Dans les prisons philippines, une croix sur un tatouage pour renoncer à la violence

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Un détenu, expert en l'art du tatouage, recouvre d'une croix noire le tatouage d'un codétenu qui marque l'appartenance d'un détenu à un gang, le 23 novembre 2020 à la prison de New Bilibid, à Manille, aux Philippines. © AFP Jam STA ROSA

Manille (AFP) – Dans un sifflement digne d’une fraise de dentiste, le tatoueur recouvre d’une grossière croix noire le tatouage qui marque l’appartenance de ce détenu à un gang philippin. Une mesure plébiscitée par les autorités pour réduire la violence carcérale.

Dans les prisons surpeuplées de l’archipel, les batailles entre bandes rivales sont monnaie courante. Et l’appartenance à un gang -matérialisée par le tatouage de son symbole sur la peau- est de longue date un impératif pour les détenus, afin d’obtenir nourriture, médicaments, ou tout simplement une protection.

Les conditions de vie dans les centres de détention se sont un peu plus dégradées ces dernières années du fait de la « guerre contre la drogue » du président Rodrigo Duterte, qui s’est traduite par une nette augmentation de la population carcérale.

Les autorités veulent croire que recouvrir les tatouages appliqués par les gangs sur les détenus peut leur permettre d’échapper à l’impératif de loyauté à l’égard de ces bandes et leur éviter d’être entraînés dans les guerres de gang. L’idée est avant tout de compliquer la donne pour les caïds cherchant à mobiliser leurs troupes.

« Les détenus rejoignent les gangs pour la sécurité », observe Gabriel Chaclag, porte-parole de l’administration pénitentiaire, en assurant que la campagne qui a débuté en octobre pour pousser les détenus à se débarrasser de la marque des bandes se fait sur la base du volontariat.

« Mais rallier un gang n’apporte pas que des bonnes choses car vous vous devenez une cible pour les bandes rivales. »

28.000 détenus pour 6.000 places 

Dans la prison de New Bilibid de Manille, la plus grande du pays avec plus de 28.000 détenus pour 6.000 places, l’immense majorité des prisonniers appartient à un gang.

Assis sur des chaises en plastique, torse nu avec un masque chirurgical sur le visage, des prisonniers attendent qu’un de leurs codétenus passé maître dans l’art du tatouage trace une épaisse croix noire sur la marque symbolisant leur gang.

« Appartenir à un gang signifie que vous êtes tenus d’aider les autres membres s’ils sont pris dans une bagarre. Ce ne sera plus le cas », dit Mark, un détenu condamné pour meurtre, en refusant que sa véritable identité soit citée.

Il a rejoint à son arrivée en prison il y a un an le gang Batang Mindanao (les Enfants de Mindanao).

« Désormais, ce sera la fraternité, nous sommes tous des frères », dit-il après que le tatouage sur son dos soit masqué, ce qui fait de lui un « querna », ou détenu non affilié à un gang.

Un autre prisonnier confie à l’AFP qu’il est convaincu que sa vie sera « certainement meilleure » hors du gang.

Les autorités reconnaissent que ce programme ne permettra pas de tourner du jour au lendemain la page des violences. Par le passé, des efforts pour limiter les bagarres, comme un « accord de paix » entre les gangs, n’ont eu qu’un résultat limité.

Preuve en est, au moins 13 personnes sont mortes et des dizaines ont été blessées récemment lors d’un affrontement de grande ampleur entre bandes rivales à Bilibid.

Renoncement de l’Etat 

« On ne peut pas éradiquer la violence du jour au lendemain, ni la culture des gangs, alors on y va lentement, progressivement », explique M. Chaclag.

Lex Ledesma, un psychologue qui a écrit un livre sur les gangs de Bilibid, sait qu’éradiquer la violence ne se fera pas en recouvrant seulement les tatouages. Car les gangs se sont imposés dans le vide du pouvoir laissé par les autorités, dont la présence dans les prisons est notoirement insuffisante.

Ces bandes jouent aussi un rôle social pour des prisonniers qui sont pour certains coupés du monde extérieur.

« Pour des détenus oubliés par leurs proches dans la prison, les gangs sont comme une famille car ils sont les seuls à s’occuper d’eux », explique M. Ledesma, qui intervient à Bilibid depuis 10 ans, et déplore les renoncements de l’Etat dans les prisons.

« Le plus grand problème, ici, est l’absence de volonté des autorités de permettre la réinsertion des détenus, une carence qui existait déjà avant Duterte », dit-il.

« Quand vous devenez un prisonnier, c’est comme si vous n’étiez plus que la moitié d’un homme, comme si vous n’étiez plus un être humain à part entière. »

© AFP

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