En Sibérie, des feux « zombies » attisés par le changement climatique

Sibérie incendies

Des militants de Greenpeace luttent contre des feux souterrains, le 11 septembre 2020 dans la forêt de Souzounski, au sud de Novossibirsk, en Sibérie. © AFP Alexander NEMENOV

Chipounovo (Russie) (AFP) – Equipé d’une pelle, Grigori Kouksine retourne la terre fumante d’une tourbière en Sibérie. Avec un petit groupe de bénévoles, ce pompier russe affronte un redoutable incendie, résistant à l’hiver, et une véritable « bombe climatique ».

« Ce sont des feux souterrains, des feux zombies », explique à l’AFP le professionnel de 40 ans, chef de l’unité anti-feux de forêts de l’ONG Greenpeace.

Il faut s’enfoncer dans la réserve naturelle de Souzounski, à 130 kilomètres au sud de Novossibirsk, la troisième ville de Russie, pour atteindre le sinistre : une vaste tourbière recouverte d’orties, de chanvre, et entourée d’une épaisse forêt de pins.

Ici, la tourbe, matière fossile issue de la lente décomposition de végétaux en milieu humide, se consume depuis environ cinq ans, estime Grigori Kouksine.

Couvant à plus d’un mètre de profondeur, l’incendie survit aux hivers sibériens grâce aux sécheresses qui frappent toujours plus régulièrement la région.

« Mais la tourbe ne prend jamais feu seule, l’homme est toujours responsable », souligne M. Kouksine. Il suffit d’un mégot mal éteint pour qu’une combustion se déclenche et survive sous terre pendant des années.

Après l’hiver, au retour des chaleurs, le feu de tourbe revient d’entre les morts, allume des herbes sèches en surface et peut se propager à toute la forêt.

« C’est ce qui s’est passé l’été dernier », raconte Sergueï Akopov, 60 ans, un bénévole ayant lutté contre cet incendie.

« On voyait les renards et les lièvres qui fuyaient les flammes », se rappelle ce juriste de profession, là pour la quatrième fois pour maîtriser le feu de tourbière.

Pièges à carbone

Selon de nombreux scientifiques, la Sibérie et l’Arctique sont parmi les régions les plus exposées au changement climatique. Elles ont enregistré ces dernières années des records de chaleur et de gigantesques incendies.

En juin, la cité arctique de Verkhoïansk a connu une température jamais vue de 38°C. Environ neuf millions d’hectares de forêts russes ont été officiellement touchés par les flammes cette année, la superficie du Portugal.

Les feux de tourbières représentent une menace supplémentaire pour le climat car la tourbe, en brûlant, libère énormément de gaz carbonique.

« C’est une bombe climatique », indique Grigori Kouksine.

Selon lui, on est déjà dans un cercle vicieux : les perturbations du climat accentuent la sécheresse, favorisant les incendies de tourbières, libérant les gaz qui vont accentuer le dérèglement climatique.

« Nous luttons ici à la fois contre le résultat du changement climatique et contre sa cause », résume-t-il.

Récemment, le site spécialisé Nature s’est alarmé d’une multiplication de ces « feux zombies » dans les zones arctiques, en Amérique comme en Russie.

« Sale boulot »

Les tourbières sont aussi souvent plus complexes à éteindre que des feux de forêts classiques.

« Pour éteindre une tourbière, il faut l’inonder et mélanger soigneusement la terre jusqu’à l’obtention d’une pâte liquide », détaille Ekaterina Groudinina, 38 ans, coordinatrice de Greenpeace en Sibérie et en Extrême-Orient.

Derrière elle, l’équipe de pompiers bénévoles, entraînée par l’ONG, asperge le terrain avec deux lances à incendie, pompant l’eau d’un marais voisin.

Une fois la terre retournée et gorgée d’eau, on mesure la température de la couche souterraine de tourbe. Si elle dépasse les 40 degrés, il faut recommencer l’opération.

« C’est un sale boulot », témoigne Alexandre Soukhov, 38 ans, un agriculteur ayant fondé ce groupe de volontaires qui a travaillé deux jours pour éteindre une partie de la tourbière.

A ces difficultés s’ajoute la faible réactivité des autorités régionales, d’après M. Kouksine, car ces dernières, faute d’expérience et de connaissances, ne prennent pas autant au sérieux ces incendies que les autres feux de forêt.

« Pendant cinq ans, elles ont fait mine que ce feu n’existait pas », déplore-t-il.

Faute d’obtenir en septembre du soutien pour ses six bénévoles, il s’est tourné vers un haut responsable de la protection des forêts à Moscou.

« C’est le piston par téléphone qui fait la loi », pointe Grigori Kouksine.

Le ministère local des Ressources naturelles a indiqué à l’AFP avoir déployé trois véhicules et six hommes sur le sinistre et l’avoir maîtrisé après 24 heures d’intervention.

Depuis, professionnels et bénévoles sont repartis, dit M. Kouksine. Mais il est « presque sûr » que sous terre, malgré l’affirmation des autorités, « la tourbière continue de brûler ».

©AFP

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