Lutte enragée dans la campagne anglaise autour de la chasse au renard

chasse aux renards

Des membres des "Hunt Saboteurs" courent près d'un équipage de chasse à courre près de Newmarket, le 25 novembre 2023 dans le Suffolk © AFP Ben STANSALL

Thurlow (Royaume-Uni) (AFP) – Ils surgissent au détour d’un bois, tout de sombre vêtus, déterminés à déboussoler la meute. En Angleterre, des « saboteurs » s’invitent dans les parties de chasse à courre pour sauver les renards des crocs des chiens, dans un choc des cultures féroce.

« Kermit à Animal, tu me reçois? » D’un vieux 4X4 Toyota à l’autre – chacun a son surnom – la radio crachote en ce samedi ensoleillé. Les « Hunt Saboteurs » passent à l’action.

Les membres de l’association active depuis 60 ans veulent empêcher la chasse au renard, tradition qui selon eux se perpétue malgré son interdiction il y a 18 ans, face à des chasseurs qui assurent qu’ils mènent leurs activités légalement.

Cible du jour, les chasseurs du club « Thurlow Hunt », dans un village du Suffolk à une centaine de kilomètres au nord de Londres.

Munis de cartes sur leurs téléphones, les saboteurs – une vingtaine – s’échangent par radio la position de l’équipage qu’ils traquent, en veillant à ne pas risquer de rabattre un renard vers la meute.

La mine contrariée en apercevant les intrus, un cavalier sanglé dans son élégante redingote rouge tourne les sabots.

Les aboiements résonnent au loin. Equipage et suiveurs, parmi lesquels des enfants à poney, passent au grand galop.

Surtout, « ne pas les perdre de vue », explique Angela Vasiliu, membre des « Hunt Sabs » du nord de Londres.

– Cris et citronnelle –

Leur but premier: empêcher qu’un renard ne soit tué. Ils s’efforcent de détourner les chiens littéralement à cor et à cri, pulvérisent de la citronnelle pour tromper leur odorat.

Si leurs efforts devaient échouer, les saboteurs veulent au moins recueillir des preuves.

Vidéo à l’appui, la justice a condamné en 2019 un membre de la Thurlow Hunt à une amende. Les images montrent chasseurs et saboteurs se disputer la dépouille du renard le 26 décembre 2017, lors d’une traditionnelle chasse du Boxing Day (lendemain de Noël).

Pour respecter la loi, les chasseurs sont censés suivre une odeur de renard laissée là artificiellement pour une chasse fictive: le « trail hunting ».

Apparue depuis la loi de 2004, cette appellation est qualifiée par ses détracteurs d' »écran de fumée ».

« Ils chassent toujours des renards », balaye Philip Walters, du groupe des Hunt Saboteurs du Nord de Londres. Preuve selon les saboteurs qu’aucune trace n’a été répandue ce jour-là, le fait que la meute se lance dans un ruisseau entouré d’épais buissons quasi-impénétrables pour un humain.

L’odeur peut « dériver », soutient dans une déclaration à l’AFP transmise par l’intermédiaire de la Countryside Alliance, organisation qui regroupe notamment des chasseurs, la Thurlow Hunt. Le club assure qu’il « mène des activités de +trail hunting+ en conformité avec la loi ».

Le club de chasse met en cause les « extrémistes des droits des animaux », se plaignant d’intrusions, de harcèlement, d' »accusations fallacieuses ».

En 2022, le haut responsable policier chargé du dossier, Matt Longman, a lui-même reconnu que le « trail hunting » était utilisé pour « continuer à chasser illégalement » et jugé la loi inapplicable.

En début d’année, l’Ecosse a interdit cette pratique et l’opposition travailliste, favorite pour les prochaines élections, promet de faire de même pour l’Angleterre et le Pays de Galles.

Si des dizaines de condamnations sont prononcées chaque année – sans porter uniquement sur la chasse au renard – la Ligue contre les sports cruels estime qu’elles ne sont « pas représentatives », car la loi rend les poursuites difficiles.

Aucune trace de sang

« S’ils n’ont rien à cacher », s’interroge Philip Walters, pourquoi certains chasseurs sont-ils parfois si violents? Saboteur depuis sept ans, il explique avoir subi « menaces de morts », et reçu des dépouilles de rat ou de renard.

Sans aller jusque là, le propriétaire des terres où se tient la chasse, en passant, injurie le militant, affligé.

Selon Polly Portwin, directrice de campagne à la Countryside Alliance, environ 25 clubs de chasse sur 200 actifs les week-ends sont ciblés par des saboteurs, lesquels revendiquent 600 membres actifs.

Elle dénonce le fait qu’ils « essaient de prendre le contrôle d’une meute »: c’est « comme si vous conduisiez une voiture et que quelqu’un sur le siège passager essaie de prendre le volant ».

Malgré la fatigue, après des heures à courir à travers bois, chemins et champs les chaussures alourdies par la terre collante, les saboteurs s’efforcent de ne pas perdre la trace de la meute, qu’ils surveillent aussi depuis les airs à l’aide d’un drone.

La nature des aboiements au loin fait craindre la traque d’un renard. Puis la nuit est là, les chasseurs rentrent.

Les saboteurs, eux, se requinquent à coup de roulé à la saucisse vegan et de brownies, le sentiment du devoir accompli, certains qu’aucun renard n’a été tué car ils n’ont vu aucun chien portant de traces de sang.

Une satisfaction d’autant plus grande qu’ils diront avoir aperçu six ou sept renards ce jour-là.

© AFP

Des renards et des hommes

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