Une transition agroécologique nécessaire, au cœur de l’Europe

Grand Lucé transition écologique europe enjeux

Un élevage bovin au Grand-Lucé, dans le nord-ouest de la France, le 21 août 2018 © AFP/Archives JEAN-FRANCOIS MONIER

Paris (AFP) – Quelle agriculture pour demain ? La « planification écologique » promise par Emmanuel Macron va imposer à l’agenda la question de la transition d’un secteur à la fois victime et moteur du changement climatique, explique Pierre-Marie Aubert, chercheur à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri).

Cette transition, estime le chercheur, nécessitera une « réponse coordonnée au niveau européen » et devra aborder la question presque tabou politiquement de « la réduction de la production animale ».

Quelle France agricole aujourd’hui ?

La France est le premier producteur européen de céréales, d’œufs et de viande bovine. Son agriculture, première bénéficiaire de la Politique agricole commune (PAC), représente « près de 20% des émissions nationales de gaz à effet de serre », rappelle le spécialiste des politiques publiques agricoles.

C’est un géant fragile, vieillissant, qui perd chaque année plus d’1% de ses 400.000 exploitants et subit de plein fouet des aléas climatiques ou les attaques de parasites plus résistants.

« Entre 1950 et 1995, les rendements progressaient de manière très importante sous l’effet de l’apport de fertilisants, d’une meilleure gestion des parasites par la chimie et de la mécanisation. A partir de 1995, on a plafonné sur la plupart des productions, avec des accidents climatiques de plus en plus fréquents », rappelle le chercheur.

Produire moins d’animaux

L’objectif de neutralité carbone est traduit par la « feuille de route européenne qu’est le Green Deal, avec sa déclinaison agricole, la stratégie de la Fourche à la Fourchette (Farm to Fork) », qui impose entre autres de « réduire les engrais azotés, les pesticides », d‘ »augmenter la complexité paysagère » (prairies, haies…) et « de réduire la consommation de produits animaux ».

« Aujourd’hui, affirme Pierre-Marie Aubert, aucun scénario n’envisage une Europe en 2050 où on aurait réduit suffisamment les émissions de gaz à effet de serre pour atteindre la neutralité carbone sans passer par la réduction de la production animale ».

« On ne sait pas faire autrement », insiste-t-il, plaçant cette réduction au cœur du développement de l’agroécologie, c’est-à-dire d’une agriculture durable, respectueuse des équilibres environnementaux.

« Les élevages aujourd’hui – notamment en Espagne, Pays-Bas, Danemark ou Italie – sont extrêmement intensifs et hétéronomes (la nourriture que l’on donne aux animaux vient de l’extérieur de la ferme). Ces systèmes absorbent 60% du grain (maïs, orge) utilisé en Europe et 75% des oléoprotéagineux (soja, colza, tournesol) ».

Résultat : « le principal moteur de l’usage des fertilisants et des pesticides, c’est la production animale ».

En France, comme ailleurs, « cette transition de l’élevage est peu abordée et reste très sensible, politiquement et culturellement », reconnaît-il.

Mais en Europe, certains pays ont ouvert le débat: « Les Pays-Bas mettent sur la table un dispositif de financement de la transition de l’élevage, avec 25 milliards d’euros sur dix ans et une réduction du cheptel d’un tiers ».

Dilemme du prisonnier

C’est d’autant plus difficile que les bénéfices de la transition ne seront « pas immédiats »: « Ce n’est pas parce que les agriculteurs français auront fait de gros efforts d’atténuation que les effets du changement climatique seront moins forts sur leurs parcelles. C’est typique du dilemme du prisonnier », dont les intérêts individuels s’opposent aux intérêts collectifs.

Pour le chercheur, « on ne peut pas traiter la décarbonation indépendamment de la biodiversité » et il faut simultanément « activer plusieurs leviers politiques »: concernant l’offre – comment les agriculteurs produisent – la demande – comment les gens consomment – et l’organisation du marché.

Sur l’offre, il estime, comme le réclament les agriculteurs, qu’il faut construire « un système de paiement pluriannuel de la PAC » et non annuel comme c’est le cas actuellement. Par exemple, alors que la France plaide pour plus d’autonomie protéique, « on pourrait dire aux agriculteurs: si vous n’avez pas en quatre ans 15% de légumineuses dans votre assolement, on réduit le paiement de moitié ».

« Il y a plein de choses possibles » et il faut se nourrir des points forts de chacun: « Le système herbager de l’élevage laitier français » ou « le maintien en Italie d’un réseau de petites fermes – plus d’un million et demi contre plus de 450.000 en France ».

Reste l’inconnue du prochain quinquennat Macron: « Est-ce que qu’il va faire ce qu’a dit le candidat d’avant le premier tour, c’est-à-dire réclamer de rediscuter la stratégie Farm to Fork au nom de la souveraineté alimentaire, ou ce qu’a dit le candidat de l’entre-deux tours: +Il faut la planification écologique, il faut être ambitieux+ ? On ne sait pas ».

© AFP

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2 commentaires

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    • Claude Courty

    Rien de sérieux ni de durable ne se fera sans prendre en compte, mondialement, la dimension démographique – humaine – des problèmes posés à la planète et à tout le vivant qui la peuple.
    « Avant toute autre considération, l’être humain est un consommateur » Gaston Bouthoul (1896-1980). Comme chaque représentant de ce vivant, parce qu’il doit impérativement ne serait-ce que se nourrir, se vêtir, se loger et se soigner, il l’est depuis sa conception jusqu’après sa mort – les marchés du prénatal et du funéraire en attesteraient s’il en était besoin – et il se double d’un producteur dès qu’il est en âge de travailler. Il est ainsi un agent économique au service de la société, aux dépens de son environnement. Et plus le nombre de ces agents augmente, plus leurs besoins s’accroissent – outre ceux qu’ils s’inventent toujours plus nombreux – ; plus ils produisent, consomment, échangent et s’enrichissent, avec l’aide du progrès scientifique et technique, quelles que soient les conditions du partage de leurs richesses.
    Qu’il s’agisse de gestion de ressources non renouvelables comme de déchets, ou de pollution, les atteintes à l’environnement augmentent d’autant et s’ajoutent aux effets des caprices d’une nature jamais avare de catastrophes inopinées ou cycliques.

    • Francis

    La production animale serait le principal moteur de l’usage des fertilisants et pesticides ? C’est faux, c’est absurde, les déjections sont des fertilisants, les minéraux sont recyclables à l’infini. Quant aux pesticides, c’est faux pour les herbivores. Les prairies, qu’il faut conserver par ailleurs, n’en ont pas besoin ou extrêmement peu. De plus, on ne peut pas faire de permaculture sans élevage, pas de vergers sans volailles, pas de rizières sans canards, pas de grandes cultures sans moutons. Qui peut certifier que certains de nos descendants ne seront pas obligés de revenir au cheval ou au boeuf de trait ?