Mourenx (France) (AFP) – Effluves de curry, de pop-corn ou d’ail: dans le bassin industriel de Lacq (Pyrénées-Atlantiques), riverains et industriels apprennent un langage commun des « nez », afin de détecter d’éventuels dysfonctionnements dans les usines environnantes, comme ceux d’un méthaniseur en octobre.
Les languettes, similaires à celles des parfumeries, font le tour de la table. À Lacq, non loin du plus grand gisement de gaz naturel exploité dans le Sud-Ouest pendant 60 ans, une quinzaine de personnes se réunit chaque mois pour des « séances de révisions » olfactives.
Sarah Le Bail, ingénieure d’études pour Atmo Nouvelle-Aquitaine, l’organisme qui surveille la qualité de l’air, anime cet « Observatoire des odeurs du Bassin de Lacq » créé en 2016, après une recrudescence de plaintes de riverains.
Fin octobre encore, une cinquantaine de manifestants ont dénoncé les odeurs « pestilentielles » d’une usine de production de biogaz de TotalEnergies. La direction du site a reconnu un « problème de stockage des déchets végétaux » et promis de trouver des solutions.
L’idée est simple: former les premiers concernés à un langage commun, pour donner des noms de molécules chimiques spécifiques à des odeurs, plutôt que de parler en évocations, trop personnelles.
Alertes en temps réel
En cas de pics d’intensité, une plateforme commune, baptisée Signal’Air, recueille les alertes. Elles parviennent en temps réel aux unités de contrôle des entreprises qui, à partir d’un certain seuil, lancent des vérifications.
« Sans ce langage, on aurait un afflux de signalements hétéroclites qui ne permettraient pas d’objectiver les choses », explique Yves Le Borgne pour UniversLacq, association qui regroupe 15 industriels du bassin.
« On a dressé une carte d’identité olfactive des entreprises, afin de pouvoir leur rattacher des odeurs », poursuit Sarah Le Bail. Les industries de Lacq, réparties en quatre plateformes, représentent un tiers de la chimie en Nouvelle-Aquitaine.
Récemment, des odeurs signalées ont permis de détecter la saturation de l’usine de traitement des effluents de différentes usines. « On envoyait tous nos effluents au même moment, donc il a suffi de se coordonner sur les heures pour éviter que ça se reproduise », fait valoir Yves Le Borgne, par ailleurs chargé de communication de Sobegi, fabricant de produits chimiques, filiale du groupe Total.
La création de l’Observatoire a été motivée par la transformation du bassin qui a accueilli de nouveaux types d’industries à partir des années 2010, avec leur lot de nouvelles odeurs, inconnues et surtout irritantes.
« Il y avait beaucoup de tensions mais on a voulu faire progresser les industriels et depuis ça s’est amélioré », considère Gervais Cillaire, « nez » bénévole, premier adjoint à la mairie de Lacq et président de l’Arsil, association de riverains à l’origine de l’initiative.
Recruter de nouveaux « nez »
La société Arkema, plus gros pourvoyeur d’emplois du bassin avec ses 750 salariés, assure ainsi qu’elle investira en 2024 et 2025 pour « réduire encore les émissions odorantes » de disulfure de diméthyle -additif utilisé dans la production de carburants, reconnaissable à son odeur aillée- « d’au moins 80% ». Elle avait investi 7 millions d’euros entre 2016 et 2021 pour son unité de revalorisation des résidus soufrés.
Sandrine Clavé est « nez » depuis 2018. Cette habitante du bassin de Lacq « depuis toujours » s’est investie pour comprendre les fortes odeurs autour de chez elle et contribuer à ce que « les choses changent ». Elle estime aujourd’hui avoir une meilleure communication avec les industriels, même si « les changements sont toujours trop longs pour nous ».
« Au début, on était plutôt perçu comme des emmerdeurs alors que maintenant, c’est plus transparent. J’ai conscience de l’importance des emplois ici, mon but ce n’est pas du tout le zéro industrie, juste une amélioration », ajoute-t-elle.
En septembre 2024, une nouvelle session de recrutement de « nez » bénévoles est prévue car certains se lassent ou ne viennent pas toujours régulièrement. Une baisse des signalements ne voulant « pas forcément dire que ça va mieux », souligne Sarah Le Bail.
© AFP
Ecrire un commentaire