Odyssée bas carbone : les nouveaux récits, une utopie mobilisatrice


Danseurs sur les quais de Seine, Paris, France ©Yann Arthus Bertrand

Avons-nous tous un écolo qui sommeille en nous ? Sommes-nous condamnés à regarder la planète brûler sans aucune solution ? Pour ce dernier épisode, notre journaliste a voulu en savoir plus sur ces nouveaux récits écologiques qui montrent qu’un monde plus vert est possible.

À travers la série estivale L’Odyssée bas carbone, GoodPlanet Mag’ questionne les contradictions, les choix et les solutions apportées à la crise écologique. Des nouvelles manières de voyager, du sport à la mode en passant par ceux qui tentent de changer le monde du travail de l’intérieur, L’Odyssée bas carbone explore comment, individuellement ou collectivement, des personnes aux profils variés tentent de répondre à leur manière aux enjeux de l’époque.

65 % des Français estiment que face au changement climatique, les conditions de vie deviendront extrêmement pénibles d’ici cinquante ans selon la dernière enquête sur Les représentations sociales du changement climatique de l’Ademe. Ainsi, en dix ans, entre 2014 et 2024 le pessimisme des Français face au changement climatique a augmenté de dix points. Comment se mobiliser pour un monde plus désirable si ce dernier n’est même pas imaginable ?

Pour tendre vers une réalisation des objectifs de transition écologique, il semble essentiel d’explorer de nouveaux imaginaires collectifs. Les nouveaux récits écologiques paraissent alors être une solution contre le pessimisme ambiant. Leur définition varie d’une personne à l’autre. Célia Fontaine, co-fondatrice de la Fresque des Nouveaux Récits, les décrit comme « ce qui permet de se projeter vers un avenir qui soit à la fois désirable et compatible avec ce qu’on appelle les limites planétaires qui montrent qu’on ne peut pas continuer à consommer sur une planète aux ressources qui sont limitées. »

Les récits dominants freinent l’action

Ces récits alternatifs proposent donc d’autres visions du monde et de l’avenir que celles véhiculées par les récits dominants actuels. En effet, face aux récits dominants qui ont tendance à donner une vision négative et catastrophique de l’avenir, les nouveaux récits tendent, eux, vers plus d’espoir et de positivisme. « Souvent, on se met des barrières, on est très influencé par les récits existants en se disant, “on a toujours fait comme ça, donc il ne faut pas changer” » explique Célia Fontaine. Ainsi, les récits dominants peuvent devenir des freins à l’action. « Les récits dits « dominants » actuels sont les normes sociales majoritaires (on appelle normes sociales l’ensemble de règles de conduite accepté et appliqué par la plupart des membres d’un groupe social donné) que tout le monde suit sans trop se poser de questions. Or ces normes, comme par exemple la fast fashion, sont souvent écocidaires, néfastes pour l’environnement. Il faut donc remplacer les normes sociales dominantes qui détruisent nos écosystèmes par de nouvelles normes sociales respectueuses du Vivant » précise Célia Fontaine.

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Yannick Roudaut, éditeur aux éditions La Mer Salée, l’explique par leur côté dystopique. « Quand on allume toutes les plateformes de diffusion aujourd’hui, dans 9 cas sur 10, c’est un monde totalement numérisé, il n’y a plus de nature, c’est un monde de violence. C’est glauque, c’est sordide ! Cela contribue au fait qu’il y a autant de dépressions chez les jeunes. Parce qu’on ne leur ouvre pas un champ des possibles enthousiasmant sur les 20 ans à venir. »

« le futur sera tel que nous l’imaginons »

Les nouveaux récits permettraient donc se projeter et se mobiliser pour un avenir plus durable. Célia Fontaine alerte sur les risques liés aux récits pessimistes : « On a vraiment besoin de regarder les choses différemment, avec des lunettes plus positives. Parce que sinon, le risque est de se dire “foutu pour foutu, autant profiter jusqu’au bout des dernières ressources qui nous restent, exploitons les forêts, exploitons les océans, exploitons tout ce qu’on peut.” Et puis, après nous, le déluge ».

La Fresque des Nouveaux Récits, un atelier pour imaginer un avenir désirable

Permettre d’imaginer un avenir désirable est l’objectif de la Fresque des Nouveaux Récits. « C’est un espace où l’on peut se projeter, se laisser aller à rêver, parce que ça aussi, c’est important : pour créer une société différente, il faut d’abord commencer par l’imaginer. Le futur sera tel que nous l’imaginons. » explique Célia Fontaine, co-fondatrice de la Fresque. La Fresque se découpe en deux parties. La première partie a pour objectifs de prendre conscience que « l’espèce humaine est une espèce fabulatrice », que les récits dominants « sont des verrous à la transition » et que « bonne nouvelle : les nouveaux récits peuvent agir comme des clés sur ces verrous » explique Benoît Rolland de Ravel, co-fondateur de la Fresque.

Les ateliers de la Fresque des Nouveaux Récits se font en deux temps. ©Fresque des Nouveaux Récits

La deuxième partie de l’atelier est la mise en place de ces idées dans la création collective d’un nouveau récit. « Le message est de montrer qu’un petit groupe de trois à quatre personnes peut réussir à faire quelque chose qui semble difficile, voire impossible seul, à savoir la création d’un nouveau récit en un temps limité » continue-t-il.

L’utopie, un prérequis au changement

Imaginer ce monde désirable est le début de l’action. Pour Julien Vidal, initiateur du podcast et des ateliers les 2030 Glorieuses, « Tant qu’on n’a pas imaginé vers quel avenir désirable on a envie de se diriger, on est moins enclin à le faire advenir. C’est au moment où on imagine cet avenir, qu’on est en mesure d’activer les leviers qui vont faire en sorte que cette idée-là va pouvoir se concrétiser ». Interviennent alors les utopies que le créateur des 2030 Glorieuses voit comme « une étincelle du changement, un prérequis qui ne peut pas être évité pour agir vraiment à la hauteur des enjeux environnementaux et sociétaux ».

« Toutes les utopies ne se réalisent pas, mais un monde qui existe a été une utopie au départ »

Inventée par Thomas More en 1516 dans son livre éponyme, l’utopie est la contraction des termes grecs « ou » signifiant « non » et « topos » signifiant « lieu ». L’utopie est donc ce qui n’a pas lieu. Mais si l’utopie fait référence à un monde imaginaire et désirable, elle n’en est pas moins réaliste et sérieuse comme le rappelle Yannick Roudaut. « Toutes les utopies ne se réalisent pas, mais un monde qui existe a été une utopie au départ. Les congés payés, le droit de vote des femmes, la sécurité sociale ont été des utopies». ».

L’imagination, le premier pas vers l’action

Pour que les utopies deviennent réalité, il faut commencer par les imaginer. C’est, pour les éditions La Mer Salée, le rôle de la fiction. Si les dystopies sont bannies de sa ligne éditoriale, la maison d’édition ne se revendique pas pour autant d’un « optimisme béat ». « On est lucides, on prend acte de toutes les problématiques sociétales, de la catastrophe climatique et de l’effondrement de la biodiversité  en cours. Néanmoins, ne baissons pas les bras, il y a peut-être des brèches de lumière, des pistes d’espoir qu’on peut exploiter et mettre en avant parce qu’on reste convaincus que les récits ont une force incroyable » estime son co-fondateur et éditeur Yannick Roudaut.

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Dans certains cas, les utopies sont déjà devenues réalité avec des personnes qui agissent pour un avenir désirable. « Il y a des récits, des histoires qui existent et qui fonctionnent. Des personnes qui n’ont pas attendu l’effondrement pour s’organiser, pour mettre la coopération et la solidarité au centre. » affirme Célia Fontaine, en prenant pour exemple le documentaire Demain de Cyril Dion dans lequel on peut voir des personnes agir sur le terrain pour faire de leurs utopies une réalité.

La fiction, un outil au service des utopies

Mais alors le réel est-il suffisant ou faut-il entrer dans la fiction pour trouver la force de se mobiliser pour un avenir plus désirable ? Pour l’éditeur, fiction et réalité sont complémentaires. Si le réel permet de faire preuve de lucidité et de « prendre acte de la situation », les récits documentaires et les rapports ou études scientifiques ne se suffisent pas à eux seuls. « C’est au monde culturel d’ouvrir un champ des possibles, pour donner envie de se mobiliser. Parce qu’on ne va pas le faire sur un rapport du GIEC, on le voit bien, ça ne marche pas. Voilà plus de 30 ans, que les premiers reportages ont été faits, les premiers documentaires. Résultats ? Le public se sent un peu démuni, impuissant. C’est tellement énorme, ça nous dépasse tellement qu’un être humain normalement constitué se demande ce qu’il peut faire son échelle sans trouver de solution satisfaisante » explique Yannick Roudaut.

La Fresque des Nouveaux Récits a déjà accompagné plus de 18 000 personnes. ©Fresque des Nouveaux Récits

Si les petits gestes individuels comme le tri sélectif ou la consommation responsable ont longtemps été mis en avant, ils ne se suffisent plus à eux seuls. « On se rend bien compte aujourd’hui que ce n’est pas suffisant. On en est plus à la sensibilisation. Il va falloir vraiment une grosse bifurcation pour que les choses aillent beaucoup mieux. Et le seul moyen d’y parvenir, est de montrer qu’on peut agir tant à titre individuel que collectif. Il faut mettre ces actions en scénario, en récit, dans un futur relativement proche, en donnant à voir un autre monde. En faisant abstraction des obstacles du quotidien, on commence à donner naissance à ce monde utopique » affirme Yannick Roudaut.

Ne pas sous-estimer la force du collectif

L’une des forces de ces nouveaux récits réside donc dans le collectif. La coopération est un élément clé de la Fresque des Nouveaux Récits. « Parce que face à un problème systémique, comme les problèmes sociaux et environnementaux auxquels on est confrontés, on peut se sentir impuissant. La dynamique créée par la deuxième partie de la Fresque, contribue à nourrir le sentiment de pouvoir agir » explique Benoît Rolland de Ravel, l’un de ses fondateurs. « Ce qui me paraît assez important, est de développer plus la dimension humaine à la fois individuelle et collective, voire organisationnelle, dans la transition » continue-t-il.

« lorsqu’on réfléchit et se projette ensemble, on va plus loin dans les idées d’utopies réalistes »

Dans une société individualiste, les nouveaux récits semblent alors nécessaires pour s’imaginer agir ensemble. Pour Célia Fontaine, « ce qui est beau dans ce genre d’atelier, c’est leur côté collaboratif. On réalise que lorsqu’on réfléchit et se projette ensemble, on va plus loin dans les idées d’utopies réalistes ».

Une écologie positive

Depuis décembre 2024, plus de 18 000 personnes ont participé à ces ateliers. Benoît Rolland de Ravel et Célia Fontaine témoignent tous deux de la joie ressentie par les participants, suite à un moment d’espoir collectif. « C’est un atelier qui plaît beaucoup parce que, justement, c’est un espace où on se retrouve ensemble à pouvoir se projeter vers un futur positif. On ressort de l’atelier avec beaucoup de sourires, parfois de sincères éclats de rires. On peut vraiment réfléchir au cours des choses si on est un plus grand nombre. C’est pour ça que c’est que c’est primordial d’annoncer aux participants qu’ils sont là pour passer un bon moment et pas pour angoisser en pensant à la fin du monde » témoigne Célia Fontaine.

Des récits porteurs d’espoirs

En plus de redonner espoir en un avenir meilleur, les nouveaux récits sont aussi, un espace de réconciliation comme en témoigne Julien Vidal, fondateur des 2030 Glorieuses. Les 2030 Glorieuses proposent notamment un atelier de deux heures au cours duquel les participants, en groupe, imaginent un avenir plus désirable. Pendant ces ateliers, Julien Vidal se souvient avoir vu des militants écologistes, pourtant opposés, se réconcilier. « L’atelier est un espace neutre, dans lequel on peut avoir des conversations constructives, avec des personnes avec lesquelles on n’arrive plus à s’entendre sur les questions écologiques, parce qu’on est trop dans le piège de la guerre de chapelles où chacun avec son éco-anxiété, avec ses mots-clés, n’arrive plus à parler à l’autre. »

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Avec plus de 20 000 participants, les ateliers des 2030 Glorieuses sont « un espace de soin pour les militants qui sont sur le terrain et qui peuvent tomber dans le piège du burn-out militant » explique Julien Vidal. Les utopies racontées dans les nouveaux récits deviennent alors un remède contre l’éco-anxiété, un pré-requis d’action.

Les nouveaux récits semblent alors être un bon pilier de transition puisque comme le dit l’anthropologue Jason Hickel « C’est une heureuse coïncidence : ce que nous devons faire pour survivre est aussi ce que nous devrions faire pour être heureux ».

Vous venez de lire le septième et dernier épisode de la série L’Odyssée bas carbone

Madeleine Montoriol

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Pour aller plus loin :

Les ateliers de La Fresque des Nouveaux Récits.

Les ateliers des 2030 Glorieuses.

Le podcast les 2030 Glorieuses.

La maisons d’édition La Mer Salée qui propose des récits d’utopies.

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