
Il y a quarante ans, le 26 décembre 1985, la primatologue spécialiste des gorilles Dian Fossey était assassinée au Rwanda. Elle avait alors 53 ans. Ses travaux ont contribué à changer la perception qu’on a des gorilles. Dian Fossey œuvrait aussi pour leur protection. En 1988, le film Gorille dans la brume retrace la vie de Dian Fossey incarnée par Sigourney Weaver.
Avec Jane Goodall, décédée en 2025, et Biruté Galdikas, Dian Fossey fait partie des trimates (jeu de mots avec trio et primates) ou des Anges de Leakey, du nom de leur mentor commun. Ces trois scientifiques exceptionnelles ont révolutionné la science et les connaissances sur les animaux, notamment les singes… Le photographe Yann Arthus-Bertrand, par ailleurs président fondateur de la Fondation GoodPlanet avait raconté dans une interview à GoodPlanet Mag’, sa rencontre avec Dian Fossey en décembre 1985, quelques jours avant sa mort. Nous vous proposons donc de (re)lire cet entretien publié en 2020 dans lequel le photographe raconte sa visite du camp de Dian Fossey, comment il a pu voir les gorilles et comment ceux-ci l’ont aidé à soigner un mal de dos.
Dans quel contexte as-tu rencontré Dian Fossey ?
J’ai reçu une commande du magazine « ça m’intéresse » qui souhaitait un reportage sur elle. Je n’avais pas encore 40 ans, j’étais photographe animalier, pour moi c’était un rêve de rencontrer une telle scientifique dans la réserve qu’elle avait créée au Rwanda. Malheureusement, juste avant mon départ, je me suis fait très mal au dos. Je suis parti tout de même, mal en point et gavé de paracétamol.
À cette époque, Dian Fossey avait 53 ans et était installée en Afrique depuis de nombreuses années. À quoi ressemblait son camp près des gorilles ?
Elle vivait dans une maison en bois, très simple, avec des photos de gorilles partout. Mais elle était affaiblie : elle souffrait d’un cancer du poumon, était essoufflée et ne pouvait plus aller dans la montagne voir les gorilles. Elle était un peu amère également, car ses travaux n’étaient pas encore reconnus et aussi parce qu’elle devait continuellement chercher de l’argent pour les financer. Et puis elle n’avait pas très bon caractère ! Mais elle m’a reçu très gentiment : je me souviens qu’elle avait préparé un gâteau au chocolat.
Si elle ne pouvait plus grimper, tu es donc allé voir les gorilles tout seul ?
Oui, avec deux conseils : ne pas les regarder en face et éviter de s’approcher des petits. Je les apercevais au loin quand il s’est mis à pleuvoir et je me suis installé dans une clairière, trempé, me demandant un peu ce que je faisais là. Et puis la pluie s’est arrêtée et ils sont venus se sécher dans la clairière. Je les avais autour de moi, énormes. Un mâle a fait une parade d’intimidation, je n’ai pas bougé et je baissais les yeux. D’autres se sont approchés, ils ont fouillé dans mes poches. Et puis l’un d’eux a posé sa tête sur mon pied et s’est endormi en ronflant ! C’était incroyable… J’en ai pleuré d’émotion. Pendant un certain temps, je n’ai même pas pris de photos, j’ai vécu pleinement cet instant magique. Dian m’a confirmé que j’avais été chanceux d’observer un tel comportement. Je suis retourné à la rencontre des gorilles tous les jours pendant 2 semaines.

Tu racontes souvent une anecdote à propos de ton mal au dos ? Que s’est-il passé ?
Je souffrais encore beaucoup après plusieurs jours : le « garde sorcier » de Dian avait bien dit des incantations et il m’avait même massé, mais ça n’avait pas été très efficace… Lors d’une sortie, un mâle a profité de l’absence du mâle dominant pour me faire à son tour une parade d’intimidation et m’asséner un grand coup sur le dos ! Ce jour-là j’étais monté avec un scientifique qui a immortalisé l’instant. En fait, le gorille a dû me remettre une ou deux vertèbres en place : je n’ai plus eu mal après son intervention !
Dian Fossey te demandait-elle des comptes-rendus ?
Elle m’avait demandé de photographier chaque individu, et de récolter leurs crottes aussi, à partir desquelles elle pouvait les différencier et savoir s’ils souffraient de certaines maladies. Le soir, elle projetait des diapositives et me montrait tel ou tel gorille en me demandant si je l’avais vu dans la journée. Elle m’a fait visiter le cimetière qu’elle avait installé pour eux près de son camp, et où elle est enterrée. Elle y repassait régulièrement au feutre les noms des animaux, qui s’effaçaient sur les tombes en bois.

Dian a été assassinée deux jours après ton départ. Que t’évoque-t-elle encore aujourd’hui ?
Pour moi, elle est une héroïne de l’environnement, comme Jane Goodall avec les chimpanzés ou Biruké Galdikas et les orang outangs. On appelait d’ailleurs ces trois primatologues les « Trimates » . Dian a valorisé une approche des animaux par les sens, elle a vécu sur leur terrain : sur le plan scientifique, c’était très nouveau. Et elle n’a jamais renié l’attachement qu’elle avait pour eux. Après sa mort, son visage a été imprimé sur des billets de banque : elle est devenue une figure aimée des Rwandais et son travail a enfin été reconnu.
Propos recueillis par Sophie Noucher
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