Remettre en cause le fonctionnement de l’éclairage public pour préserver la biodiversité

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Image satellite de l'agglomération de Montpellier de nuit. DR INRAE

La réduction de l’éclairage public peut se montrer à la fois bénéfique pour la biodiversité et le bien-être des habitants. Pourtant diminuer l’éclairage urbain semble souvent de prime abord mal accepté. Au niveau de l’Agglomération de Montpellier, des scientifiques ont travaillé sur la question de la pollution lumineuse. Ils estiment qu’il serait possible d’adapter l’éclairage urbain pour concilier la préservation de la biodiversité et les attentes des habitants. « Les politiques d’éclairage ne doivent pas s’envisager de manière binaire et ne se résument pas à choisir entre éteindre ou allumer. Plein de mesures utiles et nécessaires pour la biodiversité peuvent être prises comme réduire l’intensité des lumières, changer la couleur de l’éclairage… Nos travaux montrent que ces mesures sont plutôt bien acceptées par les habitants et ne sont pas clivantes », résume Léa Tardieu. En effet, l’économiste de l’environnement et chercheuse au sein de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) précise qu’il est possible d’appliquer d’autres mesures que l’extinction totale de l’éclairage urbain au niveau d’une commune, « on peut adapter l’éclairage au point lumineux près en fonction des besoins. ». Elle est l’auteure principale d’une étude publiée dans la revue Nature Cities conduite avec des chercheurs de l’INRAE, du Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN), d’AgroParisTech et de La TeleScop.

Pollution lumineuse, un problème peu pris en compte

La pollution lumineuse ne cesse d’augmenter, favorisée par l’urbanisation et la réduction du coût de l’éclairage permis par la généralisation des ampoules LED qui consomment moins. « La lumière est considérée comme quelque chose de généralement positif. On ne voit pas forcément le problème, car plus c’est éclairé mieux c’est.  Pourtant, c’est une forme de pollution. On considère que ce n’est pas grave, on n’en voit pas les impacts », affirme Léa Tardieu.

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La lumière nocturne perturbe une partie de la biodiversité. La lumière nocturne artificielle perturbe la circulation des espèces, Léa Tardieu : « les animaux vont changer de comportement. La lumière peut aussi créer des effets barrières ou conduire les insectes à s’agglutiner, ce qui perturbe leur cycle normal ». L’enjeu est donc de savoir où et comment agir pour la réduire. Pour le déterminer, les scientifiques ont opté pour une approche mêlant plusieurs disciplines : écologie, cartographie, images satellitaires, sciences humaines et enquête de terrain. Ainsi, les chercheurs ont établi une carte des points lumineux, au niveau de Montpellier, qu’ils ont recoupé avec des connaissances sur les besoins de la faune locale. Ils se sont basés sur 6 groupes d’espèces (2 groupes d’oiseaux, 2 groupes d’insectes, 2 groupes de chauves-souris, amphibiens). Les scientifiques ont travaillé « sur la connectivité du paysage nocturne à partir d’imagerie satellitaire, de savoirs locaux et des inventaires des naturalistes en lien avec 3 associations (la LPO, l’OPIE et le groupe des chiroptères du Languedoc-Roussillon) », explique l’INRAE dans un communiqué. Ils ont alors pu déterminer les lampadaires sur lesquels agir en priorité pour réduire la pollution lumineuse au bénéfice du vivant. Ils ont également conduit 148 entretiens avec des habitants afin de discuter de ce qu’il était possible de faire en matière d’aménagement de l’éclairage.

Appliquer d’autres mesures de réduction de la pollution lumineuse que l’extinction

Les chercheurs ont alors pu identifier, au niveau de l’agglomération de Montpellier, trois grandes catégories de quartiers en fonction des enjeux. Il y a les quartiers où les enjeux de biodiversité sont forts et dans lesquels les habitants acceptent l’extinction ou des aménagements de l’éclairage nocturne. Mais, dans certains quartiers, de telles mesures suscitent de la résistance de la part de la population même si « dans ce cas, il est possible ici aussi d’adopter des mesures de réduction, qui peuvent être très efficaces pour réduire l’impact sur la biodiversité. Ces mesures peuvent être accompagnées d’actions de sensibilisation pour informer les résidents des effets de la pollution lumineuse », souligne l’INRAE. Enfin, il y a « des quartiers en zones urbaines centrales avec des enjeux écologiques modérés, et dans lesquels certaines mesures de réduction de l’éclairage semblent être mieux reçues que des extinctions (par exemple le changement de couleur, la réduction de l’intensité, l’ajustement de la directivité des luminaires) ».

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Léa Tardieu, qui a conduit l’étude précise : « dès qu’il s’agit d’extinction des lumières la nuit, il y a des endroits où les gens sont pour et il n’y a pas d’arbitrage à faire entre les habitants et la biodiversité. Il y a des endroits où les habitants sont contre l’extinction de l’éclairage urbain, mais finalement il n’y en a pas tant. Dans ce cas-là, il est envisageable d’appliquer d’autres mesures de réduction de la pollution lumineuse que l’extinction. »

Des motivations diverses pour réduire la pollution lumineuse

La préservation de la biodiversité ne constitue pas forcément la première raison de réduction de l’éclairage nocturne. Toutefois, celle-ci participe au sentiment de sécurité, bien que, selon Léa Tardieu, « il n’y a pas à ce jour en France d’études qui permettent de renseigner l’impact de l’extinction de l’éclairage urbain sur la criminalité et les accidents ». Les crises énergétiques, dont celle de 2022 dans la foulée du déclenchement de la guerre en Ukraine, et la réduction des coûts restent une motivation forte, ainsi que la préservation du paysage nocturne. « De nombreuses communes ont choisi en 2022 d’éteindre leur éclairage public pour des questions avant tout de budget et réaliser des économies », rappelle la chercheuse Léa Tardieu qui constate qu’une partie d’entre elles revient sur cette décision. Elle souligne que sur le sujet il ne faut pas « présupposer ce que pensent les habitants. Il faut avoir une approche plus fine d’autant qu’on peut adapter l’éclairage à la rue ou au lampadaire » Elle déplore qu’une réglementation existe sans être appliquée, faute de contrôles. Cette compétence devrait potentiellement revenir à l’Office Français de la Biodiversité dans les années à venir, alors que ce dernier peine déjà à remplir ses autres missions.

 Julien Leprovost

Article édité mercredi 25 juin à 17h10 pour y intégrer la réaction de Julie Mathews au baromètre

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Pour aller plus loin

Réduction de l’éclairage urbain : concilier besoins de la biodiversité et des habitants | INRAE

L’article (en anglais) Planning sustainable urban lighting for biodiversity and society | Nature Cities

Léa Tardieu – Environmental economist, PhD

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