A Denting, ancien camp de travailleurs forcés, les éoliennes de la discorde

ancien camp travail Denting

Vue aérienne de l'ancien camp de travail du Ban Saint-Jean où plus de 25.000 Soviétiques sont décédés sous le joug de la Wehrmacht pendant la Seconde Guerre mondiale, le 23 novembre 2020 à Denting (Moselle). © AFP/Archives JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN

Denting (France) (AFP) – A Denting, en Moselle, plus de 25.000 prisonniers soviétiques sont morts pendant la Seconde Guerre mondiale sous le joug de la Wehrmacht dans le camp de travail du Ban Saint-Jean : 70 ans plus tard, un projet d’installation d’éoliennes fait polémique, risquant de troubler la quiétude des lieux.

« C’est un lieu de mémoire à préserver. Il faut un périmètre auquel personne ne touchera », martèle Bruno Doyen, président de l’Association franco-ukrainienne (AFU) pour la réhabilitation de ce site, à proximité duquel tournent déjà 70 éoliennes.

Ce camp largement méconnu, où, selon l’AFU, 5.000 personnes viennent se recueillir chaque année, avait hébergé au lendemain de la guerre des militaires ou des harkis. Les derniers militaires l’ont quitté au début des années 90 et, depuis, il tombe en ruine et nécessiterait des travaux urgents pour sa sécurisation.

« Il faut de l’argent. Sinon la mairie pourrait revendre et tout pourrait disparaître », s’alarme M. Doyen.

Mais au-delà de la pérennité du site, l’AFU redoute l’installation de six nouvelles éoliennes par une filiale française de la société allemande Nordex, envisagée d’ici à 2022, selon le maire du hameau de Denting (260 habitants),  François Bir.

L’une d’elles pourrait faire « de l’ombre au château d’eau » planté au centre du camp, s’alarme M. Doyen, qui pencherait plutôt en faveur d’un projet de parc photovoltaïque de 25 hectares, également envisagé.

Sergent-chef Mitterrand

Pour l’AFU, l’ancien camp, érigé sur un terrain de 88 hectares de forêts, doit être sacralisé.

Mais pour François Bir, les éoliennes seraient une aubaine en cette période de disette budgétaire.

Trois d’entre elles seraient construites sur des terres agricoles mais les trois autres le seraient sur des terrains communaux avec, à la clef, 25.000 euros de recettes annuelles. « Une partie bénéficiera à l’AFU pour aider à la sauvegarde du camp », fait-il valoir.

« Pour faire des choses, on a besoin d’argent », insiste l’élu.

De 1934 à 1936, le camp du Ban Sain-Jean, base arrière de la Ligne Maginot voisine, est érigé dans un cadre idyllique, avec ses élégants pavillons destinés au logement du 146e régiment d’infanterie de forteresse.

Mais au lendemain de la défaite de juin 1940 et de l’annexion de la Moselle par l’Allemagne nazie, les soldats français qui y séjournent sont désormais prisonniers de la Wehrmacht.

Parmi eux, un certain François Mitterrand. Repris en novembre 1941 à Metz après s’être évadé d’un Stalag en Allemagne, le sergent-chef Mitterrand y avait passé une semaine avant d’être envoyé à Boulay, commune voisine d’où il avait réussi à s’enfuir le mois suivant pour rejoindre la France libre.

Entre-temps, en juin 1941, avec l’opération Barabarossa, l’invasion de l’URSS par les troupes nazies, le camp avait changé à nouveau de destination pour devenir le lieu où seront internés des centaines de milliers de travailleurs forcés soviétiques, militaires et civils.

Majoritairement Ukrainiens, ils devaient fournir la main-d’oeuvre nécessaire aux industries et mines de fer et de charbon de la région ainsi qu’à quelques fermes.

Camp noir 

A la Libération, une Commission mixte franco-soviétique estimera que « 320.000 soviétiques » ont séjourné dans ce Stalag, rebaptisé le « camp noir » par les détenus.

Le document, cosigné par le colonel russe Kolossov et le préfet de la Moselle de l’époque Louis Tuaillon, relève les « mauvais traitements, la famine, le dur labeur » et les « exécutions » sommaires.

Il dénonce aussi l’existence d' »un système de tortures » et « d’humiliations » dont le but était « d’exterminer les personnes qui s’y trouvaient ». A titre d’exemple : les longues heures d’attente, mouillé et nu, dans le froid hivernal.

Quant aux nombre de personnes décédées, il ne s’agit que d’estimations : « 3.500 dans un charnier » de l’ancien cimetière juif de Boulay et « 20.000 » au Ban Saint-Jean, selon la commission.

D’autres fosses communes, précisait-elle, ont été localisées à Metz, Bitche, Creutzwald-la-Croix, Thionville, Amnéville pour atteindre donc le chiffre d’environ 26.000 morts. Mais « il est possible que tous les corps n’aient pas été retrouvés », constatera la commission.

Aujourd’hui, au bout d’un « chemin pédagogique » portant symboliquement les prénoms de trois déportés (Igor, Andrëi et Iwan), une stèle trilingue, en russe, ukrainien et français, rend hommages aux disparus.

Et lors des cérémonies, les deux poteaux à l’arrière servent à tendre une corde. Les drapeaux de l’ancien bloc soviétique y sont alors accrochés.

©AFP

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