Co-auteur du 6ème rapport du GIEC, François Gemenne s’est spécialisé dans les questions de migrations environnementales et climatiques. Alors que la COP30 approche, le contexte géopolitique instable risque de rendre ces négociations pour le climat très complexes. Quel futur peut-on imaginer pour le multilatéralisme, le statut de réfugié climatique, ou encore la justice climatique ? Dans un entretien avec GoodPlanet Mag’ réalisé à l’occasion de l’inauguration de l’exposition Migrations et climat, dont il est membre du Conseil Scientifique, François Gemenne revient sur les enjeux de la COP30.
Où en sont les négociations climatiques ? Peut-on espérer des avancées concrètes ou s’agira-t-il d’une COP de transition ?
La COP30, organisée par le Brésil, est notable dans le calendrier. En effet, le Brésil est à la fois un acteur majeur des négociations et un lieu symbolique. Ce pays est très important, car il a mis beaucoup de crédit politique pour l’organisation de cette COP. Elle se tiendra aux portes de l’Amazonie, un lieu symbolique, et abordera des thèmes peu traités jusqu’ici dans les autres COP, comme la déforestation et l’agriculture, responsables d’un quart des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
«La COP30 marque aussi les dix ans de l’Accord de Paris »
La COP30 marque aussi les dix ans de l’Accord de Paris. Ce n’est pas juste une question d’anniversaire, puisque tous les 5 ans, les pays doivent revoir à la hausse leurs engagements. C’est une deuxième échéance pour le réengagement des pays. Mais le contexte géopolitique est extrêmement compliqué : le retrait américain soulève des incertitudes, et on ne sait même pas si une délégation sera envoyée à Belém.
« La Chine semble aujourd’hui en tête de la transition climatique »
La Chine semble aujourd’hui en tête de la transition climatique, tandis que les États-Unis font marche arrière. Ça aurait été très difficile à imaginer il y a 10 ans. On aurait pu croire qu’il allait y avoir un progrès inéluctable de la transition. Beaucoup de pays, tout comme l’Europe, se retrouvent pris entre deux feux. Ce contexte géopolitique complique la coopération internationale.
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Ce retrait des États-Unis remet-il en cause l’efficacité du multilatéralisme climatique ?
C’est une question qui évidemment dépasse le cadre des négociations climat. Les États-Unis se sont retirés de plusieurs organisations internationales, de l’OMS, de l’UNESCO… Cela doit nous inviter à avoir un autre regard sur le multilatéralisme : ne plus le concevoir uniquement entre gouvernements, basé sur une idée d’unanimité et de consensus.
« nous inviter à avoir un autre regard sur le multilatéralisme : ne plus le concevoir uniquement entre gouvernements »
Il va falloir regarder dans d’autres directions, en incluant d’autres acteurs comme les grandes villes ou les agglomérations. Il faut aller vers un multilatéralisme multi-acteurs, et pas juste les gouvernements. D’autre part, il va falloir sortir de cette logique de consensus, pour permettre à des plus petites coalitions d’Etats volontaires d’avancer sur certains sujets. Je dis souvent que si on avait attendu l’unanimité en Europe pour créer une monnaie unique (l’euro), nous paierions encore en francs français ou en lires italiennes.
« il va falloir sortir de cette logique de consensus, pour permettre à des plus petites coalitions d’Etats volontaires d’avancer sur certains sujets »
Vous travaillez depuis longtemps sur les migrations environnementales. Où en est la reconnaissance du statut de réfugié climatique ? Peut-on espérer une avancée à la COP30 ?
Cela fait une vingtaine d’années que je travaille sur ce sujet. Le statut de réfugié climatique revient régulièrement dans les débats, mais il y a un vide juridique. Je ne pense pas qu’il y aura des avancées à la COP30 sur ce statut, surtout alors même que certains États veulent complètement remettre en cause la Convention de Genève de 1951. Ce n’est sans doute pas le bon moment pour discuter d’une réouverture de cette convention.
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« En revanche, des progrès sont possibles sur les pertes et dommages, avec des accords régionaux, bilatéraux, et des solutions locales et régionales »
En revanche, des progrès sont possibles sur les pertes et dommages, avec des accords régionaux, bilatéraux, et des solutions locales et régionales. Cela rejoint l’idée d’un multilatéralisme plus souple, qui ne promeut pas une seule et unique solution pour l’ensemble des pays. Ainsi, on pourrait se diriger vers davantage de mécanismes régionaux et locaux, avec des Etats plus volontaristes. Cette approche pousse la recherche de solutions.
Les populations les plus touchées par le changement climatique sont souvent les moins responsables des émissions. Comment intégrer davantage de justice climatique dans les décisions qui seront prises durant la COP30 ?
Ce constat de l’injustice est vrai à la fois à l’échelle internationale et à l’intérieur de nos pays. On sait que les ménages les plus pauvres sont les plus exposés aux impacts du dérèglement climatique. Ces injustices sont décuplées au niveau international, avec les pays les plus pauvres qui sont aussi les moins responsables.
« La justice climatique ne doit pas être seulement une question morale, mais aussi une condition d’efficacité des politiques »
On a parfois fait de cette question de justice, d’équité, un principe de valeur morale, qui est évidemment important. Mais il faut réaliser aujourd’hui qu’il s’agit surtout d’un principe d’efficacité. La justice climatique ne doit pas être seulement une question morale, mais aussi une condition d’efficacité des politiques. Si les politiques ne sont pas équitables et n’intègrent pas cette question de justice climatique, alors elles ne seront pas efficaces non plus. Cette question d’efficacité est à mon sens très importante.
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Pensez-vous que l’Europe ou la France sont prêtes à intégrer davantage ces questions de justice climatique dans le débat migratoire ?
Pour le moment, il est clair que non. Le débat actuel tend à considérer ces migrations comme un risque futur, alors qu’elles sont déjà une réalité. De plus, nous sommes dans une logique de fermeture très forte. Le sujet devient de plus en plus idéologisé, il devient une sorte de marqueur idéologique un peu symbolique.
« considérer ces migrations comme un risque futur, alors qu’elles sont déjà une réalité »
Pourtant, certaines migrations peuvent être des stratégies d’adaptation, elles peuvent être organisées et gérées. Ce n’est pas le chaos migratoire annoncé par certains, avec des chiffres comme des millions ou des milliards de personnes déplacées. C’est une réalité protéiforme, qu’il est possible de gérer. Il faudrait faire évoluer le débat public sur ces questions.
Propos recueillis par Violette Cadrieu
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