Prendre en compte la « géodiversité » pour mieux gérer nos territoires

géodiversité

Grand Prismatic Spring, Yellowstone National Park, Wyoming, United States (44°31' N - 110°50' W) © Yann Arthus-Bertrand

Le 6 octobre 2022 a été commémorée, sous l’égide de l’Unesco, la Journée internationale de la géodiversité. Un événement resté peu médiatisé malgré sa portée mondiale, et relayé en France par de rares initiatives locales. Que cache ce terme encore méconnu du grand public ?

Apparu pour la première fois en 1993, ce concept est directement inspiré du mot « biodiversité », popularisé un an plus tôt lors du Sommet de la Terre de Rio.

La géodiversité représente en quelque sorte le pendant abiotique ou non vivant de la biodiversité. La définition la plus répandue de ce concept fait référence à la variabilité naturelle du monde non vivant dans ses composantes géologiques (roches, minéraux, fossiles), géomorphologiques (relief, processus physiques), pédologiques (sols et milieux d’interface) et hydrologiques (eaux de surface et souterraines), ainsi que leurs structures, assemblages et contributions à la formation des paysages dans une zone donnée.

La géodiversité se décline ainsi en plusieurs composantes qui vont du sous-sol au sol, milieu d’interface entre le vivant et le non-vivant. À l’instar de la biodiversité, la géodiversité est soumise à différentes pressions et menaces tout en étant le support de nombreuses activités et aménagements humains.

Un impensé de la protection de la nature

Les actions de protection de la nature et d’aménagement durable des territoires négligent pourtant les composantes non vivantes qui, elles aussi, font partie intégrante des écosystèmes. Or, ces roches, reliefs, sols ou eaux sont le support essentiel de la biodiversité et contribuent à répondre aux besoins des sociétés humaines.

[À lire aussi L’ONU appelle à mieux préserver le sable, seconde ressource naturelle la plus exploitée au monde après l’eau]

Malgré son importance, la géodiversité occupe une faible place dans les préoccupations environnementales et les agendas politiques de nombreux pays, y compris en France. Les termes d’« environnement », de « biodiversité », d’« écologie » sont les seuls qui reviennent constamment dans les discours et les esprits des élus, des aménageurs, du grand public et de tous les acteurs impliqués dans les processus de planification territoriale.

Les changements globaux que nous vivons ont des répercussions à différentes échelles, qui se traduisent par de nouvelles réflexions sur une meilleure allocation et une meilleure gestion des espaces. Mais pouvons-nous aménager durablement nos territoires sans avoir une vision globale de ce qu’est un écosystème, dans sa dimension vivante… et non vivante ?


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Le non-vivant aussi nous rend service

Si la géodiversité possède en soi une valeur intrinsèque pouvant justifier sa conservation au même titre que la biodiversité, on a plus récemment commencé à s’intéresser aux services que la géodiversité peut rendre à la société. Ainsi, de nombreux scientifiques ont proposé de décliner à la géodiversité le concept de « services écosystémiques », définis comme les services que la nature rend aux sociétés humaines pour répondre à leurs besoins et bien-être.

Le volcan Gunung Bisma vu du ciel, sur l’île de Java (Indonésie) : les sols fertiles qui entourent le volcan sont occupés par un dense parcellaire agricole.
Google Maps, 2022

Ce sont les « services écosystémiques abiotiques » ou « services géosystémiques », en soulignant l’importance que la géodiversité peut avoir non seulement d’un point de vue culturel, mais également comme fonction de support (développement des sols, support d’habitats naturels), d’approvisionnement (d’eau, de nourriture, de matières premières) et de régulation des cycles naturels (régulation du climat, des cycles des éléments nutritifs, contrôle de l’érosion, de la qualité des eaux).

Prenons l’exemple des montagnes andines et leur rôle dans l’approvisionnement de matières premières ou dans la régulation du climat sud-américain en faisant barrage aux flux provenant du Pacifique. Citons également la contribution des volcans à la formation de sols très fertiles propices à l’agriculture.

Ou encore les roches calcaires faisant office d’aquifères utilisés pour l’approvisionnement d’eau potable et non potable. La ville de Rome, alimentée par l’eau phréatique de la chaîne calcaire des Apennins, en est l’exemple parfait. Enfin, certains reliefs ou formations rocheuses sont imprégnés de valeurs culturelles ou spirituelles. C’est le cas du mont Uluru en Australie, un lieu sacré lié au peuple aborigène Pitjantjatjaras.

Le Mont Uluru vu du ciel (Australie) : un objet de géodiversité à forte valeur culturelle.
Google Earth, 2019

Un regard partiel toujours trompeur

La géodiversité est cruciale dans le fonctionnement d’un système écologique et sa contribution à satisfaire les besoins physiologiques, sociaux, économiques et culturels de nos sociétés. Il apparaît ainsi essentiel que la géodiversité soit prise en considération au même titre que la biodiversité dans les démarches de gestion environnementale et d’aménagement territorial.

Le concept de géodiversité doit surtout aujourd’hui être étendu à des perspectives qui ne se limitent pas à la conservation, mais qui regardent une réalité qui, avec des changements démographiques et les besoins (alimentaires, industriels, infrastructurels) qui en découlent, peut également impliquer la transformation voire l’exploitation ou la destruction de ces ressources.

Aménager ne signifie pas toujours conserver mais cela requiert une concertation constante entre différents acteurs quant à l’usage, l’allocation et la destination des espaces et des ressources par rapport à une pluralité d’intérêts, souvent contrastants.

Il ne suffit pas de quantifier et d’exprimer en termes d’abondance ou de richesse la géodiversité. Sa dimension fonctionnelle, que nous appelons ici « géofonctionnalité », doit être prise en compte dans une perspective de gestion environnementale et territorialisée des ressources.

Vue aérienne
D’après les connaissances actuelles, les zones à plus forte geodiversité en Guyane, semblent correspondre aux zones riches en or, exploitées légalement et illégalement. Néanmoins, l’exploitation illégale d’or, représente à la fois une menace socioéconomique et environnementale majeure en Guyane mais aussi un phénomène social qui parfois se développe parmi des petites communautés locales.
Environmental justice atlas

Le constat est valable en France métropolitaine mais également dans ses territoires d’outre-mer, qui présentent des contextes socio-économiques et écologiques très variés, avec des dynamiques de développement, d’urbanisation et de gestion des espaces qui demandent impérativement la mise en place de démarches d’aménagement durable adaptées aux réalités locales.

carte légendée de la guyane
Première évaluation quantitative et cartographiée de la géodiversité guyanaise.
Scammacca et coll., 2022, Fourni par l’auteur

À titre d’exemple, la Guyane est la deuxième région de France par taux de croissance démographique tout en ayant plus de 90 % de son territoire couvert par la forêt amazonienne. Une biodiversité et une géodiversité sous-jacente incroyables habitent ce territoire et une étude vient d’être réalisée portant sur la première évaluation de la géodiversité guyanaise.

Des espaces, que ce soit de façon réglementée ou informelle et spontanée, seront inévitablement occupés et utilisés pour répondre à des besoins variés (habitations, industrie, agriculture, extraction minière). Le meilleur choix du décideur pourrait être d’agir sur le « comment »… pour éviter les erreurs du passé.The Conversation

 Prendre en compte la « géodiversité » pour mieux gérer nos territoires  par Ottone Scammacca, Institut de recherche pour le développement (IRD) et François Bétard, Université Paris Cité

Ottone Scammacca, Docteur en Géosciences, Institut de recherche pour le développement (IRD) et François Bétard, Maître de conférences HDR en géographie, Université Paris Cité

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Un commentaire

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    • Guy J.J.P. Lafond

    Réflexion intéressante. Merci Good Planet!