Avons-nous tous un écolo qui sommeille en nous ? Sommes-nous condamnés à regarder la planète brûler sans aucune solution ? Cette semaine, notre journaliste se demande comment faire en sorte que s’habiller ne soit pas synonyme de gaspillage. Elle questionne ainsi autant l’offre de vêtements que la demande. À travers la série estivale L’Odyssée bas carbone, GoodPlanet Mag’ questionne les contradictions, les choix et les solutions apportées à la crise écologique. Des nouvelles manières de voyager, du sport à la mode en passant par ceux qui tentent de changer le monde du travail de l’intérieur sans oublier ceux qui sont écolos jusque dans la mort. L’Odyssée bas carbone explore comment, individuellement ou collectivement, des personnes aux profils variés tentent de répondre à leur manière aux enjeux de l’époque.
En 2024, 3,5 milliards de pièces neuves ont été vendues en France selon le dernier baromètre Refashion. Entre surproduction et vêtements à bas prix, la consommation textile connaît une tendance à la hausse. Un Européen achète environ 26 kg de textiles par an et en jette près de 11 kg. Face à cette surconsommation existe-t-il une mode éco-responsable ? En 2020, l’industrie mondiale de la mode a généré 4 % des émissions de gaz à effet de serre selon une étude McKinsey. Pour moins d’impacts environnementaux, comment réinventer notre manière de consommer ?
En Europe, la consommation de textiles arrive en quatrième position des secteurs ayant l’impact le plus élevé sur l’environnement derrière l’alimentation, le logement et les transports. Dans son Guide d’écoconception sectoriel – textile d’habillement, L’ADEME, divise en huit étapes la vie d’un vêtement. À chacune d’entre elles, de la culture des fibres textiles, à la production du vêtement en passant par son utilisation et sa fin de vie, correspond des impacts sur l’environnement liés à l’utilisation des ressources et de l’énergie ou bien à des pollutions. Si l’on prend l’exemple d’un seul t-shirt en coton, sa fabrication nécessite, selon des estimations, 2 700 litres d’eau douce. Ce qui équivaut à l’eau bue par une personne en 2 ans et demi.
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Gaz à effet de serre, déchets, utilisation de produits chimiques ou encore de la ressource en eau, les répercussions de la production et de la consommation de vêtements sur l’environnement sont multiples. Elles sont aussi de plus en plus documentées et questionnent les citoyennes et les citoyens. Est-il possible d’imaginer une mode éthique et durable ?
Une mode éthique en trois volets
« Une mode éthique serait une mode qui prend soin de la planète, de ses habitants humains et non-humains », estime Catherine Dauriac, journaliste et présidente de Fashion Revolution France.
Marion Lopez, fondatrice de l’école Studio Lausié à Marseille, insiste quant à elle sur la transparence comme aspect important de la mode éthique et durable. Elle dépasse les frontières environnementales pour également prendre en compte les enjeux sociaux. « C’est-à-dire arriver à en savoir un peu plus sur l’usine, les personnes qui fabriquent le vêtement, dans quelles conditions et pour quel salaire » précise Marion Lopez.
En plus des volets environnementaux et sociaux, l’aspect local s’avère important dans la fabrication d’un produit éco-responsable. « Pour moi, le côté éco-responsable, va beaucoup être associé à l’idée de fabriquer en France », continue Marion Lopez. Même si, pour la directrice de Studio Lausié, « il y a des savoir-faire qui ne seront jamais en France ».
Si dans la théorie, une conception locale est à privilégier, en pratique l’importation de vêtements dans l’Union Européenne domine. Ainsi, en France, 97 % des textiles achetés dans le pays sont importés. Et l’augmentation des importations se poursuit. Elle a connu une nette hausse au premier trimestre 2025 : 38 % depuis le Cambodge, 33 % depuis le Bangladesh et le Pakistan, 29 % depuis la Chine. Il en va de même pour le textile de manière plus générale, selon l’Institut français de la mode (IFM).

Catherine Dauriac parle d’une « euphorie par rapport aux vêtements » qui s’explique par les prix très faibles. « Mais est-ce que, quand on réfléchit, payer un T-shirt entre 2 et 3 euros, c’est-à-dire le prix d’un café, c’est raisonnable ? Est-ce que c’est compréhensible ? Non ». Cette « mode prête à jeter » qui estomaque Catherine Dauriac, met en avant le prix des vêtements associé à une offre prolifique et non plus leur qualité, créant un réel problème de gestion des déchets textiles.
Le tri des textiles, un véritable défi
La Textilerie, qui se donne pour mission la revalorisation du textile à travers notamment une recyclerie textile, possède deux boutiques dans Paris. Elles collectent environ 18 à 20 tonnes de textile par an, selon Elisa Cuffini responsable du nouveau lieu dans le 19e arrondissement. Elle explique la démarche : « on aide à la réduction des déchets textiles dans le sens où les personnes, au lieu de jeter à la poubelle quand elles ne savent plus quoi faire d’un vêtement, peuvent nous le déposer et lui donner une seconde vie. »
La Textilerie accepte tout type de textiles, peu importe leur état. Ce qui implique un problème non pas de quantité, mais de qualité du produit. « Il y a un peu moins de la moitié des vêtements qu’on reçoit qui vont aller en boutique. Et il y en a un peu plus de la moitié qui ne vont plus être utilisables en l’état et donc qui vont aller vers les circuits de recyclage », précise Elisa Cuffini.
« Revaloriser ce qui existe déjà »
Face à l’ampleur des volumes de textiles, la prise en compte de la fin de vie des déchets textiles peut se faire dès la conception du vêtement. Il peut s’agir alors d’upcycling, c’est-à-dire de revaloriser des textiles déjà existants dans la création de nouveaux vêtements. « Revaloriser ce qui existe déjà », c’est ce que propose l’école Studio Lausié. « Tout le matériel de l’école va être constitué par des dons de particuliers, de professionnels ou des élèves aussi, autour d’eux, dans les placards des grands-parents », explique Marion Lopez.
Un des bienfaits de l’upcycling réside dans la créativité que cet exercice demande. « Normalement, je dessine un vêtement et je vais fabriquer de la matière ou je vais en faire fabriquer pour avoir la bonne couleur, le bon motif, etc. Là, l’idée est plutôt de prendre ce que j’ai autour de moi et de dessiner mon vêtement en fonction. Ce qui va amener plus de créativité », affirme la directrice de l’école de mode éthique et durable située à Marseille.
« La mode est responsable et à sa place sur les podiums. »
Cette créativité, les étudiants ont pu notamment l’exprimer dans la préparation de la Slow Fashion Week organisée par le collectif BAGA à Marseille en juin dernier. Marion Lopez, également présidente du collectif BAGA a permis à 23 de ses étudiants de travailler sur la Slow Fashion Week dans le cadre de leur projet de fin d’études. Plus qu’un moment artistique, la Slow Fashion Week a su être porteuse d’un message fort : « la mode est responsable et à sa place sur les podiums. À Marseille, il y a beaucoup de talents, d’initiatives engagées, c’est très important de les mettre en lumière et de le reconnaître », scande Marion Lopez.

Acheter moins mais de meilleure qualité
Mais la mode éthique et durable ne se résume pas seulement à la création du vêtement, les personnes qui fabriquent ce que nous portons ne sont pas les seules à détenir les solutions pour réduire l’impact du secteur de l’habillement. Le consommateur peut, lui aussi intervenir, en faisant durer ses vêtements ou encore en achetant moins mais de meilleure qualité.
« On est aujourd’hui dans une problématique de frénésie d’achat »
« Je pense qu’on est aujourd’hui dans une problématique de frénésie d’achat, de lavage de cerveau de la part des marques, notamment des entreprises d’ultra-fast fashion. On ne peut pas ouvrir un seul site Internet, un seul jeu, une seule application sans être complètement envahi par les publicités de ces marques-là. Ça nous pousse à l’achat », s’insurge Catherine Dauriac.
Loi anti fast fashion, une loi décevante ?
Le 10 juin 2025, le Sénat a adopté une proposition de loi anti fast-fashion. Cette loi a pour but de limiter la pollution engendrée par la fast fashion en venant notamment définir l’ultra-fast fashion pour pouvoir en interdire la publicité. Catherine Dauriac se dit très déçue par la proposition finale du législateur. « Ce n’est plus une loi anti-fast fashion mais anti ultra-fast fashion. » Or, on compte aujourd’hui plus de marques de fast que d’ultra-fast fashion. Si n’existe pas de définition précise de l’ultra et de la fast fashion, elles sont caractérisées par un renouvellement fréquent des collections. Les marques de fast fashion comme H&M, ZARA ou encore ASOS renouvellent leurs collections en moyenne toutes les deux semaines. Les marques dites d’ultra-fast fashion renouvellent encore plus fréquemment leur catalogue avec des prix toujours plus faibles. Les Amis de la Terre ont compté en moyenne 7 200 nouvelles références par jour pour le site de vente en ligne Shein. Ainsi, plus de 470 000 produits différents étaient proposé à la vente par le géant du prêt-à-porter contre 25 000 pour H&M. Il y a donc une nette différence à faire entre fast et ultra-fast fashion.
Si Catherine Dauriac parle de loi contre l’ultra-fast fashion c’est parce que la proposition de loi suggère une pénalité seulement pour les sites proposant plus de 1 000 nouveaux modèles par jour.
Selon l’ADEME, les marques de fast fashion de première génération représentent 45 % des achats contre 24 % pour les plateformes d’ultra-fast fashion. « Tant que la définition de la soi-disant fast fashion ne sera pas revue et ne touchera pas ces marques-là, ça ne sera pas satisfaisant », poursuit la journaliste qui rappelle que la fast fashion est « vraiment dommageable pour la santé des écosystèmes et notre santé à nous ».
« Choisir ses vêtements, c’est se montrer au monde »
Malgré la chute des prix et tout simplement parce que « choisir ses vêtements, c’est se montrer au monde », concilier sobriété et mode est envisageable. Rien n’empêche de se constituer une « capsule collection » en s’achetant des vêtements dans des matières qui durent et qu’on ne possède pas encore, nous fait comprendre Catherine Dauriac. « En général, il suffit de 35 pièces pour pouvoir s’habiller différemment tous les jours. Donc on n’a pas besoin d’avoir des armoires qui débordent avec des vêtements qu’on ne porte jamais ».

Faire en sorte que « les gens achètent moins et mieux » est l’un des objectifs que s’est donné Ecofashion 94 un projet de l’association Val-de-Marne en Transition. Jean-Paul Grange son président explique que, l’association œuvre à travers six piliers dont le cinquième est « look et style adapté pour durer ». « L’idée, c’est d’aider les personnes à trouver les bons vêtements, pour qu’ils n’achètent pas des vêtements qui ne leur vont pas, et que finalement, ils les jettent ou ils ne les utilisent pas ». Pour ce faire, l’association du Val-de-Marne propose un programme de six semaines, Défi Dressing Durable, disponible sur son site internet.
Acheter intelligent
Pour arriver à avoir un dressing durable, Catherine Dauriac conseille une méthode imparable pour bien choisir ses vêtements : la méthode BISOU. Ce moyen mnémotechnique se compose de cinq questions à se poser lors de l’achat, chacune renvoyant à une lettre du mot bisou. Les mots-clés à retenir sont donc Besoin, Immédiat, Semblable, Origine et Utile. « C’est se poser les questions : est-ce que j’en ai réellement besoin ? Est-ce que ce besoin est immédiat ? Est-ce que je n’ai pas déjà quelque chose de semblable dans mon vestiaire ? Quelle est l’origine du vêtement ? Où a-t-il été fabriqué ? Quelles sont les matières ? Et enfin, ce vêtement me sera-t-il utile ? » explique Catherine Dauriac avant de parier que « quand on a répondu à ces questions-là, en général, on range sa carte bleue ».
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Une autre manière de s’habiller de façon éthique et durable est d’acheter ses vêtements de seconde main. Mais donner une nouvelle vie aux vêtements prend du temps et demande un certain savoir-faire. Ce qui peut expliquer le prix de ces derniers. C’est dans une optique de sensibilisation sur ces enjeux que la Textilerie s’est lancée dans le projet Les Réparés. « On a sélectionné des vêtements de bonne qualité, souvent de belles marques aussi et sur lesquels il y avait différents types de défauts. On y a fait soit de la réparation visible, soit de la réparation invisible. Ça peut être des broderies, poser des patches, différentes sortes de réparations qui prenaient plus ou moins de temps. Et on a créé des petites étiquettes pour l’occasion, qui avaient pour but de sensibiliser aussi à la réparation. On y indiquait le temps passé à réparer ce vêtement et quelle réparation avait été faite », se souvient Elisa Cuffini.
La solution de la réparation
Justement, et si avant de penser à acheter neuf ou d’occasion la solution ne résiderait pas dans la réparation du vêtement abîmé ? Pas de panique, si vous n’avez ni le temps, ni les capacités de réparer votre jean troué, cela peut être fait par un tiers. EcoFashion94 propose par exemple une retoucherie citoyenne dont le concept est assez simple. « On va avoir des personnes qui sont intéressées pour avoir une réparation de leurs vêtements, et ensuite, on les redirige vers une ou plusieurs couturières qui font la réparation ». Si l’association propose cette aide seulement sur la zone de Sucy-en-Brie, d’autres collectifs offrent les mêmes services.
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Mais pour celles et ceux d’entre-nous qui souhaitent réparer eux-mêmes leurs vêtements, il existe des cours de couture comme à la Textilerie. « Le but est d’apprendre aux personnes à faire elles-mêmes leurs vêtements, donc, de transmettre ce savoir-faire, mais aussi de sensibiliser. »
De Marion Lopez à travers son école de mode et la Slow Fashion Week, à Catherine Dauriac en passant par Ecofashion94 et la Textilerie, tous ont un même combat, celui de sensibiliser le plus grand nombre aux enjeux de l’industrie textile. Et peut-être qu’un jour, comme l’espère Jean-Paul Grange et tant d’autres, « la réparation » deviendra un « réflexe ».
Vous venez de lire le quatrième épisode de la série L’Odyssée bas carbone.
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Pour aller plus loin :
La Textilerie propose des cours de couture pour apprendre à réparer ses vêtements.
EcoFashion94 met en ligne son défi Dressing Durable pour réinventer sa garde robe de manière éthique et durable.
La première édition de la Slow Fashion Week était riche en évènements.
L’école Studio Lausié propose sur Marseille plusieurs formations ouvertes à tous.

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