Le Prêcheur, symbole de la montée des eaux qui ronge le littoral de Martinique

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Joseph Gustave, patron du restaurant Mélodie au Prêcheur en Martinique, montre devant son établissement une photo de la côte dans les années 1970, le 17 juin 2022 © AFP STEPHANE DE SAKUTIN

Le Prêcheur (France) (AFP) – « Peut-être qu’à la prochaine houle, ces gens-là seront obligés de laisser leur maison », soupire Jean-Guy Gabriel, marin-pêcheur au Prêcheur, au nord-ouest de la Martinique, symbole de la menace pressante de la montée des eaux sur l’île.

Dans le quartier de la Charmeuse, les dernières houles ont détruit l’enrochement érigé par l’homme pour protéger les habitations et retarder le plus possible l’arrivée de la mer.

Le phénomène naturel s’est accéléré: le niveau de la mer s’élève en moyenne de 3,5 mm par an en Martinique, selon les derniers chiffres du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), contre 2,5 mm il y a une dizaine d’années.

« A horizon 2090-2100, la Martinique devrait perdre 5% de son territoire par rapport au seul phénomène de l’élévation du niveau de la mer, avec l’apparition également d’ondes de tempêtes qui vont exacerber la force de pénétration de la mer à l’intérieur des terres », souligne le géographe Yoann Pélis.

Jean-Guy Gabriel a grandi au Prêcheur, qui compte 1.200 habitants. Il a connu une époque où la fête communale avait lieu devant la plage de la Charmeuse. Aujourd’hui il n’y a que la mer, qui a grignoté plus de 60 mètres de plage entre 1947 et 2010.

A bord de sa yole, l’Agoulou, il contemple amèrement l’avancée inéluctable de la mer sur sa ville natale. Il longe la côte, à toute vitesse, où les feuilles rouges des flamboyants détonnent avec le vert luxuriant de la végétation tropicale.

« Ici, avec le cocotier, c’est chez moi », pointe-t-il du doigt. Sa maison aux murs jaunes, coin d’ombre face à la mer des Caraïbes est aujourd’hui au bord de l’eau. « Là-aussi, la mer a récupéré l’enrochement. Il y a deux ans encore, les pêcheurs pouvaient encore passer avec leur pickup. »

« Il y avait des maisons »

Le recul le plus visible est à Anse Belleville, où le trait de côte a reculé de plus de 130 mètres en 60 ans.

« Là, dans les années 1950, c’était un village totalement aménagé sur la frange littorale, jusqu’à à peu près 100 mètres en mer », se souvient le maire du Prêcheur, Marcellin Nadeau, sur la jetée le long de la mer. « Il y avait des maisons, des commerces, tout ce qui fait la vie d’un village ». Des cabines de pêcheurs sont désormais sous l’eau.

Les sections de littoral qui reculent le plus en Martinique se situent dans le nord-ouest de l’île comme au Prêcheur.

Plusieurs facteurs expliquent l’ampleur du phénomène: la friabilité de la roche volcanique au contact de l’eau, mais aussi les zones sous-marines où les houles s’engouffrent, qui gagnent en vitesse et favorisent l’érosion côtière.

« Il y a aussi l’action de l’homme, qui a prélevé pendant des décennies du sable sur le littoral. Toutes les constructions ont été faites avec du sable de mer », rappelle le professeur Pascal Saffache, de l’université des Antilles et de la Guyane.

La végétalisation du littoral permet de lutter contre l’érosion. Des raisiniers bord de mer, arbustes endémiques et extrêmement résistants au sel et aux embruns, ont été plantés le long de la Charmeuse pour fixer la plage et ralentir le recul du trait de côte.

Au-delà des risques météorologiques et climatiques se pose la question de futur aménagement du territoire: où seront relogés les Martiniquais du littoral, alors que les zones habitables sont de moins en moins importantes ?

« Dans 10 ans, c’est fini »

La mairie du Prêcheur prévoit notamment d’installer une école et de nouvelles habitations dans les hauteurs de la ville, pour accueillir entre 60 et 100 familles, soit près de 300 personnes.

L’odeur de poisson grillé émane du Mélodie, sur la route qui mène à Anse Belleville. Joseph Gustave, le gérant, tient dans sa main une photo de lui datant de plus de 40 ans devant une longue étendue de plage de sable blanc sur des dizaines de mètres, aujourd’hui totalement engloutie.

« Auparavant, les gens pouvaient rester sous les cocotiers ou sur la plage. Les pêcheurs installaient leur filet sur des tuteurs en bambous. Maintenant c’est fini. Il y a un manque à gagner », déplore-t-il.

La mer avance tellement qu’elle s’infiltre sous sa terrasse, qui menace de s’effondrer. Il a financé l’enrochement de son restaurant de sa poche à hauteur de 25.000 euros. « Et malgré cela, la mer passe quand même. Je préfère ne pas y penser mais dans 10 ans je sais que c’est fini », insiste-t-il, dépité.

© AFP

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