Entre résignation et colère, Fessenheim attend l’arrêt de sa centrale

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Vue aérienne de la centrale nucléaire de Fessenheim, le 20 février 2020 dans le Haut-Rhin © AFP SEBASTIEN BOZON

Fessenheim (France) (AFP) – Résignés mais toujours en colère, ils n’ont plus envie de manifester : à Fessenheim, agents EDF comme habitants attendent l’arrêt définitif, dans la nuit de lundi à mardi, du second réacteur de leur centrale nucléaire. Un bouleversement pour la petite commune alsacienne.

La procédure d’extinction de ce réacteur à eau pressurisée de 900 mégawatts doit débuter lundi à 23H30 pour s’achever à 02H00 mardi, un peu plus de quatre mois après l’arrêt de l’autre réacteur de la doyenne des centrales françaises, inaugurée en 1977.

Ce 22 février, la commune avait vibré d’indignation face à cette « mise à mort » d’un outil jugé performant mais devenu un symbole politique : marche d’élus coiffés de bonnets rouges, « soupe populaire » dans la pénombre…

Mais cette fois, les défenseurs de la centrale, las de prêcher dans le désert, n’ont encore rien annoncé. Les anti-nucléaire, eux, se retrouveront lundi après-midi, mais à distance, à bord d’un bateau sur le Rhin.

« On a dit ce qu’on avait à dire en février », résume le maire, Claude Brender. S’il continue de dénoncer un « assassinat politique », M. Brender souhaite désormais « privilégier le message de remerciement pour ces 42 années de présence de la centrale nucléaire qui ont permis de développer ce territoire extrêmement rural », à la frontière allemande.

Les salariés, pour leur part, soulignent leur fierté d’avoir travaillé pour cette centrale que certains appellent leur « bébé », jugeant son arrêt incompréhensible.

Déléguée syndicale CFE-CGC, Anne Laszlo décrit « une ambiance assez surréaliste sur le site où tout le monde, à tous les étages hiérarchiques, essaie de finir cette période dans la plus grande dignité ». « On espère surtout être les dernières victimes de cette chasse aux sorcières contre le nucléaire », ajoute-t-elle.

« Il y a une forme de lassitude, mais (les agents) sont des professionnels, qui feront ce qu’ils ont à faire, en application des règles », malgré un « sentiment d’arbitraire », complète son collègue Jean-Luc Cardoso, technicien d’exploitation à la centrale depuis 1989 et ancien délégué CGT.

L’heure sera bientôt aux adieux. Cet été, quelque 150 familles vont quitter la commune de 2.500 habitants, avant une vague équivalente à l’été 2021.

Alors que fin 2017, 750 salariés d’EDF et 300 prestataires œuvraient encore sur le site, seules 294 personnes y seront nécessaires jusqu’à 2023, tant qu’il y aura du combustible usé, puis soixante salariés d’EDF pour le démantèlement.

Silence des machines

Dans leur maison, propriété du « parc EDF » comme de nombreuses autres de leur rue, Jean-Christophe et Cécile Rouaud font leurs cartons.

En août, cet ingénieur, son épouse directrice de crèche et leurs deux enfants déménageront à Saumur (Maine-et-Loire), à quelques kilomètres d’une autre centrale nucléaire, celle de Chinon, où travaillera désormais Jean-Christophe.

« On approche de la fin, on sent que l’atmosphère est un peu plus tendue, les gens ont peur de ne plus entendre les machines tourner », raconte-t-il. Il décrit un « sentiment de gâchis partagé par tous les employés ».

Si le départ de cette famille se déroule sans trop de heurts, la situation des agents qui souhaitent ne pas déraciner leurs familles est plus problématique. Certains doivent partir seuls travailler ailleurs en laissant leurs familles en Alsace.

« Eux défendent leur vie professionnelle, moi, ma vie tout court », assène Gabriel Weisser. Voix dissonante à Fessenheim, ce riverain s’est engagé depuis l’accident de Fukushima en faveur de l’arrêt de la centrale.

« C’est une reconfiguration industrielle, pas un deuil, il faut peser ses mots quand on parle d’une technologie responsable des deux accidents » de Tchernobyl et Fukushima, pointe-t-il. Il se dit heureux de voir Fessenheim enfin « libérée du nucléaire ».

Alors que la reconversion économique peine à se dessiner, le maire veut croire que la commune restera attractive grâce à ses équipements financés sur la « rente » nucléaire. Mais certains commerçants, « orphelins » de leur centrale, craignent qu’elle devienne une cité dortoir.

« En tant que restaurateurs, on va dans l’invisible, on ne sait pas combien de temps le démantèlement va durer », explique Laurent Schwein, patron du restaurant Au bon Frère. Président du club de foot, il doit renoncer à une équipe avec le départ d’une dizaine de jeunes.

© AFP

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