Entretien avec Steven Donziger, avocat harcelé par Chevron et assigné à résidence pour son combat

steven donziger

L'avocat Steven Donziger assigné à résidence avec un bracelet électronique alors qu'il défend les population indigènes face au géant pétrolier Chevron © RODRIGO BUENDIA / AFP

Le 12 mai 2020, GoodPlanet Mag’ relayait l’appel à soutenir l’avocat Steven Donziger. Cet avocat américain des peuples équatoriens victimes de la pollution pétrolière est assigné à résidence depuis presque 10 mois, avec un bracelet électronique à la cheville. C’est l’un des derniers rebonds judiciaires d’une longue bataille entre la multinationale Chevron (ex Texaco) et les communautés équatoriennes polluées qui demandent justice depuis 27 ans. David contre Goliath, et Goliath contre nous tous !
Pour le défendre, la société civile s’est levée. Le 18 mai, l’Association internationale des avocats démocrates et le Comité international de la National Lawyers Guild ont publié une Lettre ouverte signée par plus de 70 organisations juridiques internationales et par les principaux réseaux de défense des droits de l’homme. Nous avons rencontré Steven Donziger : il résume pour nous son histoire, emblématique des menaces qui pèsent sur nos espoirs de justice, de démocratie et de respect des droits humains.

Comment tout cela a-t-il commencé ?

En 1964, les peuples indigènes de Sucumbíos, dans la forêt amazonienne d’Équateur, ont vu arriver des ouvriers de la compagnie pétrolière Texaco qui se sont installés comme une armée d’occupants, avec un permis de forer accordé par la dictature militaire qui venait de prendre le pouvoir. Et pendant presque trente ans, Texaco a déversé des milliards de litres de déchets toxiques sur les terres ancestrales indigènes en Amazonie équatorienne.

En 1992, Texaco est reparti, abandonnant plus d’un un millier de bassins de déchets toxiques directement sur le sol de la jungle, en plein air. Elles sont remplies de déchets pétroliers cancérigènes qui contaminent les ruisseaux et rivières que les groupes autochtones locaux utilisent pour l’eau potable, les baignades et la pêche. Tout l’environnement est pollué sur une zone de 2500 km2, deux fois la surface du Luxembourg. 

J’y suis arrivé en 1993 et ce que j’ai vu m’a indigné. Je sortais de la Harvard law school. J’ai rencontré deux avocats équatoriens et nous avons attaqué Texaco. Nous avons gagné en 2011, mais Chevron (devenu propriétaire de Texaco) a immédiatement retiré tous ses actifs d’Équateur pour que nous ne puissions pas les saisir.

Nous cherchons depuis à faire exécuter le jugement dans d’autres pays où Chevron est présent.

Que s’est-il passé après le jugement condamnant Chevron en 2011 ?

Décidé à ne pas payer, Chevron a contre-attaqué, a entamé toutes sortes de procès, dont un contre moi, devant un juge fédéral de New York, Lewis A. Kaplan. Ils ont prétendu que nous avions corrompu le juge équatorien qui les avait condamnés. Un témoin, Alberto Guerra, ancien juge équatorien révoqué, m’a accusé au procès et, en 2014, le juge Kaplan m’a déclaré coupable de racket, d’extorsion, de fraude informatique, de blanchiment d’argent, d’entrave à la justice et de corruption de témoin. Mr Guerra s’est rétracté un an plus tard, expliquant qu’il avait été payé par Chevron pour mentir mais le jugement subsiste et sert de fondement aux autres allégations et à ma persécution.

Les attaques violentes de Chevron contre moi cherchent à me faire abandonner l’affaire pour nous empêcher de faire exécuter le jugement ailleurs. Mais ce qu’ils veulent vraiment, c’est à intimider d’autres avocats, parce que s’ils sont finalement contraints de payer en Équateur, ils risquent que ce précédent permette de nouveaux procès, pour toutes les pollutions dont ils sont responsables partout dans le monde. Chevron risque potentiellement d’être condamné à payer des centaines de milliards de dollars pour avoir causé des dommages environnementaux dans le monde entier, et ses actionnaires commencent à être inquiets.

Pour permettre à Chevron de ne pas obéir au jugement qui lui impose de payer des réparations aux peuples autochtones équatoriens, le juge de première instance américain Lewis A. Kaplan a lancé contre moi une série d’attaques non conformes à la Constitution et à l’État de droit. Ce juge a entamé contre moi et ma famille, une campagne d’intimidation vicieuse. Chevron et le juge Kaplan ont visé ma femme, mon fils de 12 ans, mon beau-frère, plusieurs amis qui ont soutenu mes efforts, et de nombreux soutiens financiers du procès.

Quelles raisons peuvent expliquer un tel acharnement ?

L’objectif de Chevron est de ternir ma réputation, et de nous ruiner. Ils veulent décrédibiliser le jugement tout à fait valide, qui a été rendu dans le pays (l’Équateur) précisément choisi par les dirigeants de Chevron et dont ils avaient accepté la juridiction.

Kaplan m’a ordonné de rembourser à Chevron la totalité de mon salaire des quatre dernières années. Il a fait saisir mes comptes bancaires, et même s’il n’y a pour cela aucune base légale, il envisage de donner suite à une autre demande de Chevron qui m’imposerait de rembourser à la société une partie de ses frais juridiques liés au procès. Chevron a menacé de saisir les actifs de ma femme à moins qu’elle ne verse à Chevron tous les fonds qu’elle avait encaissés pour moi, puisque que je n’ai plus de compte.

Kaplan cherche à obtenir ma radiation du barreau de New York. Il a fait pression sur le Conseil de l’Ordre du barreau de New York pour imposer une suspension provisoire de ma licence légale sans audience, basée entièrement sur ses conclusions dans le procès basé sur un faux témoignage. Je suis suspendu depuis plus d’un an et je ne peux plus travailler pour gagner ma vie.

En fait, ce qui les enrage, c’est que notre petite équipe d’avocats indépendants, et nos soutiens financiers ont été efficaces, qu’ils ont réussi à tenir tête à une grande compagnie pétrolière américaine, et même à la faire condamner.

Et pourquoi êtes-vous maintenant aux arrêts domiciliaires avec un bracelet électronique à la cheville ?

Faisant suite à sa décision de 2014, le juge Kaplan a décidé tout seul que je n’avais plus aucun privilège avocat-client, une chose sans précédent dans l’histoire des États-Unis dans une affaire civile en cours, et une attaque directe contre mes droits politiques conformes au droit national et international. Cela lui permet de justifier son intrusion massive dans le dossier : il a exigé, il y a environ un an, que je remette mon ordinateur et mon téléphone à Chevron. J’ai refusé et j’ai fait appel de sa décision pour protéger mes autres clients arguant justement du privilège avocat-client qu’il me nie et du secret professionnel. Sans attendre que mon appel soit jugé, ce qui serait normal, le 31 juillet 2019, le juge Kaplan m’a alors attaqué pour outrage à magistrat. Il m’a assigné à résidence avec port d’un bracelet électronique et interdiction de se déplacer. Il a ensuite choisi lui-même la juge, l’Honorable Loretta Preska, pour instruire ce nouveau procès, contrairement aux règles qui exigent une répartition aléatoire des affaires.

Les procureurs fédéraux du district sud de New York qui aurait normalement été chargés de m’attaquer d’outrage criminel, ont refusé de me poursuivre. Sans se démonter, le juge Kaplan a, de façon tout à fait inhabituelle, nommé lui-même un cabinet d’avocats privé, Seward & Kissel, pour tenir le rôle de procureur et m’accuser au nom du gouvernement américain. Ce cabinet d’avocat a accepté cette mission sans révéler un conflit d’intérêt, car ils ont eu Chevron comme client. Et ils ont demandé ma détention sous prétexte que j’aurais pu fuir.

Récemment, fin mai, la juge Preska a refusé de mettre fin à ma détention à domicile. Elle m’a également refusé un jury impartial et a remis le procès au 9 septembre au prétexte de la pandémie de Covid. Si le jugement a bien lieu, j’aurais passé 13 mois en détention, pour un délit passible de six mois maximum !

Le grand juriste Marty Garbus, qualifié de « légendaire » par le magazine Time et « l’un des meilleurs avocats du monde » pour le Guardian, dit que la décision de refuser ma libération est « stupéfiante pour quiconque croit en la primauté du droit », et que le fait de me refuser un jury et un tribunal impartial est « une violation du droit international et des droits humains universels, une façon d’obtenir une condamnation lorsqu’on manque de preuves. »

Qu’espérez-vous ?

Mon équipe juridique vient de déposer un appel d’urgence contre la décision de détention du juge Preska et tente de rejeter tout le dossier en partie en raison de la « faute grave » de Seward & Kissel, (cabinet d’avocats dont de nombreux clients sont des compagnies pétrolières) qui a accepté ce rôle de procureur sans dévoiler son conflit d’intérêt.

Nous espérons donc une décision qui annule la procédure.

Le côté positif de toute cette affaire est qu’elle semble éveiller les consciences. Mon Comité de soutien s’élargit. L’injustice évidente à laquelle je fais face suscite un soutien important pour moi, qui augmente peu à peu à travers le monde. J’espère un sursaut des actionnaires de Chevron pour les pousser à s’acquitter enfin de leur dette à l’égard des populations amazoniennes et à cesser de me criminaliser alors que je n’ai fait que mon travail d’avocat.

Propos recueillis par Élisabeth Schneiter, journaliste et auteure  de Les Héros de l’environnement

Sur facebook https://www.facebook.com/freestevendonziger/

Pour ajouter votre nom à ceux qui le défendent : https://www.makechevroncleanup.com/support-steven-donziger

Pour soutenir Donziger financièrement : https://www.donzigerdefense.com/

Appel à soutenir l’avocat Steven Donziger privé de liberté pour avoir défendu les communautés indigènes face à Chevron

Un commentaire

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    • Pironet

    Courage: LA VÉRITÉ FINI TOUJOURS PAR GAGNER.
    Bravo à vous et à tous ceux qui vous soutiennent .
    Votre cause en vaut la peine