La surexploitation des saules du Cachemire menace l’artisanat des battes de cricket

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Un artisan fabrique des battes de cricket dans du bois de saule du Cachemire, le 19 août 2023 à Sangam, en Inde. Tauseef MUSTAFA / AFP

A la Coupe du monde de cricket se tenant en Inde le mois prochain, nombre de joueurs seront munis de battes en bois de saule conçues au Cachemire mais cet artisanat est menacé par la surexploitation forestière.

« Il s’agit d’un abattage permanent et sans aucun semis », affirme Irfan Ali Shah, un haut responsable du service forestier du gouvernement.

De l’Europe à l’Asie centrale, les saules blancs ou salix alba, sont des arbres gourmands en eau, à feuilles caduques, pouvant atteindre 30 mètres de hauteur. C’est aussi le bois favori des joueurs de cricket.

Leur nombre a énormément augmenté au Cachemire, sous l’impulsion du pouvoir colonial britannique au XIXe siècle, avec la création de plantations dont l’exploitation d’abord destinée au bois de chauffage pour les hivers rudes de ses montagnes, a permis de développer aussi l’artisanat des battes de cricket.

« Si le gouvernement n’aide pas bientôt à replanter à grande échelle (…) nous manquerons de matières premières d’ici trois à cinq ans », prévient Fawzul Kabiir, qui fabrique les battes « GR8 » approuvées par l’International Cricket Council et vendues dans le monde entier.

« Des battes de la meilleure qualité »

« Nous avons commencé à en chercher dans des zones éloignées de la vallée, mais il n’y a pas beaucoup de bons saules pour donner des battes de la meilleure qualité », confie-t-il à l’AFP.

Les fibres entrecroisées du saule sont très résistantes et, comme elles sont pourvues de minuscules poches d’air, elles réduisent les vibrations. Les battes gagnent en légèreté mais sont suffisamment compactes pour frapper avec puissance les balles les plus dures.

Les grands fabricants de battes à l’étranger préfèrent le saule d’Angleterre, mais celui qui pousse au Cachemire sert la fabrication de trois millions de « formes » de battes par an, soit le plus gros volume mondial. 

« La meilleure batte en saule du Cachemire vaut bien le saule anglais », déclare M. Kabiir qui assure compter parmi ses clients les grands noms du cricket, tels que les Indiens Sachin Tendulkar et Virat Kohli, l’Australien Steve Waugh et les Sud-Africains Graeme Smith et AB de Villiers. 

Son atelier, doté d’un show-room, est situé dans la petite ville de Sangam, coeur de la fabrication des battes, où les touristes peuvent en acheter à des prix allant de 12 à 180 dollars (de 11,30 à 170 euros).

« C’est notre SOS » adressé au gouvernement, dit M. Kabiir. « Nous ne pouvons pas y parvenir seuls. »

Les fabricants de battes du Cachemire ont prospéré au rythme de la popularité du cricket. La demande a bondi après la victoire de l’Inde à la Coupe du monde de 1983.

Ce sport compte désormais plus d’un milliard de supporteurs dans le monde.

Quelque 120.000 personnes travaillent dans les 400 ateliers du Cachemire, selon les fabricants. 

Soit une contribution économique clé dans cette région à majorité musulmane, divisée entre l’Inde et le Pakistan qui, depuis leur indépendance découlant de la partition des Indes britanniques en 1947, revendiquent la souveraineté sur la totalité de ce territoire himalayen.

Mais les plantations de saules s’épuisent. Des scientifiques agricoles de l’Université Sher-e-Kashmir ont averti que les saules femelles du Cachemire, les plus adaptés à la fabrication de battes, sont victimes d’une « quasi-extermination ».

Près d’un million d’arbres ont été abattus cette dernière décennie, certaines plantations menaçaient le lac Wular, d’autres au profit de terres agricoles et de rizières.

Des industries exploitant le bois se sont tournées vers le peuplier.

« Un saule arrive à maturité en 30 ans et un peuplier en deux fois moins de temps, et ils valent le même prix », explique Feroz Ahmed Reshi, dont la famille fournit du bois de saule aux fabricants de battes depuis des générations.

« Cette année, nous avons planté 300 peupliers et environ cinq saules », ajoute-t-il. 

Les exportations vers le reste de l’Inde et l’étranger sont interdites depuis 25 ans, mais « la contrebande de nos précieuses matières premières n’a pas cessé », assure un responsable, s’exprimant sous couvert d’anonymat. 

Selon le responsable forestier, M. Shah, les fabricants de battes vont devoir « planter leur propre saule sur leurs propres terres ».

Mais les terrains sont rares au Cachemire et leurs prix ont grimpé depuis que les autorités indiennes ont révoqué la semi-autonomie de la région en 2019, et autorisé pour la première fois les Indiens du reste du pays à acquérir des terres au Cachemire.

© AFP

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