’écotourisme s’est développé dans la foulée du mouvement environnemental qui a pris forme au début des années 1970. L’intérêt grandissant du public pour l’environnement et les voyages orientés vers le plein air, couplé avec la croissante insatisfaction envers le tourisme de masse, a montré à l’industrie du tourisme qu’il y avait une place pour l’écotourisme (Orams, 1995; Weaver, 1998, Honey, 1999). La compréhension et l’acceptation des principes de conservation et de durabilité par une portion grandissante de la population a aussi participé à l’évolution phénoménale du terme écotourisme (Orams, 1995).

Il n’y a pas de consensus sur l’origine du terme écotourisme (Fennell, 1999). Selon certains auteurs, il serait apparu pour la première fois en langue anglaise dans un article de Romeril (1985) (Blamey, 2001). Cependant, l’écologiste mexicain Ceballos-Lascurain a utilisé le mot espagnol ecoturismo encore plus tôt, alors que le Service National des Forêts du Canada faisait, dès 1973, la promotion d’écotours le long de la Transcanadienne (Fennell, 1999). Récemment, on a même retracé le terme dans un article de Hertzer (1965) qui l’utilisait pour expliquer la relation complexe entre les touristes et l’environnement et les cultures avec lesquelles ils interagissent (Fennell, 1999). Cependant, c’est Budowski (1976) qui est généralement cité comme le pionnier concernant le concept même d’écotourisme (Blamey, 2001; Orams, 2001; Honey, 1999). Dans son article Tourism and Environmental Conservation: Conflict, Coexistence or Symbiosis?, Budowski reconnaît que la relation entre le tourisme et l’environnement naturel tend à être conflictuel, mais que le potentiel existe pour une relation basée sur les bénéfices mutuels. Sa description de la relation symbiotique qui pourrait s’en suivre ressemble à l’idée contemporaine qu’on se fait de l’écotourisme, sans toutefois utiliser le terme (Blamey, 2001). La dissémination du terme et du concept est souvent associée à Elizabeth Boo dont le livre, Ecotourism : The Potentials and Pitfalls (Boo, 1990), contenait une définition mise de l’avant par Ceballos-Lascurain à la fin des années 1980 (Honey, 1999). Le tableau 1 contient un échantillon de quelques définitions que l’on rencontre fréquemment dans la littérature sur l’écotourisme.

Alors qu’une définition comme celle de Ceballos-Lascurain (1987) met l’emphase sur une proximité recherchée avec la nature par les touristes, les définitions plus récentes (voir celle de Honey) ont plutôt cherché à mettre en lumière une variété de principes associés au concept de développement durable (Blamey, 2001). S’inscrivant dans ce courant, les participants au premier Sommet mondial de l’écotourisme, qui s’est tenu à Québec en 2002, ont reconnu que l’écotourisme englobe les principes du tourisme durable en ce qui concerne les impacts de cette activité sur l’économie, la société et l’environnement et qu’en outre, il comprend les principes particuliers suivants qui le distinguent de la notion plus large de tourisme durable (Organisation mondiale du tourisme (OMT) et Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), 2002) :

  • l’écotourisme contribue activement à la protection du patrimoine naturel et culturel;

  • l’écotourisme inclut les communautés locales et indigènes dans sa planification, son développement et son exploitation et contribue à leur bien-être;

  • l’écotourisme propose aux visiteurs une interprétation du patrimoine naturel et culturel;

  • l’écotourisme se prête mieux à la pratique du voyage individuel ainsi qu’aux voyages organisés pour de petits groupes.

De façon plus concise, Blamey (1997, 2001) avance qu’une analyse des définitions nous amène à considérer trois dimensions qui constituent l’essence même du concept d’écotourisme :

  • Un tourisme axé sur la nature;

  • Une composante éducative;

  • Un besoin de durabilité.

C’est principalement de ces dimensions que nous allons discuter dans la section suivante.

Tableau 1. Quelques définitions de l’écotourisme régulièrement citées dans la littérature. Source : modifié de Couture (2002).

Tourisme axé sur la nature

Le milieu naturel est intimement lié à l’écotourisme et cette relation privilégiée transparaît particulièrement dans les premières définitions de l’écotourisme (Blamey, 2001). Valentine (1992) identifie trois dimensions principales associées au tourisme axé sur la nature : l’expérience, le style et le lieu. L’expérience va varier dans sa dépendance à la nature, l’intensité de l’interaction, le contexte social et la durée. Le style est associé par exemple à l’infrastructure nécessaire, à la taille et à la composition du groupe ou à la durée de la visite. Le lieu varie en termes d’accessibilité, de fragilité ou de nature (gestion et accès privés vs publics, par exemple).

Bien que le tourisme axé sur la nature semble de prime abord facilement identifiable, la question suivante mérite d’être posée : qu’est-ce qui réellement constitue réellement une expérience axée sur la nature? Est-ce que la traversée en automobile d’une vallée boisée se qualifie comme tel, ou bien le conducteur doit s’arrêter et aller marcher à travers les arbres et les fougères? Et s’il le fait, combien de temps doit-il vagabonder? Est-ce qu’un environnement grandement modifié par l’homme peut tout de même être qualifié de lieu écotouristique en autant que tous les autres principes soientt respectés (Blamey, 2001)? Est-ce qu’une marche dans une plantation d’arbres ou une expédition en canot sur un lac artificiel constituent une expérience axée sur la nature? La question de la proximité est souvent soulevée lorsque vient le temps de considérer si une expérience touristique impliquant un élément naturel peut être considéré comme telle (Blamey, 2001). Mais là encore, on pourrait débattre longuement du sens de cette exigence.

Une frontière devra être tracée quelque part afin de rendre opérationnelle la définition du tourisme axé sur la nature et, par le fait même, de l’écotourisme. Il va sans dire que la subjectivité ne pourra alors être évitée et toute définition de ces concepts comportera une composante arbitraire (Blamey, 1997).

Composante éducative

Il convient d’abord de définir trois termes utilisés parfois indistinctement lorsque nous abordons le domaine de l’éducation au sens large: l’apprentissage, l’éducation et l’interprétation. Contrairement à l’apprentissage, lequel est un processus naturel qui survient tout au long de notre vie, la plupart du temps de façon fortuite, l’éducation implique un processus conscient, planifié, séquentiel et systématique basé sur des objectifs définis et utilisant des procédures d’apprentissage spécifiques (Kalinowski et Weiler, 1992). Pour sa part, l’interprétation est une activité éducative qui vise à comprendre le monde et les relations entre ses différents éléments par l’utilisation d’objets originaux, l’expérience pratique et l’utilisation de matériel illustré, plutôt que de communiquer simplement de l’information factuelle (Tilden, 1977 cité dans Moscardo, 1998). Quoique presque tout tourisme axé sur la nature implique un certain degré d’apprentissage, c’est l’éducation et l’interprétation qui servent d’éléments clés et de caractéristiques à l’écotourisme selon Blamey (2001).

Cette dimension éducative est évidemment vaste et suffisamment subjective pour inclure toute une kyrielle de motivations et d’interactions entre le touriste et l’environnement (Weaver, 2001). Weaver (2001; 11) affirme également que:

 » certains écotouristes négligent toute forme d’interprétation, préférant simplement observer et s’imprégner de l’environnement naturel à leur façon et peut-être même à un niveau subconscient. Dans de tels cas, la composante éducative peut être si subjective et obscure au point de se soustraire à toute forme de mesure, et est probablement mieux décrite comme une expérience appréciative plutôt qu’éducative. La frontière entre éducation/apprentissage/appréciation et leur absence peut alors devenir si flou que le produit touristique ne rencontre plus ce critère « 3.

Alors si nous voulons pouvoir distinguer l’écotourisme du tourisme axé sur la nature sur la base de l’expérience éducative, il faudra encore une fois éclaircir ce que cette dimension véhicule.

Durabilité

Considérant que le tourisme est la plus importante industrie au niveau international, son potentiel à contribuer au développement durable est substantiel (Hunter, 1997). Deux principes liés à la durabilité sont régulièrement mentionnés en écotourisme : (1) l’apport à l’économie locale et (2) le support à la conservation (Blamey, 2001). Ceci sous-entend que si les communautés locales récoltent suffisamment de fruits de l’arbre de l’écotourisme et qu’en outre l’écotourisme participe activement à la conservation du milieu naturel, nous nous dirigeons fort probablement vers la durabilité. Mais comment peut-on déterminer qu’une expérience de tourisme supporte suffisamment les communautés locales et la conservation pour se qualifier d’écotourisme? Comment décider si les bénéfices aux communautés locales sous forme d’emplois et de revenus justifient les pertes irréversibles au regard de leur identité culturelle (Blamey, 2001)?

Alors que l’on s’accorde généralement sur les principes de base du développement durable, peu de concepts sont aussi ambigus lorsque vient le temps de l’interprétation et de la mise en oeuvre (Weaver, 2001). Même s’il est possible de réconcilier les nombreuses interprétations et ambiguïtés autour de la durabilité, le problème de déterminer si oui ou non tel projet écotouristique adhère au développement durable demeure entier. Les tentatives pour résoudre ce problème sont confrontées au manque flagrant de connaissances du domaine, autant dans les sciences environnementales qu’en tourisme (Weaver, 2001; 14). Par conséquent, sur la question de la durabilité de l’écotourisme, Weaver (2001; 15) prend le parti suivant:

 » Il est impossible d’évaluer au-delà de tout doute si une opération ou une activité écotouristique particulière est durable du point de vue environnemental ou socioculturel sans que l’on accepte une définition anthropocentrique très diluée du concept. Ainsi, insister sur le fait qu’un produit doit être durable (comme le font la plupart des définitions) pour se qualifier d’écotourisme n’est point réaliste et sert à exclure la majorité, sinon toutes les activités qui autrement se qualifieraient. Il semble plus raisonnable de soutenir que l’écotourisme devrait paraître durable, sur la base des meilleures connaissances et de l’expérience disponibles « .4 

À mon avis, une telle vision de l’écotourisme est dangereuse, principalement parce qu’à première vue, bien des projets écotouristiques peuvent nous apparaître durables alors qu’un examen plus attentif nous apprend souvent le contraire. D’ailleurs, une des conséquences d’un tel raisonnement est que selon Weaver (2001), l’écotourisme n’est pas irréconciliable avec le tourisme de masse, lequel s’éloigne habituellement des principes même de la durabilité.

Cette position de léger retrait face à la question de la durabilité en tourisme n’est pas fortuite. Dans un excellent article, Hunter (1997) affirme que les concepts de développement durable et de tourisme durable n’ont pas évolués ensemble, créant ainsi un écart tel que les principes du tourisme durable ne contribuent pas nécessairement au développement durable. Selon lui, différentes interprétations du développement durable sont appropriées sous diverses circonstances et la relation entre les deux concepts peut être classées selon une échelle allant de très faible à très forte (Hunter, 1997). Tout dépendamment du contexte politique, socio-économique ou autre, on pourra adopter une vision du développement durable variable afin d’évaluer dans quelle mesure l’écotourisme répond à ces principes.

L’écotourisme et sa relation avec certaines autres formes de tourisme

Il ne faut pas oublier que l’écotourisme est d’abord et avant tout une forme de tourisme et qu’en ce sens, il convient de le situer plus précisément par rapport aux autres formes de tourisme auxquels il est souvent confondu, soit principalement le tourisme axé sur la nature, le tourisme d’aventure et le tourisme culturel.

Alors que le tourisme axé sur la nature et le tourisme d’aventure sont plutôt définis sur la base des activités récréatives des touristes, l’écotourisme est défini aussi, sinon plus, par les bénéfices qu’il est susceptible d’apporter, tant à la conservation qu’aux communautés locales (Honey, 1999). Comme nous l’avons mentionné précédemment, l’écotourisme est étroitement lié au milieu naturel. Il importe par contre de distinguer l’écotourisme du simple tourisme nature. Comme le souligne Honey (1999; 64), il y a fréquemment un flou concernant les frontières entre le tourisme axé sur la nature et le concept multidimensionnel d’écotourisme. L’écotourisme adhère à des principes (du moins en théorie) que la notion plus vague de tourisme axé sur la nature n’est pas tenue de partager. Tant dans la littérature que dans la pratique, on mélange souvent les deux, considérant des formes de tourisme axé sur le milieu naturel comme étant de l’écotourisme, mais qui ne répondent pas à ses principes. Le tourisme axé sur nature se trouve à être une forme plus générale de tourisme à l’intérieur de laquelle on peut retrouver, par exemple, le tourisme d’aventure ou le tourisme axé sur la chasse ou la pêche. L’écotourisme est ainsi vu comme une portion du tourisme axé sur la nature et la relation entre les deux peut être représentée de la façon suivante :

Pour être considéré comme du tourisme d’aventure, une activité ou un produit se doit d’incorporer trois éléments (Weaver, 2001) :

  • Un élément de risque;

  • Un haut niveau d’effort physique;

  • Un besoin pour le touriste de posséder des habiletés spécialisées pour participer de façon sécuritaire à l’activité.

Pour Lequin (2001 ; 13),

 » le tourisme d’aventure correspond généralement à une activité de plein air qui se pratique dans des zones naturelles peu développées où la nature sert de support, mais ne constitue pas un objectif en soi, contrairement à l’écotourisme. Il existe ainsi une différence d’attitude fondamentale entre l’observation de la nature, comme c’est le cas pour l’écotourisme, et la conquête de celle-ci, dans le cas du tourisme d’aventure. En somme, ces deux formes de tourisme recherchent un environnement de qualité mais pour des motifs différents : l’une pour observer la nature et l’autre pour la conquérir « .

Certaines formes d’écotourisme peuvent être considérées comme du tourisme d’aventure. Par contre, pour plusieurs raisons, en général le tourisme d’aventure ne se qualifie pas comme écotourisme (Weaver, 2001). Premièrement, plusieurs activités de tourisme d’aventure ne sont pas axées sur la nature. Ensuite, comme c’est le cas pour le tourisme axé sur la nature, cette forme de tourisme ne nécessite pas de répondre à des critères de durabilité. Une autre distinction concerne la nature de l’interaction entre le participant et l’attraction touristique: alors que l’écotouriste recherche une expérience éducative, le touriste d’aventure désire en premier lieu un environnement qui va faciliter le risque et l’effort physique tant recherchés (Weaver, 2001).

Bien que l’écotourisme comporte généralement une composante culturelle, il n’est pas pour autant synonyme de tourisme culturel. Alors que ce dernier met l’emphase sur la composante culturelle, dans l’écotourisme, cet élément est la plupart du temps secondaire (Weaver, 2001). De plus, comme on le devine assez bien, l’expérience du tourisme culturel ne repose pas nécessairement sur le milieu naturel (la tournée des musées de Florence, par exemple). Considérant que tourisme d’aventure et tourisme culturel peuvent parfois s’entremêlés, comme c’est parfois le cas, par exemple, lors d’une activité de chasse en milieu autochtone où les techniques traditionnelles sont partagées avec les touristes, nous pouvons illustrer leur relation avec l’écotourisme de la façon suivante :

Les lieux privilégiés par l’écotourisme

En mettant l’emphase sur la protection de l’environnement naturel, les aires protégées5 deviennent des lieux privilégiés pour l’écotourisme, lequel dépend en grande partie des ressources naturelles (Lawton, 2001). Par contre, la rareté de ces espaces, leur caractère exceptionnel et la soif des marchés pour des produits de plus en plus exclusifs et pour des milieux naturels intacts commandent une grande vigilance dans leur utilisation (Couture, 2002). Selon Goodwin (1996), l’écotourisme peut faire profiter les aires protégées de trois façons : en générant de l’argent pour gérer et protéger les habitats naturels et les espèces, en donnant la chance aux communautés locales de faire des gains économiques grâce aux aires protégées et en offrant un moyen par lequel l’intérêt des gens pour la conservation peut être accru.

De plus en plus, l’écotourisme est perçu comme la meilleure façon de concevoir le tourisme dans ces lieux souvent fragiles et sensibles aux perturbations humaines. À ce point que l’écotourisme fait, dans certains pays, son apparition dans les aires protégées strictes6 alors qu’il y était généralement banni. C’est le cas en Russie par exemple, où suite à la chute du communisme, le support du gouvernement russe aux aires protégées a diminué de 60-90% (Ostergren, 1999). L’écotourisme est ainsi vu comme un outil acceptable pour financer leurs activités de base, soit la recherche et la conservation des écosystèmes (Moralyova et Ledovskikh, 1999). Cependant, parce qu’il y a des raisons culturelles et spirituelles pourquoi ces populations s’engagent dans de telles pratiques, leurs proposer des sources alternatives de revenus est souvent une stratégie simpliste et qui a peu de succès (Michaelidou et al., 2002; 607).

La pratique de l’écotourisme n’est pas strictement limitée à ces aires protégées publiques. Il existe par exemple tout un réseau planétaire d’aires protégées privées, une des plus connues étant probablement The Monteverde Cloud Forest Preserve, au Costa-Rica. Cette réserve est née en 1973 grâce à des dons privés et elle est aujourd’hui opérée par le centre des sciences tropicales de San José (Wearing et Neil, 1999). Avec les années, elle est devenue une des destinations les plus populaires du pays.

Dans la mesure où ses principes sont respectés, l’écotourisme devrait pouvoir se pratiquer partout où l’on retrouve un milieu naturel adéquat et capable de supporter la pression des visiteurs. L’avantage des aires protégées est que leur organisation souvent bien structurée facilite la gestion des activités touristiques, limitant les effets négatifs éventuels sur l’environnement naturel et socioculturel.

Les impacts de l’écotourisme

De par ses caractéristiques propres, l’écotourisme devrait s’accompagner de retombées positives sur l’environnement naturel et socioculturel. Dans ces conditions, la mesure des coûts et des avantages économiques, écologiques et sociaux de l’écotourisme est différente de celle du tourisme traditionnel ou de masse. Les ratios habituels, notamment en terme de rentabilité économique, doivent pouvoir être apprécier dans un contexte différent qui évalue les retombées de l’activité de l’écotourisme non seulement en terme de rentabilité financière mais peut être surtout en terme d’impact sur le revenu, l’activité et les conditions sociales des populations locales (OMT et PNUE, 2002).

Avec la croissance rapide de l’écotourisme au niveau international, on prend de plus en plus conscience des impacts de cette activité. Bien sûr, ceux-ci vont dépendre de la façon dont on va définir cette forme de tourisme (Buckley, 2001). On peut tout de même dresser une liste, non exhaustive, des effets hypothétiques de l’écotourisme, tant positifs que négatifs, au niveau économique, socioculturel et environnemental. Ceux-ci sont résumés dans le tableau 2 et certains aspects qui leur sont liés seront discutés plus en détail par la suite.

Impacts environnementaux

Le tourisme est souvent perçu comme responsable de la dégradation du milieu naturel, du moins en partie (Lequin, 2001). La mesure des coûts et avantages écologiques des projets touristiques constitue ainsi un des enjeux majeurs de l’écotourisme. En effet, l’écotourisme représente une des rares formes de développement touristique qui, sous certaines conditions, peut favoriser la protection des zones naturelles grâce aux programmes de conservation qu’il suscite et qu’il peut financer (OMT et PNUE, 2002).

Tableau 2 : Coûts et bénéfices hypothétiques de l’écotourisme. Source : traduction libre de Sarrasin (2002), à partir de Weaver (1998).

Pour cela, les outils de mesures des coûts et avantages écologiques sont largement des indicateurs composites qui permettent de déterminer la pression et l’intensité d’utilisation des sites d’écotourisme. L’OMT a défini trois indicateurs composites qui sont particulièrement bien adaptés à la mesure des coûts et avantages écologiques de l’écotourisme. Il s’agit de :

  • Indicateur de capacité de charge : Cet outil de mesure composite permet de déterminer le nombre maximum de touristes par site en tenant compte de l’intensité d’utilisation en période de pointe. Cet indicateur peut être calculé à partir des indices de protection des sites naturels et permet de donner l’alerte sur la capacité du site de supporter différents niveaux de fréquentation d’écotourisme.

  • Indicateur de perturbation de site : Cet outil permet de réaliser une mesure composite des niveaux d’impact sur le site compte tenu des particularités naturelles et écologiques. Il s’agit de répondre à la question de savoir dans quelle mesure l’écotourisme malgré toutes les précautions prises vis-à-vis du milieu naturel a néanmoins un impact négatif sur l’environnement et lequel. Ceci doit permettre d’indiquer quelles sont les mesures à prendre en fonction du degré de perturbation des sites utilisés par l’écotourisme.

  • Indicateur d’intérêt écologique : Cet outil doit permettre de mesurer les particularités écologiques du site qui le rendent attrayant pour l’écotourisme et qui peuvent changer avec le temps et la fréquentation touristique. Il s’agit principalement d’un indicateur qualitatif qui joue un rôle très important pour s’assurer de la pérennité des investissements liés au développement de l’écotourisme (OMT et PNUE, 2002 ; 113).

L’intérêt de ces différents indicateurs est qu’ils permettent d’assurer une véritable surveillance écologique des produits d’écotourisme et permettent également d’avoir une vision globale des différents produits créés sur un même espace géographique par plusieurs opérateurs (OMT et PNUE, 2002).

Il serait beaucoup trop fastidieux de nommer et décrire tous les effets négatifs pouvant être causés par l’écotourisme. Hvenegaard (1994) décrit par exemple une série d’impacts environnementaux négatifs causés par le tourisme lors de leur visite dans les aires protégées : développement abusif, activités récréatives non contrôlées, perturbation de la faune, pollution, érosion. Cependant, ce qui est intéressant à noter, c’est que ces effets sont plus sérieux pour l’écotourisme que pour d’autres formes de tourisme, car celui-ci est très dépendant de la qualité de l’environnement (Page et Dowling, 2002).

Impacts économiques

De par son emphase sur les voyages individuels ou en petits groupes, il serait utopique de croire que l’écotourisme puisse insuffler une vigueur nouvelle à l’économie d’un pays en difficulté. Cependant, nous pouvons reconnaître le fort potentiel de cette activité à améliorer l’économie locale. Parmi les bénéfices de l’industrie écotouristique, la création d’emploi pour les gens des communautés est souvent mentionnée et sert généralement d’indicateur de base. Cependant, bien que souvent des emplois soient effectivement créés, se sont la plupart du temps des emplois secondaires, sous payés et saisonniers. Fortin et Gagnon (1999) l’ont démontré dans une étude sur la création du parc du Saguenay, au Québec, alors que les meilleurs emplois étaient détenus par des travailleurs venant des centres urbains extérieurs aux communautés.

Dans tout projet écotouristique, les retombées économiques peuvent avoir une importance toute particulière pour les populations locales. Toutefois, les exemples montrent que ces avantages ne prennent de la consistance qu’après de nombreuses années. Des études de cas démontrent par ailleurs qu’à court terme les recettes de l’écotourisme sont modestes et ne suffisent pas à financer la protection de l’environnement voulue pour conférer une haute qualité aux produits écotouristiques (OMT et PNUE, 2002). Elles révèlent en outre qu’il est très difficile d’assurer la répartition des avantages financiers entre les intervenants du secteur privé et du secteur public (OMT et PNUE, 2002). De plus, bien que l’écotourisme ait un fort potentiel à générer des bénéfices économiques, une grande proportion de cet argent est plus souvent qu’autrement dépensée au lieu d’origine des touristes (pour les billets d’avion par exemple) (Wall, 1994, dans Page, 2002). Ainsi, les impacts économiques de l’écotourisme ne sont pas toujours substantiels et peuvent même ne pas être positifs du tout (Page, 2002; Honey, 1999).

Plusieurs pays ont choisis de se tourner vers l’écotourisme afin de contribuer au développement économique de communautés vivant dans des régions souvent non touchées par les efforts de développement plus traditionnel en raison de leur éloignement des grands centres urbains (Lindberg, 1998). Il ne faut pas oublier que la contribution de l’écotourisme à l’économie locale ne dépend pas uniquement de l’argent qui entre dans la région mais aussi et surtout de la part de cet argent qui va demeurer sur place (Page, 2002). Les fuites de capitaux sont monnaie courante dans les projets de développement touristique et une des meilleures façons d’éviter la chose serait, encore une fois, d’impliquer les communautés à toutes les étapes.

En somme, l’écotourisme a le potentiel d’améliorer l’économie des communautés locales ou d’aider à financer les activités en cours à l’intérieur des aires protégées, mais on se demande toujours jusqu’à quel point cet objectif peut être effectivement atteint (Lindberg, 1998).

Impacts socioculturels

Les impacts socioculturels sont souvent plus difficiles à identifiés et à quantifier que ceux des deux autres domaines. À partir de quel moment, par exemple, une communauté est-elle en train de voir ses traditions s’effriter en raison du tourisme? Comment déceler une modification de la structure sociale qui serait amorcée par les voyageurs? Pour aborder cette question complexe, il est approprié de la définir d’abord. Selon Fox (1977) cité dans Mathieson et Wall (1982) :

 » Les impacts sociaux et culturels du tourisme sont les façons par lesquelles le tourisme contribue aux changements dans les systèmes de valeur, les comportements individuels, les relations familiales, les modes de vie collectifs, le niveau de sécurité, la conduite morale, les expressions créatives, les cérémonies traditionnelles et l’organisation des communautés7 « .

L’analyse des impacts socioculturels de l’écotourisme implique donc l’analyse de trois éléments principaux (Page, 2002), soient :

  • l’écotouriste, particulièrement sa demande pour des services, son attitude, ses attentes et ses activités;

  • la communauté hôte, spécialement son rôle et son attitude face aux services requis par les touristes et ses inquiétudes concernant les impacts des visiteurs sur leurs modes de vie traditionnels;

  • la relation entre l’écotouriste et la communauté hôte, cette relation étant par ailleurs transitoire, limitée dans le temps et l’espace, souvent dépourvue de spontanéité et inégale (UNESCO, 1976)

Selon Lequin (2001 ; 24), un des impacts les plus néfastes que la présence des touristes peut avoir sur les communautés locales est sans contredit la commercialisation des rites culturels traditionnels, comme l’observation des cérémonies religieuses. C’est ce qu’on appelle l' »effet de jardin zoologique », parce qu’il n’y a aucune interaction entre les visiteurs et les visités. À l’opposé, il arrive que dans certaines régions, le Grand Nord canadien par exemple, le tourisme constitue un instrument de revivification ou de revalorisation de pratiques culturelles parfois oubliées des autochtones, et contribue ainsi à redonner une fierté et à reconstruire une identité collective. Un bon exemple de ces retombées positives est donné par Pardes (2002) où des Inuits du Grand Nord canadien, près de Bathurst, suite à la prise en charge du petit marché écotouristique, se sont réappropriés leur culture.

Des attitudes ou actions en apparence banales pourront par exemple avoir des conséquences imprévues et irréversibles sur la structure sociale ou les traditions de communautés isolées. En raison de leur subtilité, nous devons rester vigilants face aux effets pervers de l’écotourisme sur le plan socioculturel et poursuivre les recherches dans ce domaine.

La recherche en écotourisme

La recherche en écotourisme en est encore à ses premiers pas, avec moins d’une vingtaine d’années derrière elle. Une des premières conséquences de cette relative jeunesse se traduit par l’absence d’un cadre théorique fort, obligeant ainsi les chercheurs à aller puiser à l’intérieur d’autres disciplines, tant en sciences sociales qu’en sciences naturelles (Ross et Wall, 1999; Fennell, 2001; Bachman et Morais, 2001). Fennell (2001) ajoute :

 » La chose intrigante avec l’écotourisme c’est qu’il fait le pont entre le royaume des sciences sociales et celui des sciences naturelles. Bien que ce soit fort excitant, cela se présente également comme un défi, celui de trouver un terrain commun afin de donner un sens et une direction à ce nouveau champ de recherche8 « .

Il arrive souvent que les chercheurs n’effectuent que quelques courts séjours d’observation et de recherche dans une destination précise. Cependant, plusieurs d’entre eux ne reconnaissent pas les limites de leurs travaux et assument même avoir capturé l’essence de la culture qu’ils viennent de visiter (Backman et Morais, 2001). Il est également fréquent que ceux-ci s’attachent à cette destination et vont ainsi recueillir et interpréter des données sur une base plutôt subjective (Backman et Morais, 2001). On comprend alors qu’il est nécessaire d’aborder tout travail de terrain en écotourisme avec une certaine prudence.

L’utilisation d’une approche qualitative peut être très utile à l’intérieur de ce champ de recherche en raison du manque de connaissances et du besoin de comprendre le sens du phénomène, qui n’obéit pas aux théories développées sous la bannière du tourisme de masse. Cependant, plusieurs des études qualitatives en écotourisme sont caractérisées par une méthodologie déficiente (Bachman et Morais, 2001). Comme c’est le cas dans d’autres domaines, la recherche en écotourisme gagnerait à croiser, dans le cadre d’une même étude, des méthodes quantitatives et qualitatives.

Conclusion

(…) like the golden toad, genuine ecotourism is hard to find. (Honey, 1999; 5)

Avec l’industrie du tourisme propulsée en position de tête en terme de retombées économiques au niveau international et l’éveil de la population mondiale à l’importance de respecter et conserver le milieu naturel, l’écotourisme a vu sa popularité croître de façon phénoménale depuis la fin des années 1980. Malgré sa relative jeunesse, l’écotourisme a su conquérir en peu de temps et le coeur et la tête de bien des gouvernements, ONG, communautés, intervenants en tourisme et chercheurs. Encore perçu à tort ou à raison comme une panacée aux problèmes de développement durable en milieu naturel et en régions isolées, l’écotourisme véritable est cependant bien difficile à dénicher. Cette forme de tourisme emprunte trop souvent l’apparence du tourisme axé sur la nature ou d’aventure, laissant ainsi tomber les principes de bases qui sont des traits essentiels de sa personnalité. Devenu un outil de marketing fort puissant, l’écotourisme ainsi noyé parmi d’autres projets touristiques à plus faible  » valeur ajoutée  » perd de son utilité comme outil alternatif de développement.

L’écotourisme fait rêver. Le voyageur se voit plongé dans une jungle luxuriante au coeur d’une aire protégée abritant des espèces rares et colorées. La communauté se voit reprendre possession de ses traditions et contrôler enfin son avenir. Le gouvernement se voit empocher une partie des bénéfices financiers tout en répondant à son désir profond d’adhérer aux principes d’un développement durable. Pour que ces rêves deviennent réalité, il faudra multiplier les efforts de consultation et de recherche afin de dissiper l’épais brouillard dans lequel baigne toujours l’écotourisme. Malgré les doutes et les remises en questions qui secouent aujourd’hui ce domaine de recherche, l’écotourisme demeure une piste riche à explorer afin de concilier le développement socioéconomique de nos sociétés et la protection de l’environnement.

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