En Arizona, la lutte quotidienne des sans-abri pour ne pas mourir de chaud

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Un homme protège sa tête du soleil en marchant devant des tentes de "La Zone", un campement de sans-abri, lors d'une vague de chaleur record à Phoenix dans l'Arizona (sud-ouest des Etats-Unis), le 18 juillet 2023 © AFP Patrick T. Fallon

Phoenix (Etats-Unis) (AFP) – Sous les maigres bâches qui lui servent d’abri à même le trottoir, Dana Page boit autant d’eau qu’elle peut dans la fournaise de Phoenix, en Arizona. A plus de 47°C, la chaleur est impitoyable: elle vient de tuer l’un de ses compagnons d’infortune ces derniers jours.

Dans « la Zone », vaste campement qui regroupe des centaines de sans-abri juste à côté du centre-ville de cette métropole du sud-ouest des Etats-Unis, le quinquagénaire était surnommé « Joker ». Après avoir vu les secours lui administrer un massage cardiaque, Mme Page a entendu le mot « déshydratation ».

« Il est mort à quelques centimètres de l’eau », soupire-t-elle, entourée de ses bouteilles et d’un grand bidon où elle fait fondre de la glace. « Il aurait dû être plus malin. »

Construite en plein désert, Phoenix est une habituée des étés brutaux. Mais la capitale de l’Arizona et ses 1,6 million d’habitants sont actuellement frappés par une vague de chaleur inédite, aux allures de marathon.

Mercredi, la chaleur a pulvérisé un record de longévité pour la ville, en dépassant allégrement les 110° Fahrenheit (43°C) pour une 20e journée consécutive. Cette série étouffante, qui doit continuer encore plusieurs jours, fait craindre le pire dans une des villes américaines les plus durement touchées par le sans-abrisme.

Pour les SDF enfermés dehors, le risque d’un coup de chaleur est omniprésent. A 49 ans, Dana Page en sait quelque chose: elle en a subi trois ces cinq dernières années.

« C’était comme si quelqu’un m’avait balancé sur Terre pour la première fois », raconte-t-elle à l’AFP en listant les symptômes qui l’ont assaillie par surprise: trous de mémoire, désorientation, moitié du visage paralysé. « C’est un tueur sournois. C’est comme ça qu’ils meurent, on ne s’en rend pas compte. »

Aucun répit

L’extrême chaleur de ce mois de juillet n’offre aucun répit. La mousson, d’habitude source de brefs passages pluvieux, est aux abonnés absents. Et les nuits sont incandescentes: marcher dans l’obscurité de Phoenix donne l’impression d’arpenter les profondeurs d’un four.

« Si cela continue, nous allons voir davantage de décès liés à la chaleur », redoute Amy Schwabenlender, la directrice du Human Services Campus, un immense site qui regroupe des centres d’hébergement et des services médico-sociaux animés par 16 associations.

En 2022, le comté de Maricopa, qui englobe Phoenix et sa banlieue, avait déjà enregistré une hausse de 25% des morts liées à la chaleur, avec 425 décès. Une tragédie largement nourrie par l’explosion du nombre de sans-abri (+23,4%) en Arizona depuis la pandémie de 2020.

Dans l’Etat du Grand Canyon, le manque cruel de logements sociaux propulse les plus démunis au rang de premières victimes du réchauffement climatique, qui aggrave la fréquence des événements météorologiques extrêmes.

Pour faire face à l’urgence, le Human Services Campus tourne à plein régime. Ses associations envoient des maraudes aux aurores pour distribuer 2.000 bouteilles d’eau chaque jour, de la crème solaire et des chapeaux pour s’abriter du soleil meurtrier.

Comme une soixantaine d’autres endroits en ville, le site sert aussi de « point fraîcheur », où les sans-abri peuvent trouver de l’ombre, des brumisateurs, et un vaste réfectoire climatisé qui diffuse des films.

Dehors, la moindre erreur peut avoir des conséquences désastreuses: la chaussée bouillante devient un ennemi majeur.

« Les personnes allongées sur le trottoir, même sur une couverture, peuvent se brûler les bras, les jambes », raconte Mme Schwabenlender. « Les gens sont souvent sans chaussettes ni chaussures et peuvent se brûler les pieds. »

Tueuse numéro un

Il y a quelques jours à peine, José Itafranco a échappé de peu à une telle mésaventure. Après avoir consommé de la méthamphétamine, cet ancien peintre en bâtiment s’est effondré sur le trottoir.

Heureusement pour lui, sa femme Alvira a pu placer sa tête sur ses genoux, le temps que les pompiers l’examinent.

« La méthamphétamine (…) ça te donne l’impression d’être l’incroyable Hulk, d’être intouchable », confie le trentenaire, encore penaud. « Mais ce qui se passe en vrai, c’est que tu te déshydrates. »

Après 11 ans passés en Arizona, il trouve cette vague de chaleur « vraiment brutale ».

Pernicieuse et invisible, la chaleur reste le phénomène météorologique le plus meurtrier aux Etats-Unis. Pourtant, le gouvernement fédéral n’alloue pas d’aides d’urgence pour y faire face, contrairement aux autres catastrophes naturelles – inondations, feux de forêt ou ouragans.

Une situation que Mme Schwabenlender aimerait voir changer.

« Nous sommes les Etats-Unis d’Amérique, nous ne devrions pas avoir plus de 400 personnes qui meurent (dans le comté) des suites de la chaleur », estime la responsable associative. « Nous avons suffisamment de ressources pour aider tout le monde, il faut juste trouver comment les mettre en commun. »

© AFP

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