En Tunisie, un village assoiffé par le changement climatique

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Une femme place des bidons de chaque côté de son âne pour se rendre à la dernière source d'Ouled Omar, le 28 novembre 2023 en Tunisie © AFP FETHI BELAID

Ouled Omar (Tunisie) (AFP) – Ounissa Mazhoud place un bidon de chaque côté de son âne pour se rendre à la dernière source d’Ouled Omar. Ce village tunisien est à l’agonie à cause d’une sécheresse persistante provoquée par le changement climatique.

« Nous sommes des vivants déjà morts, oubliés de tous. Nous n’avons ni route ni eau, ni aide ni logements décents, nous ne possédons rien », explique à l’AFP cette femme de 57 ans, au visage creusé par la fatigue.

Dans son hameau d’une centaine d’âmes, à 180 kilomètres au sud de Tunis, Mme Mazhoud et ses voisines se réveillent chaque jour avec une obsession: trouver de l’eau.

« Nous sommes toutes malades. Nous avons mal au dos, aux jambes parce que nous marchons et travaillons de l’aube jusqu’au crépuscule », poursuit Ounissa.

Ouled Omar est pourtant situé dans la région de Siliana, dans le nord-ouest de la Tunisie, une zone fertile, au climat habituellement pluvieux en hiver.

Mais la Tunisie traverse sa huitième année de sécheresse.

Avec seulement 450 mètres cubes d’eau par an et par habitant, elle est déjà sous le « seuil de pénurie absolue », calculé à 500 m3 par la Banque mondiale qui prévoyait son franchissement pour 2030.

Malgré des pluies récentes, les barrages, principale source d’approvisionnement en eau potable en Tunisie, ne sont qu’à 22% de leur capacité.

Les autorités tentent de juguler ce stress hydrique en rationnant l’eau et avec des coupures ponctuelles.

Village fantôme

Mais à Ouled Omar, le manque d’eau anéantit les cultures vivrières et le bétail.

Le mari d’Ounissa, Mahmoud, 65 ans, a dû vendre deux de leurs quatre vaches pour acheter du fourrage et nourrir le reste de l’élevage.

Il a encore la force de parcourir plusieurs kilomètres avec son âne jusqu’à la rivière pour « ramener 20 ou 40 litres d’eau quand le temps le permet mais bientôt avec le froid intense et le mauvais temps, cela deviendra impossible ». Et il n’a pas les moyens d’acheter de l’eau en bouteille pour sa famille.

« Si la situation persiste comme elle l’est actuellement, personne ne pourra rester longtemps ici », dit-il.

L’unique source d’Ouled Omar ne produit que dix litres par jour d’une eau utilisable uniquement pour les animaux et les cultures, selon le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES). D’après cette ONG, plus de 300.000 Tunisiens (sur 12 millions) sont dépourvus d’un raccordement à l’eau potable.

A Ouled Omar, « ils n’ont pas de source potable, même pas de robinets (à la maison). Du coup, ils utilisent une source naturelle, mais avec le changement climatique et les fortes températures, elle disparaît », souligne Houda Mazhoud, une chercheuse en agronomie qui étudie ce hameau depuis 2020.

Ramzi Sebtaoui, un éleveur d’une trentaine d’années, descend de sa camionnette un énorme conteneur d’eau potable qu’il s’est procuré à 20 km de là, à Makthar.

« Il y a deux ou trois ans, la situation était bien meilleure, avec de nombreuses sources naturelles que nous pouvions utiliser pour abreuver le bétail. Aujourd’hui, avec le changement climatique, presque toutes les sources sont asséchées, et toutes les routes sont détruites », explique-t-il.

La route qui desservait le village n’a pas été refaite depuis des années.

Dans l’espoir de sensibiliser les autorités, une quinzaine d’habitants se sont rendus à 50 km du village au siège de la région à Siliana, avec des panneaux réclamant « de l’eau et des routes ».

Leur crainte? Qu’Ouled Omar, dont les 22 familles ont toutes un lien de parenté, ne devienne un village fantôme.

« Beaucoup de gens sont partis chez leurs enfants en ville, laissant leurs maisons vides. La raison en est la soif », explique Djamila Mazhoud, 60 ans, cousine d’Ounissa. Car pour les plus âgés, impossible de marcher pendant une heure pour s’approvisionner à la rivière la plus proche.

Les jeunes désertent également le village, faute de perspectives.

« Nous avons élevé nos enfants pour qu’ils s’occupent de nous une fois devenus grands, mais ils n’ont pas de travail », se lamente Djamila dont le fils et les deux filles sont allés tenter leur chance dans des villes du littoral.

« On nous dit qu’il n’y a pas de solutions. Pourquoi? Ne sommes-nous pas Tunisiens nous aussi? », se désespère Djamila Mazhoud.

© AFP

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