Woman propose des interviews de femmes du monde entier. Parmi elles, Norma (nous avions publié son interview récemment) a particulièrement marqué les réalisateurs Anastasia Mikova et Yann Arthus-Bertrand.Dans cet extrait du livre qui accompagne la sortie du film, Anastasia Mikova explique comment sa rencontre avec Norma l’a bouleversée et guidée dans la réalisation du film.
A priori, on voudrait toutes ressembler à Norma, si sportive, si rayonnante, si confiante. Impossible de soupçonner une vie de souffrance derrière cette allure de championne. Pourtant, la belle Mexicaine a tout connu : viol, inceste, prostitution forcée, alcool, dépression. Et tout subi, sans broncher. Jusqu’au jour où elle s’est décidée à briser le silence. « Son plus grand défi », dit-elle.
Norma m’a aidée à mettre des mots sur les raisons qui m’ont poussée à réaliser le film WOMAN. C’est mon deuxième tournage pour le film et je cherche encore la bonne façon d’aborder le sujet : qu’est-ce qu’être une femme dans le monde d’aujourd’hui ?
Quand elle arrive au studio, je suis d’abord éblouie par sa beauté, sa présence, son assurance. Elle est cette femme à laquelle on aimerait toutes ressembler. Je sais que c’est une grande sportive et qu’elle a relevé des défis hors normes. Aujourd’hui, elle figure même dans Le Livre Guinness des records pour le triathlon le plus long jamais réalisé. Pourtant, c’est une tout autre histoire que Norma va me raconter.
L’histoire de la petite fille mexicaine abusée par son grand-père malvoyant alors qu’elle doit s’occuper de lui. L’histoire de la jeune femme qui veut échapper à son calvaire en acceptant un travail de mannequin au Japon et qui se retrouve piégée dans un abominable trafic sexuel. Elle me raconte sa vie calmement, sans s’arrêter, presque sans pleurer. L’interview tourne au monologue. Elle décrit son retour après plusieurs années de prostitution forcée, sa tentative de reconstruire sa vie, cette fois au Canada. Elle se marie, a un enfant. Les choses semblent enfin aller pour le mieux. Quelques années plus tard, Norma découvre pourtant que son fils a hérité de la maladie génétique de son grand-père. Une maladie qui, petit à petit, le rend quasi aveugle. Pour Norma, c’est l’épreuve de trop.
Elle se met à boire et sombre dans la dépression. Un soir, pourtant, elle se dit qu’elle ne peut plus continuer à se détruire, car elle n’est plus seule : elle doit élever son fils. Pour éviter de boire, elle va courir. C’est ainsi que sa carrière de sportive démarre.
Norma veut toujours aller plus loin, se donner des défis, réaliser des performances quasi impossibles. C’est sa façon de se réapproprier son corps et sa vie. Quand je lui demande quel a été le moment le plus difficile de son par- cours, elle ne parle pas de toutes les violences. Elle me répond que c’était le jour où, alors qu’elle était déjà reconnue comme athlète, elle a décidé de raconter les abus dont elle avait été victime : « Je n’ai jamais été plus terrorisée qu’au moment d’en parler pour la première fois. Dès que les mots sont sortis, j’ai voulu les ravaler, mais j’ai persévéré. Je voulais briser le silence. Car je sais aujourd’hui que c’est le silence qui a rendu tout cela possible. »
On termine l’interview quand, tout à coup, cette femme qui semblait si forte s’effondre. Je m’effondre avec elle. Je me dis que je suis allée trop loin, que je n’aurais jamais dû réveiller ses démons et la confronter à tout cela de nouveau. Norma me prend dans ses bras, répétant que c’est son choix d’en parler et que, même si ça reste douloureux, il est essentiel de le faire. Je comprends alors que WOMAN doit exister pour que la parole de toutes ces femmes soit enfin entendue.
Par Anastasia Mikova
Extrait de Woman, le livre du film.
Aux éditons de la Martinière
Un commentaire
Ecrire un commentaire
Helene Sillinger
Bonjour Anastasia et Yann
Sur votre suggestion , je suis venue de Tahiti selon votre timing pour un tournage fin novembre pour WOman
Depuis j ai écris plusieurs fois mais je n ai pas eu de réponse …mais vous comprendrez j espère ,que je suis donc restée surprise de votre silence après vous avoir livrer ton mon âme à cru
J ai pensé que mon « sujet » pouvait être trop sensible et délicat à aborder dans votre projet … et que vous étiez embarrassé de me le dire ?
Je vous qu il n en es rien et je vous félicite d avoir osé laisser la parole à Norma
Un grand bravo pour votre courage à son égard et bonne chance pour la suite
Je reste joignable H24 si besoin
Sincèrement