Au Maroc, le dérèglement climatique, « cercueil » des derniers nomades

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Ida Ouchaali, une nomade, près du village d'Amellagou (Maroc) le 2 septembre 2022 © AFP FADEL SENNA

Amellagou (Maroc) (AFP) – « Tout a changé. Je ne me reconnais pas dans le monde d’aujourd’hui. Même la nature se retourne contre nous. »

Moha Ouchaâli, l’un des derniers nomades du sud du Maroc, le visage aux traits tirés encadré d’un turban noir, se bat au quotidien pour survivre dans d’âpres conditions climatiques et sociales.

Ce quinquagénaire et sa famille ont été contraints de poser leur bagages dans un no man’s land à environ 60 km de la petite ville d’Er-Rich, non loin d’une rivière à sec.

Dans un paysage aride et rocailleux, près du village d’Amellagou, sont dressées deux tentes en laine noire, tapissées de sacs de fourrage colorés et de chutes de tissus.

« L’eau se fait rare. Les températures augmentent, la sécheresse sévit sans qu’on puisse faire grand-chose », lâche le nomade de la tribu amazigh (berbère) des Aït Aïssa Izem.

Au Maroc, le nomadisme pastoral, un mode de vie millénaire reposant sur la mobilité au gré des saisons et des pâtures du bétail, tend à disparaître.

Les nomades ne sont plus que 25.000, selon le dernier recensement officiel en 2014 contre près de 70.000 en 2004, soit une chute des deux-tiers en dix ans.

« Le cercueil des nomades »

« Nous sommes épuisés », souffle Ida, l’épouse de Moha Ouchaâli.

« Avant on arrivait à vivre convenablement mais les sécheresses successives, de plus en plus intenses, nous compliquent la vie car sans eau on ne peut rien faire », s’émeut cette femme de 45 ans.

« Les nomades ont toujours été considérés comme un thermomètre des changements climatiques. Si eux, qui vivent dans des conditions extrêmes, n’arrivent plus à résister à l’intensité du réchauffement, c’est que l’heure est grave », souligne l’anthropologue Ahmed Skounti.

« Le tarissement des ressources hydriques, visible aujourd’hui même chez les sédentaires, plante le dernier clou dans le cercueil des nomades », assène-t-il.

Le dérèglement climatique perturbe en premier lieu leur parcours de transhumance.

En temps normal, les Aït Aïssa Izem passent l’été dans la vallée montagneuse d’Imilchil car il y fait plus frais et préfèrent les environs plus cléments de la province voisine d’Errachidia l’hiver.

« C’est de l’histoire ancienne, maintenant on va là où il reste un peu d’eau pour sauver le bétail », raconte M. Ouchaâli autour d’un verre de thé.

« Parias »

La rareté de l’eau contraint même certains nomades à s’endetter pour nourrir leur bétail, principale source de revenu, comme l’explique Ahmed Assni, 37 ans, croisé près d’une minuscule source d’eau, presque asséchée, sur la route reliant Amellagou à Er-Rich.

« Je m’endette pour acheter du fourrage pour mon bétail et ne pas mourir de faim. »

Mais le phénomène le plus commun face au changement du climat demeure le choix de la sédentarisation.

Un autre itinérant, Saïd Ouhada, la quarantaine, a déjà mis un pied en ville en y installant sa femme et ses enfants pour leur scolarité.

« Etre nomade, ce n’est plus comme avant. Je continue à l’être par contrainte car mes parents très âgés refusent de vivre en ville », témoigne M. Ouhada, dont le campement est aussi installé près d’Amellagou.

Cette localité « comptait 460 tentes. Actuellement on n’en dénombre qu’une quarantaine », précise Driss Skounti, élu communal représentant des nomades.

« Se battre pour survivre »

Le climat n’est pas l’unique facteur précipitant la détérioration de leurs conditions de vie.

« La raréfaction des pâturages due à la privatisation des terres et de l’investissement agricole, y contribue », avance Moha Haddachi, 54 ans, président de l’association des nomades des Aït Aïssa Izem.

« Ce sont les investisseurs agricoles qui dominent des espaces où les animaux des nomades avaient pour habitude de paître », ajoute le militant associatif.

Les nomades peuvent aussi faire face à « l’hostilité » de certains villageois, rétifs à l’idée de les voir s’installer « chez eux ».

« Pourtant, ça n’a pas été toujours le cas, partout où on allait on était les bienvenus », déplore l’ex-nomade Haddou Oudach.

Face à ces difficultés, la vie nomade ne semble plus séduire les jeunes qui rêvent de sédentarité.

C’est le cas de Houda Ouchaâli, 19 ans.

Installée chez un oncle à Er-Rich, la jeune fille, qui cherche à suivre une formation professionnelle après avoir quitté le lycée, avoue « détester » le nomadisme car elle « ne supporte plus de voir (ses) parents souffrir et se battre pour survivre ».

« La nouvelle génération veut fermer le chapitre du nomadisme. Les choses les plus simples deviennent trop compliquées ici. »

© AFP

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