Dans l’Irak à sec, un artiste engagé pour préserver la gondole traditionnelle

irak secheresse

Des Irakiens voguant sur le Tigre à Bagdad, à bord des barques traditionnelles "messhouf", le 15 avril 2023 © Ayman HENNA

Bagdad (AFP) – Voguant sur le Tigre à Bagdad, de jeunes Irakiens mènent des barques traditionnelles. En Irak frappé par la sécheresse, le spectacle est pensé par un artiste qui souhaite préserver ces gondoles des marais, dont la tradition remonte aux Sumériens.

Il faut sauver « de l’extinction une facette essentielle de notre civilisation, qui existe depuis quatre ou cinq millénaires », plaide Rachad Salim, peintre et sculpteur de 62 ans, fondateur de l’ONG Safina Projects.

Car le Meshhouf, cette gondole de forme allongée, construite en bois et dotée d’une extrémité effilée, a gardé la « même forme depuis l’époque des Sumériens », prestigieux empire mésopotamien irrigué par les fleuves Tigre et Euphrate dans le sud de l’Irak.

Dès 2018, M. Salim part à la recherche des derniers fabricants de Meshhouf. Il les trouve à Huweir, localité du sud en bordure des célèbres marais irakiens.

Pour tirer de l’oubli cette embarcation menacée dès les années 1980 par la prolifération des barques motorisées, il passe des commandes de Meshhouf, s’associe à des clubs nautiques ou fonde des équipes afin d’apprendre aux jeunes comment la manœuvrer.

Par un après-midi printanier à Bagdad, ils sont quelques uns d’une vingtaine d’années à voguer sur 18 barques, à l’occasion d’un spectacle fluvial présenté lors d’un festival culturel.

Munis d’une pagaie, avec des coups de rame de gauche à droite, ils peinent à maintenir le cap.

Communiquer » avec la nature

Parmi les participants, certains ne rament que depuis un mois, comme Omar Youssef, 21 ans, qui a pratiqué pendant cinq ans la planche à voile et le voilier en solitaire.

« Ces disciplines dépendent du vent, il faut garder l’équilibre avec son corps », explique-t-il. Son nouveau sport, lui, fait travailler « les épaules et les bras ».

Le Meshhouf fait partie de « l’histoire et du patrimoine du pays », souligne-t-il.

A ce jour, sept clubs ont été fondés, à Bagdad, dans la province centrale de Babylone et dans le sud de l’Irak, avec des financements britanniques et de la fondation Aliph, l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit.

L’initiative permet à la jeunesse « de communiquer avec l’environnement », assure Rachad Salim. Dans un Irak frappé par le changement climatique et la sécheresse, il déplore l’état « terrifiant » des fleuves, en termes de « salinité des eaux ou de pollution ».

Neveu du célèbre sculpteur et peintre Jawad Salim, cet artiste né dans une famille irako-allemande se passionne pour l’art vernaculaire irakien.

En 2013, à bord d’embarcations traditionnelles, il avait participé à une expédition de 1.200 km sur le Tigre, du sud de la Turquie à l’extrême sud de l’Irak, organisée par l’ONG Nature Iraq.

Ce n’était pas là sa première aventure. En 1977, il était le plus jeune membre d’équipage du Tigris, immense navire en roseau du norvégien Thor Heyerdahl, qui a parcouru en haute mer 6.800 kilomètres en 143 jours.

Du sud de l’Irak en passant par la Mer d’Arabie, le Pakistan et enfin Djibouti, le périple avait pour but de prouver que les civilisations anciennes de Mésopotamie, d’Egypte et de la Vallée de l’Indus étaient en contact via les mers.

 « Renaissance »

Comme pour le Meshhouf, Rachad Salim veut ressusciter la Guffa, une embarcation ronde semblable à un gros panier d’osier, dont la taille peut dépasser les deux mètres de diamètre.

Mais il souhaiterait aussi trouver des solutions financièrement viables pour faire perdurer son projet et garantir « des emplois ».

A 400 kilomètres plus au sud, le quadragénaire Zouheir Raisan se souvient comment, enfant, il aidait son père et ses frères à fabriquer à Huweir des Meshhouf dont la taille variait entre cinq et 11 mètres.

« Cela faisait 30 ans que nous avions arrêté », ajoute-t-il. Mais depuis quatre ans, il a repris cet artisanat.

A l’ombre d’une traditionnelle structure en roseau, le mudhif, il scie des planches et aide son cousin à les clouer sur un Meshhouf.

Mais il n’a pas abandonné son emploi de camionneur car impossible pour le moment de vivre de son activité secondaire. « La demande ne suffit pas », déplore ce père de huit enfants. « Je ne pourrais pas faire face aux dépenses de mon foyer. »

« Des pays viennent à la recherche de cet héritage, pour encourager sa renaissance », rappelle-t-il. « Pourquoi ne le fait-on pas renaître nous-mêmes? »

© AFP

Ecrire un commentaire