Comment préparer Paris à de futures canicules ?


Jardin du Luxembourg, 6e arrondissement, Paris, France (48°51’ N, 2°21’ E) © Yann Arthus-Bertrand

La France a connu ces dernières décennies plusieurs épisodes de canicule particulièrement difficiles à supporter en ville. Des scientifiques travaillent pour aider les villes et les citadins à y faire face. Ils viennent de publier une étude sous le titre de : « Early adaptation to heat waves and future reduction of air-conditioning energy use in Paris » (Adaptation anticipée aux vagues de chaleur et à la réduction future de la consommation d’énergie liée à la climatisation à Paris), dans la revue Environmental Research Letters. Vincent Viguié, chercheur au CIRED (Centre International de Recherche sur l’Environnement et le Développement) (École des Ponts Paris Tech) est co-auteur de cette étude sur l’adaptation aux canicules dans l’agglomération parisienne. Il revient dans cette interview sur les stratégies à mettre en œuvre pour aider les villes à s’adapter à ces vagues de chaleur que le changement climatique va rendre plus fréquentes et plus intenses. Cette étude, menée par une équipe interdisciplinaire de l’École des Ponts ParisTech, du CNRS, de Météo-France et du CSTB (Centre Scientifique et Technique du Bâtiment), conclut que même en misant sur la végétalisation, l’aménagement urbain et une meilleure conception des bâtiments, il sera difficile de se passer de climatisation à la fin du siècle pour maintenir des températures acceptables, et donc éviter les risques, notamment sanitaires, des canicules.

Comment faire face aux canicules en ville ?

Cela dépend beaucoup de la ville considérée ; de son climat et de la temporalité dans laquelle on se projette, de si la ville est déjà construite ou en train de se construire. Les enjeux actuels ne sont pas du tout les mêmes que ceux qu’il pourrait y avoir dans 20 ou 30 ans. Dans notre étude, nous regardons justement dans quelle mesure il est possible de commencer à agir dès aujourd’hui, pour les canicules actuelles mais aussi pour se préparer aux futures vagues de chaleur.

Quelles approches concrètes existent ?

Afin de rafraîchir les villes, il est possible d’agir sur l’urbanisme, c’est à dire sur la manière dont la ville est organisée, pour réduire la température dans les rues. D’une part, une ville peut se végétaliser. D’autre part, en jouant sur les matériaux et les couleurs, il est envisageable d’augmenter l’albedo de la ville, ce qui signifie diminuer la chaleur qu’elle va absorber.

L’autre grand type de politiques concerne l’aménagement des bâtiments pour les isoler de la chaleur. Cela permet de rafraîchir les températures en intérieur, contrairement au premier type de politiques qui agit sur l’extérieur.

Pour maintenir des températures acceptables, vous retenez et étudiez trois approches d’adaptation aux canicules qui sont la végétalisation et l’aménagement des villes, l’isolation des bâtiments et l’utilisation raisonnée de la climatisation. Pourquoi avoir retenu la climatisation dans ces trois approches ?

La climatisation est un très bon outil pour réduire les problèmes de santé liés aux canicules. Par contre, les climatiseurs ont aussi beaucoup d’effets négatifs, le principal étant une forte consommation d’énergie.

Vous concluez néanmoins que l’on ne pourra faire sans les climatiseurs, pourquoi ?

C’est incontournable si l’on veut maintenir le confort actuel dans les bâtiments, d’ici la fin du siècle. À un certain point, les autres types de politiques auront atteint leur limite, et il faudra donc avoir recours à la climatisation si jamais on veut maintenir ce niveau de confort. C’est en fait un choix collectif : voulons-nous le maintenir ?

Finalement, pourquoi ne pas se reposer entièrement sur la climatisation des bâtiments ?

Le premier problème concerne les émissions de gaz à effet de serre. Si tous les habitants de l’Île-de-France utilisaient la climatisation pendant les canicules, la consommation électrique serait plus que multipliée par deux, pendant ces canicules. Cela crée même un cercle vicieux car plus le changement climatique est important, plus les usagers peuvent avoir tendance à recourir à la climatisation. Ainsi, cela émet plus de gaz à effet de serre qui amplifient le changement climatique.

De surcroît, les climatiseurs rejettent de la chaleur dans la rue. En effet, si tout le monde utilisait des climatiseurs à Paris, cela augmenterait la température dans les rues jusqu’à 3°C. Les personnes qui vivent ou travaillent dans la rue seraient alors les premières affectées.

Enfin, cela peut rendre plus vulnérables aux canicules en cas de coupure de courant.

Quel est le coût des mesures d’adaptation que vous étudiez ?

Dans notre recherche, nous avons étudié les conséquences d’une transformation de 10 % de la surface parisienne en espaces végétalisés. Cependant, ce chiffre nous permet avant tout de simuler des mesures ambitieuses pour évaluer la nécessité de la climatisation dans de telles conditions. En pratique, remplacer un bâtiment sur dix par des parcs n’a bien sûr pas beaucoup de sens tel quel. Nous avons simplement utilisé cette mesure comme exemple de politique de végétalisation très volontaire.

La vraie question est de savoir comment trouver de la surface au sol disponible pour la végétalisation. Et, en effet, la ville de Paris se montre très active là-dessus. Il existe par exemple un programme de végétalisation des cours d’école. On pourrait aussi envisager d’utiliser certains espaces dédiés au stationnement des voitures.

Est-ce possible d’adapter rapidement une agglomération comme Paris aux futures canicules ?

Cela dépend surtout de la volonté. Les politiques sont déjà actives en termes d’isolation des logements par exemple, mais de là à savoir si cela va assez vite… Cependant, de telles mesures reposent énormément sur les comportements. Dans l’étude, nous nous sommes aperçus que si tout le monde utilisait la climatisation de manière modérée, cela aurait un fort impact sur la consommation d’énergie. En effet, il y a une différence de consommation d’environ 40 % entre maintenir une pièce à 23 degrés ou à 26-28 degrés, qui est un des seuils d’acceptabilité en termes de santé. Cependant, ce dernier n’est pas forcément confortable. Il faudrait donc que les gens soient prêts à renoncer à un certain confort et à être sobres dans l’utilisation de la climatisation.

En plus de ces types de mesures, existe-t-il d’autres moyens de réduire la chaleur urbaine ?

Nous nous sommes uniquement intéressés aux mesures permettant de maintenir le niveau de confort actuel. Cependant, de telles mesures sont un élément important à considérer également. Il existe d’autres types de politiques que nous n’avons pas prises en compte dans l’étude. Ce sont par exemple des stratégies qui visent à faire circuler l’air, par l’organisation et l’orientation des bâtiments. Or, dans le cas d’une ville déjà construite, il est très difficile d’influer sur ces facteurs.

Il existe aussi un autre type de politiques concernant l’organisation générale et sociale face aux canicules. Dans un scénario où la tendance actuelle des émissions de gaz à effet de serre se maintient, dès lors à partir des années 2070 à Paris, les températures seront à peu près semblables à celles de Séville, dans le sud de l’Espagne. Tous les étés, la température moyenne va correspondre à celle de la canicule de 2003. Or, à Séville, l’été n’est pas une catastrophe. Tout d’abord, les bâtiments sont construits différemment et surtout le mode de vie n’est pas le même. Les horaires de travail sont adaptés, les habitants anticipent la chaleur. Il faudra aussi sans doute arriver à mettre en place une telle adaptation à Paris.

Propos recueillis par Adèle Tanguy

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3 commentaires

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    • Michel CERF

    Effectivement la climatisation n’est pas sans inconvénient , dans les habitations comme dans les voitures , n’oublions pas l’hydratation et l’utilisation des ventilateurs .

    • Balendard

    Comme cela a déjà été évoqué dans GoodPlanet, une climatisation assurant les échanges de température sur l’air est irrecevable en ville. Ceci par le fait que ces climatiseurs air-air réversibles qui font du chaud lorsqu’il fait froid et du froid lorsqu’il fait chaud seraient de véritables bombes à retardement si on devait les généraliser dans les villes pour assurer la climatisation en été. Voir
    https://www.goodplanet.info/actualite/2018/05/16/le-paradoxe-des-climatiseurs-qui-rechauffent-la-planete/
    Il s’agit seulement de comprendre que l’air n’est pas le véhicule thermique adapté pour réguler la température à l’intérieur de l’habitat. Le bruit qu’ils génèrent et l’encombrement de ces pompes à chaleur réversibles air-air sont certes gênants mais pour l’essentiel c’est une autre raison qui va condamner cette technologie en ville : elle est dans le fait que pour créer du froid à l’intérieur de l’habitat au plus chaud de l’été, ces évaporateurs qui fonctionnent pour finir comme le fait un réfrigérateur, réchauffent dangereusement l’air ambiant des villes déjà très élevée. Avec 20 000 habitants au km2 à l’intérieur de Paris intramuros et 50 m2 au sol par habitant, la température deviendrait intenable en été si l’on devait généraliser ce type de régulation à l’ensemble de l’habitat et l’atmosphère surchauffé des villes le serait encore plus du fait de la climatisation. POUR CETTE RAISON, VOUS AVEZ RAISON MICHEL NOUS AVONS INTERET A PRENDRE EN COMPTE QU’UNE PEAU HUMIDE SOUMISE AU FLUX D’AIR D’UN VENTILATEUR, C’EST UNE SENSATION DE FRAICHEUR EN RAISON DU FROID GENERE PAR L’EAU QUI S’EVAPORE. Cependant le retard que nous prenons en continuant à concentrer uniquement notre action sur le poste isolation est inquiétant. Et ceci même si la guerre entre les isolants minces et les isolant épais semble maintenant terminée avec le R de 6,2 m2.K/W des isolants minces modernes. Un peu comme le coronavirus, il est déjà trop tard vu que dans une dizaine d’année, lorsque la demande va excéder l’offre et que le prix des produits fossiles va en conséquence flamber, Voir
    https://www.goodplanet.info/2020/07/08/matthieu-auzanneau-de-the-shift-project-a-propos-du-pic-petrolier-en-europe-dici-2030-si-on-sort-du-petrole-pour-le-climat-nous-sommes-sauves-de-mad-max/?utm_source=mailpoet&utm_medium=email&utm_campaign=selection-hebdomadaire-goodplanet-mag_9
    nous n’aurons pas eu le temps d’assurer en 10 ans d’assurer la transition vers la « Solar Water Economy » qui échange l’énergie thermique renouvelable dans l’eau et non dans l’air comme cela a souvent été expliqué dans Goodplanet. Ceci avec l’avantage qu’au plus chaud de l’été il sera possible avec cette technologie de restituer dans l’eau géothermale des nappes captives profondes l’énergie thermique que l’on y a prélevée en hiver sans affecter la température ambiante en ville
    Il est clair que le gain moyen de 30% qui résulte selon l’Ademe de l’isolation de l’habitat n’est pas à l’échelle du besoin. Si nous continuons à ne prendre aucune action qui soit à l’échelle du besoin par exemple avec une génération thermique style SWE, la tendance vers l’élévation de la température dans les villes en raison de la densité urbaine et du réchauffement climatique pourrait devenir intenable nous obligeant à la climatisation pour assurer le confort à l’intérieur de l’habitat.

    • Balendard

    OUI Michel,
    nous avons tout intérêt à prendre en contre qu’un cas de chaleur intense lors de la période estivale une peau humaine humidifiée soumise au flux d’air d’un ventilateur ressent, en raison du froid généré par l’eau qui s’évapore, une sensation de fraîcheur bien agréable.
    Heureusement d’ailleurs vu que les dispositifs de climatisation assurant les échanges thermiques sur l’air sont irrecevables en ville. Ceci par le fait que ces climatiseurs air-air réversibles qui font du chaud lorsqu’il fait froid et du froid lorsqu’il fait chaud seraient de véritables bombes à retardement si l’on devait les généraliser dans les villes pour assurer la climatisation de l’habitat en été. Voir

    L’air n’est pas en effet le véhicule thermique adapté pour réguler la température à l’intérieur de l’habitat. Le bruit qu’ils génèrent et l’encombrement de ces pompes à chaleur réversibles air-air sont certes gênants mais pour l’essentiel, c’est une raison plus importante qui va condamner cette technologie en ville : pour créer du froid à l’intérieur de l’habitat au plus chaud de l’été, ces évaporateurs qui fonctionnent pour finir comme un réfrigérateur réchauffent dangereusement l’air ambiant des villes déjà très élevée. Avec 20 000 habitants au km2 à l’intérieur de Paris intramuros et 50 m2 au sol par habitant, la température deviendrait intenable en été si l’on devait généraliser ce type de régulation à l’ensemble de l’habitat et l’atmosphère surchauffé des villes le serait encore plus du fait de la climatisation.

    Force est malheureusement de constater que le retard pris en continuant à concentrer uniquement notre action sur
    le poste isolation en négligeant la génération est inquiétant. La guerre entre les isolants minces et les isolant épais semble heureusement terminée et le R de 6,2 m2.K/W des isolants minces modernes reconnu. La situation à ce sujet pourrait bien être dramatique vu que dans une dizaine d’année, lorsque la demande va excéder l’offre et que le prix des produits fossiles va en conséquence flamber nous n’aurons pas en 10 ans eu le temps
    d’assurer la transition vers la « Solar Water Economy » qui échange l’énergie thermique renouvelable dans l’eau et non dans l’air. Ceci avec l’avantage qu’au plus chaud de l’été, il sera possible avec cette technologie de restituer dans l’eau géothermale des nappes captives profondes l’énergie thermique que l’on y a prélevée en hiver sans affecter la température ambiante en ville. Il est clair que le gain moyen de 30% en consommation qui résulte selon l’Ademe de l’isolation de l’habitat n’est pas à l’échelle du besoin. Si nous continuons à ne prendre aucune action significative avec une génération thermique style « Solar Water Economy », la tendance vers l’élévation de la température dans les villes en raison de la densité urbaine et du réchauffement climatique pourrait devenir intenable nous obligeant à la climatisation pour assurer le confort à l’intérieur de l’habitat.