Bruno Latour, observateur de la lutte des « classes géo-sociales »


Bruno Latour à Paris le 3 février 2021 © AFP JOEL SAGET

Paris (AFP) – Les crises du changement climatique et de la pandémie ont brutalement révélé une lutte entre « classes géo-sociales », que Bruno Latour observe, avec beaucoup d’incertitudes sur le devenir de la planète.

L’anthropologue, sociologue et philosophe a publié en janvier « Où suis-je ? » (éditions La Découverte), sous-titré « Leçons du confinement à l’usage des terrestres ». La leçon principale, pour lui, est que nous sommes encore plus vulnérables que nous ne le pensions, pas assez conscients de la dégradation de notre environnement.

« Le capitalisme a creusé sa propre tombe. Maintenant il s’agit de réparer », dit à l’AFP Bruno Latour.

Or les systèmes politiques des pays les plus grands émetteurs de CO2 et consommateurs de ressources non renouvelables n’y semblent pas prêts.

« Dans les pays développés, leur tâche a été après guerre de reconstruction, de modernisation et de globalisation. Donc ces élites et ces Etats sont faits pour autre chose qu’un monde où la question devient tout à fait différente », décrit l’anthropologue.

– Classes « rematérialisées » –

« On peut regretter leur manque d’ajustement, mais regardez la difficulté que les citoyens ordinaires que nous sommes ont à simplement saisir quelque chose devenu aussi évident que le fait que la température de la planète dépend de notre action. Un gouvernement ne va pas plus vite que l’opinion publique ».

Et cette opinion est divisée, entre ceux qui ont les moyens de se protéger des conséquences du réchauffement ou des crises sanitaires, et ceux qui ne les ont pas.

« C’est le grand intérêt de l’épreuve que nous subissons: de ramener ce que j’appelle les classes géo-sociales au devant de la scène », estime Bruno Latour.

« Alors qu’à la fin du siècle dernier, on pensait que les classes avaient disparu, elles ont été au contraire rematérialisées d’une manière extrêmement visible par le Covid. Tout le monde s’est aperçu des relations de classe: les gens qui meurent en fonction de la +race+, ceux qui doivent assurer les livraisons de biens et services essentiels et qui sont plus exposés au virus, etc. ».

Mais il n’y voit pas la raison d’un retour au marxisme: « On s’aperçoit que les classes qu’on appelait des classes sociales ont toujours été des classes géo-sociales. Cela a toujours été des questions d’occupation de territoires, et de déplacements ».

– Extracteurs et ravaudeurs –

« On avait une cartographie des relations de pouvoir qui était simplifiée. C’est-à-dire que si des prolétaires et un capitaliste s’entendaient sur l’exploitation d’un sol, le sol ne faisait pas partie de la question. Or maintenant la question de la disparition du sol sur lequel vivent les capitalistes et les prolétaires devient un sujet ».

A l’ancienne opposition entre gauche et droite, « Où suis-je? » en substitue une autre, entre « extracteurs » et « ravaudeurs ». Les premiers qui continuent à exploiter une planète où le « jour du dépassement » intervient de plus en plus tôt dans l’année. Les seconds qui réfléchissent pour limiter leur empreinte.

« Est-ce que je stérilise ou est-ce que je féconde les conditions d’existence qui m’ont permis d’être là? » est selon le philosophe la question qui se pose à tous aujourd’hui. Même si « nous sommes tous extracteurs quand nous vivons dans des pays développés ».

Et devenir « ravaudeur » n’a rien de simple. Comme à l’époque de la découverte du Nouveau Monde, « il faut tout réinventer à nouveau, le droit, la politique, les arts, l’architecture, les villes », écrit Bruno Latour.

© AFP

4 commentaires

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    • Francis

    GP Mag se discrédite en publiant ces élucubrations trotskystes !!!!

    • Mocha

    Eh bien bravo de mettre cela en évidence. Peu d’extracteurs ou de ravaudeurs s’en aperçoivent …

    • Guy J.J.P. Lafond

    Intéressant. Merci.
    En y réfléchissant un peu et en se mettant dans la peau d’un ravaudeur pendant cette parenthèse qu’est la pandémie, Oui, nous pourrions par exemple mettre au rancart au moins la moitié des véhicules à énergie thermique en circulation sur Terre en attendant de recycler cette ferraille sous d’autres formes: chaudrons, outils, abris,…
    Pourquoi pas. C’est préparer l’avenir de nos enfants après tout.
    Bienvenue au XXIe siècle, les Baby boomers! @;-)

    • CATTIN MARTINE

    pourquoi nos dirigeants ne sont-ils pas aussi brillants .
    merci pour votre oeuvre , qu’elle soit accessible à un plus grand nombre

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