À La Paz, le cliquetis des machines des écrivains publics résiste au temps

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L'écrivain public Rogelio Condori tape une lettre dans une rue de La Paz, en Bolivie, le 8 juin 2022 © AFP Martín SILVA

La Paz (AFP) – Rogelio Condori tape sur sa machine à écrire, les yeux concentrés sur la feuille de papier. Ecrivain public depuis près de quarante ans à La Paz, il remplit des formulaires administratifs ou écrit des lettres d’amour.

Depuis 1985, cet homme de 61 ans, costume et chapeau élégants, s’installe aux premières heures de la journée devant sa machine à écrire, une Brother modèle 1974, dans une rue animée de la capitale bolivienne.

« Des impôts, comme la déclaration d’héritiers, ou d’autres formulaires sont encore tapés à la machine » car ils ne sont pas disponibles sur internet, explique l’écrivain public, visière en plastique sur le visage pour se protéger du Covid-19.

La plupart du temps, Rogelio remplit des paperasses administratives, mais il lui arrive aussi d’écrire des lettres d’amour. Il en coûte aux clients entre 5 et 7 bolivianos (entre 70 centimes et un euro) par page.

Il se souvient encore de la prose avec laquelle il a tenté d’aider un homme qui voulait sauver sa relation avec son épouse: « Mon amour, les années qui ont passé ne sont pas vaines, reconsidère notre situation », récite-t-il de mémoire.

Le client « n’a pas dit (à sa femme) que j’avais écrit la lettre », dit Rogelio en riant. Peu après, le client est venu lui dire qu’elle avait atteint son but.

Outre Rogelio, neuf autres écrivains publics officient dans la rue, près de la mairie de La Paz. Chaque matin, ils installent sur le trottoir leurs petits bureaux mobiles.

Bien qu’il préfère travailler dans la rue parce qu’il trouve cela plus « excitant », Rogelio Condori a aussi ouvert un bureau « avec internet et ordinateur » pour quelques procédures qui peuvent désormais être effectuées en ligne.

Alors que seuls 60% des Boliviens ont accès à internet et que la connexion n’est pas toujours rapide, la plupart des procédures administratives en Bolivie sont faites en personne et sur papier. Rogelio soutient d’ailleurs que « la machine à écrire est plus maniable » et « plus rapide » que l’ordinateur.

Marisol Poma, 39 ans, est devenue écrivaine publique il y a huit ans. Elle a son stand à côté de celui de Rogelio. « Quand ils voient la machine à écrire, les enfants demandent: +Maman, c’est quoi ce truc carré ?+ », rigole-t-elle.

Un couple d’Indiens Quechua, l’air grave, s’arrête devant son stand. L’homme lui demande de remplir un formulaire de divorce.

Les clients sont aussi bien des adolescents que des personnes âgées: étudiants, employés de bureau, agriculteurs, retraités…

« Je n’ai pas eu de bonnes expériences avec les comptables et les avocats, et en plus ils font payer » pour des conseils que les dactylos offrent gratuitement, explique Lazario Cucho, un agriculteur de 56 ans qui a déjà eu recours aux services de Rogelio.

Nancy Vargas, une autre habituée, préfère la netteté de l’ordinateur, mais opte pour le côté pratique de la machine. Vêtue d’une ample jupe andine et d’un chapeau melon, cette paysanne de 40 ans dicte à Rogelio le contenu d’une lettre à soumettre à la banque pour demander un prêt.

Il est trois heures de l’après-midi et Rogelio remet son « bureau » dans sa voiture pour le laisser dans un entrepôt voisin jusqu’au lendemain matin.

« Je pense que ce truc de la machine à écrire va continuer… Et si elle disparaît, je pars heureux, mission accomplie », dit-il.

© AFP

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