La dernière session de négociations afin de parvenir à un traité contre la pollution, conduite sous le mandat de l’UNEP (programme des Nations Unies pour l’environnement), s’est achevée le vendredi 15 août sans avoir débouché sur un accord. Xavier Cousin, chercheur INRAE à l’unité mixte de recherche Marbec à Montpellier, spécialiste en écotoxicologie et physiologie des poissons, a assisté aux négociations en Suisse, en tant que membre de la Coalition des scientifiques pour un traité efficace sur les plastiques. Dans cet entretien avec GoodPlanet Mag’, il revient sur ce qui s’est passé à Genève et donne un aperçu de l’avancée des discussions en dépit d’un échec apparent.

Comment expliquez -vous ce nouvel échec des négociations sur le traité contre la pollution plastique ?
Il y a différentes explications à cet échec. L’une tient dans l’attitude d’un groupe d’une vingtaine de pays constitué des États producteurs de pétrole et de ceux dotés d’une puissante industrie pétrochimique. Les Émirats Arabes unis, le Koweït, les Etats-Unis, la Russie ou encore l’Inde en font partie.
« La capacité de faire obstruction aux négociations en changeant systématiquement le contenu de ce qui est discuté »
L’autre explication provient des modalités de la négociation en elle-même. Elle donne ainsi, à ces pays, la capacité de faire obstruction aux négociations en changeant systématiquement le contenu de ce qui est discuté. Ils modifient sans cesse le texte en ajoutant des termes et des options, pour le vider de sa substance. Dès lors, la procédure, qui repose sur la discussion du texte phrase par phrase fait que, depuis plusieurs sessions, les négociateurs travaillent sur des textes complexifiés. Il devient alors impossible de s’y retrouver et d’avancer.
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À cette obstruction s’ajoute la nécessité de trouver un consensus, puisque selon les règles choisies actuellement, le texte doit être validé à l’unanimité. Tous les États qui se prononcent doivent être d’accord sur le texte. Il suffit donc d’une voix discordante pour qu’il soit rejeté. Et les pays opposants au traité sont bien organisés.
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L’échec de Genève est-il seulement imputable aux pays producteurs de pétrole et de plastiques ?
Près de 180 pays sont membres de l’UNEP. L’échec est avant tout le fait de la règle de l’unanimité, car, si on regarde bien, face à la vingtaine de pays opposés à différents niveaux au traité contre la pollution plastique, se trouvent de plus en plus de pays défendant ouvertement un texte ambitieux. La négociation se mène article par article. Tous les pays ne font pas front commun sur tous les articles. C’est pour cette raison que le nombre des pays varie. Il faut noter que les pays bloqueurs sont un petit nombre, une vingtaine, qui représentent environ 20 % de la population mondiale, mais ils ont un pouvoir économique conséquent. Ainsi, même si un pays égale une voix, tous les pays ne disposent pas d’un pouvoir d’influence équivalent.
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Malgré tout, avez-vous perçu des avancées ?
Il n’y a pas eu d’avancée sur le contenu d’un éventuel futur accord, mais il est à souligner que le groupe des pays en faveur d’un traité ambitieux grandit et se structure. À Ottawa, en 2024, la 4e session des négociations a dressé un inventaire des pays opposants en face desquels se trouvait un nombre assez restreint de pays ambitieux. À Busan, lors de la 5e session fin 2024, le nombre de pays se déclarant en faveur d’un texte ambitieux a de nouveau augmenté et surtout ils ont affirmé des positions plus fortes.
« Face à la vingtaine de pays opposés à différents niveaux au traité contre la pollution plastique, se trouvent de plus en plus de pays défendant ouvertement un texte ambitieux »
En 2022, l’Assemblée des Nations Unies pour l’Environnement avait défini le mandat donné à l’UNEP pour négocier un traité contraignant contre la pollution plastique en 2024. Nous sommes en 2025, bien que rien ne soit encore conclu, le sujet avance et il convient de rappeler que pour le climat ou encore la biodiversité, il a fallu de nombreuses COP et autant d’années pour aboutir à des traités. Il n’y a pour le moment eu que six rounds de négociations autour du plastique.
Les débats ont porté sur l’opposition entre le recyclage et la réduction de la pollution, est-ce vraiment le cas ?
Effectivement, les pays opposés au traité considèrent que la question du plastique est avant tout un problème de gestion des déchets et non pas un problème de production. C’est faire fi de nombreux arguments sur le caractère polluant et dangereux pour la santé des plastiques tout au long de leur cycle de vie, ce qui justifie la diminution voire la fin de leur production. En effet, la pollution plastique ne se résume pas aux déchets. La baisses des volumes de plastiques produits demeure le levier principal pour réduire la pollution.
« La pollution plastique ne se résume pas aux déchets »
Le plastique pollue dès l’extraction de la matière première nécessaire à sa fabrication : 99 % des plastiques sont obtenus à partir de pétrole. Les plastiques polluent lors de leur conception, de leur transport, de leur usage et à la fin de leur vie. Ils contaminent également l’environnement au moment du recyclage. D’ailleurs, ce dernier ne suffit pas à traiter l’ampleur du problème, à peine 10 % des plastiques sont recyclés.
« Tripler les volume recyclés serait une avancée, mais cette approche ne solutionne pas le problème à sa source »
Tripler les volume recyclés serait une avancée, mais cette approche ne solutionne pas le problème à sa source. D’autant plus qu’au lieu de parler de recyclage, il conviendrait mieux de parler de décyclage puisqu’il faut apporter de la matière première vierge dans un nouveau produit même à base de plastiques recyclés. Enfin, ces derniers sont souvent de moins bonne qualité et se dégradent significativement à chaque nouvelle étape de recyclage.
« Au lieu de parler de recyclage, il conviendrait mieux de parler de décyclage »
Enfin, il y a la question des 16 000 additifs chimiques présents dans les plastiques. Le recyclage ne les élimine pas. Ils s’accumulent et peuvent donc se mélanger. En raison de l’absence de réglementation pour évaluer leurs effets, nous n’avons pour le moment aucune idée des conséquences pour l’environnement et la santé de tels cocktails.
Est-ce que des quotas de production seraient une solution ?
Aller dans cette direction risque d’aboutir à un système d’échange de quotas qui porte en lui le danger d’une absence de baisse réelle de la production de plastique. La prolifération du plastique est si considérable qu’il n’est pas envisageable de se contenter de réduire de 5 % la production mondiale.
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Quelle est la suite après Genève ?
La session de négociations en Suisse s’est terminée de façon abrupte à la demande de l’UNEP après l’ultime session plénière. Au cours de celle-ci, plusieurs pays ont fait valoir qu’en l’état le texte n’était ni valable ni recevable, car il ne prenait pas en compte la santé et l’environnement et n’était pas conforme au mandat confié à l’UNEP. Puis, les États-Unis et le Koweït ont demandé la clôture avant l’intervention des observateurs, ce qui a été accepté par le président de session. On ne sait pas encore la forme que prendra la suite des discussions pour un traité. S’il n’y a pas de nouvelles sessions de négociations actées, il y a de faibles probabilités pour que les pays réfractaires acceptent de confier un nouveau mandat de négociation à l’UNEP ou à un autre organisme de coopération internationale.
Quelles sont alors les pistes pour sortir de l’impasse ?
La seule façon d’avoir un traité contraignant pour tous est de continuer à croire dans la capacité de négociation des pays. Il faut leur laisser du temps. Toutefois le contexte géopolitique actuel ne semble guère en faveur d’un consensus.
« L’autre option serait d’avoir un traité non pas adopté par consensus à l’unanimité, mais voté à une majorité qualifiée, des deux tiers ou des trois quarts »
Ensuite, l’autre option serait d’avoir un traité non pas adopté par consensus à l’unanimité, mais voté à une majorité qualifiée, des deux tiers ou des trois quarts. L’inconvénient d’un tel texte serait qu’il ne s’appliquerait qu’aux pays l’ayant adopté et ratifié. Dans le même temps, un tel traité permettrait aux pays signataires de mettre en place des dispositions réglementaires homogènes et d’appliquer l’ambition du traité. En dehors du cadre de l’UNEP, il est envisageable que les pays manifestant une ambition forte contre le plastique adoptent conjointement des législations et réglementations intérieures qui permettent d’établir des normes sur un certain nombre de produits plastiques. C’est déjà, par exemple, le cas pour la présence dans les biberons de Bisphénol A, un perturbateur endocrinien présent dans certaines matières plastiques. Si une entreprise veut commercialiser des biberons en Europe, elle doit apporter la preuve qu’ils ne contiennent pas de Bisphénol A. Il existe bien des façons de faire pour protéger l’environnement et la santé, mais elles mettent du temps à produire un effet au niveau global.
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La coalition scientifique pour un traité efficace sur les plastiques défend l’idée de restreindre la production de plastiques à ceux vraiment essentiels. Quels sont ces matières et usages ? Comment en décider ?
Il reviendra aux futurs COP d’en discuter après la signature d’un traité. Il est néanmoins déjà possible de considérer que ces plastiques doivent avoir un usage essentiel, ne pas contenir de molécules toxiques, être disponibles pour tous sans nuire aux populations…
« 40 % du plastique dans le monde sert au packaging et aux emballages »
L’essentialité suppose aussi qu’il n’existe pas de produits de substitution moins nocifs pour la santé et l’environnement. 40 % du plastique dans le monde sert au packaging et aux emballages, ce qui représente actuellement 200 millions de tonnes, en avons-nous vraiment besoin ? Pouvons-nous faire autrement ? Très certainement. Même si on ne peut peut-être pas se passer de tous les emballages, y réfléchir donne des pistes pour travailler sur ces plastiques. La production annuelle mondiale de plastiques étant de 500 millions de tonnes, supprimer ces 200 millions de tonnes de plastiques que représentent l’emballage réduirait la production à 300 millions par an. Malgré une telle réduction, il resterait encore de nombreux plastiques à usage non-essentiel.
Est-ce que les décideurs politiques ont bien saisi l’enjeu et la menace que le plastique représente ?
Il est difficile d’apporter une réponse tranchée à cette question, mais on peut trouver des exemples. Des décideurs politiques ont bien saisi les enjeux. Mais sans doute pas tous les décideurs. En France, il y a clairement un soutien fort des pouvoirs publics : les derniers ministres de l’écologie se sont fortement engagés sur le sujet. Le député Philippe Bolo agit depuis des années sur la question, il a même mis en place l’Interparliamentary Coalition to End Plastic Pollution (la coalition interparlementaire pour mettre un terme à la pollution plastique).
« Une majorité de l’opinion, entre 60 et 80 % selon les sondages et les pays, est consciente de la pollution et de la nécessité de résoudre le problème »
Il faut ajouter qu’une majorité de l’opinion, entre 60 et 80 % selon les sondages et les pays, est consciente de la pollution et de la nécessité de résoudre le problème. Après, il reste à voir si les personnes sont prêtes à accepter les changements que renoncer ou réduire les plastiques impliquent.
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Quels arguments pour contrer le lobby du secteur de la pétrochimie ?
Les plastiques sont des matériaux qui présentent de nombreux avantages : ils sont résistants, pratiques et surtout ils coûtent peu chers. Sauf qu’en réalité, si les plastiques sont bon marché, c’est parce que le coût de leurs externalités négatives n’est pas pris en compte. En clair, le prix du plastique ne reflète pas son coût environnemental et sanitaire pour la société. Le producteur et le consommateur ne paient pas le prix économique des impacts sur la santé du plastique qui rend malade et tue.
« En réalité, si les plastiques sont bon marché, c’est parce que le coût de leurs externalités négatives n’est pas pris en compte »
Aux États-Unis, le seul coût sanitaire des perturbateurs endocriniens présents dans les plastiques est évalué à 250 milliards de dollars par an. Ces coûts sont pris en charge par la société et non pas par les producteurs de plastique. Ainsi, les sociétés ne réalisent pas encore le coût réel du plastique.
« Les sociétés ne réalisent pas encore le coût réel du plastique »
Avez-vous un dernier mot ?
J’ai le sentiment qu’on n’aboutira finalement peut-être pas au traité dont on rêvait au début, faisant consensus sur l’interdiction des plastiques. Mais, je persiste à penser qu’il est toujours possible d’obtenir un accord protecteur de la santé et de l’environnement.
Propos recueillis par
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Pour aller plus loin
Le site (en anglais) de la coalition scientifique pour un traité efficace sur les plastiques Scientists’ Coalition – IKHAPP
Le site Internet de l’UMR Marbec
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Un commentaire
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patrick
je ne comprends pas pourquoi on attend quelque chose des pays producteurs. Si on arrete de consommer du plastique (vetements, bouteilles) ils ne continuerons pas a en produire. Avez-vous redui au minimum votre consommation?