Déminer la Colombie après l’avoir minée, la mission d’ex-guérilleros en paix

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Un ancien guérillero des Farc, Edwin Correa, qui a perdu ses mains dans l'explosion d'une grenade, suit une formation de déminage à La Montanita, en Colombie, le 9 octobre 2019. © AFP JUAN BARRETO

Une grenade a emporté les mains d’Edwin Correa, guérillero des Farc. Mais il n’a lâché son fusil qu’après l’accord de paix signé il y a bientôt trois ans. Depuis, l’artificier a rejoint un bataillon d’un nouveau genre, pour déminer la Colombie qu’il a jadis contribué à miner.

« J’ai passé presque toute ma vie dans la guérilla (…). Nous avons placé des mines et nous-mêmes nous les enlevons », explique à l’AFP cet ex-rebelle de 36 ans.

Combattant des Farc dès 14 ans, Edwin Correa s’est retrouvé doublement manchot avant d’en avoir 19. Pour tirer, il bloquait son fusil contre l’épaule avec son moignon et activait la gâchette avec une cordelette.

Aujourd’hui, c’est son gilet balistique et son casque à visière qu’il enfile sans aide. A son commandement, quatre autres anciens guérilleros, détecteurs de métal en main, s’avancent sur un chemin balisé de bâtons blancs jusqu’à un bosquet supposé piégé de La Montañita (Caqueta, sud).

Sous les arbustes, ils doivent détecter des mines enterrées là aux fins de formation. Ils apprennent à les isoler puis à les dégager délicatement de la terre rouge, gorgée de la dernière pluie tropicale, avant de reculer au-delà d’un périmètre de sécurité de 100 mètres et de déclencher l’explosion à l’aide d’un câble relié à l’engin.

Au coeur de la région du Caguan, fief de l’ex-rébellion marxiste apparue en 1964, c’est l’une des communes du pays où les mines ont fait le plus de victimes.

Cultiver sans crainte

A présent, elle accueille la base d’Humanicemos DH (DH pour droits humains), organisation créée « par et pour des anciens combattants » qui veulent se réinsérer comme démineurs professionnels, précise sa dirigeante, l’ex-commandante Angela Orrego, 50 ans.

Quelque 7.000 guérilleros ont déposé les armes depuis la signature de l’accord de paix entre les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) et le gouvernement du président Juan Manuel Santos, le 24 novembre 2016.

Avec une centaine de camarades, Edwin Correa a intégré l’an dernier cette organisation financée par l’ONU et l’Union européenne (UE) pour un budget annuel d’un million d’euros (1,2 million de dollars).

Dans l’attente de leur homologation pour entrer en action, ils y sont formés par des experts du service d’action anti-mines des Nations unies (UNMAS) et suivent en outre des cours d’informatique, d’anglais, voire de méditation.

La Colombie est, après l’Afghanistan, le pays le plus affecté par les mines. Elles ont été disséminées dans 31 de ses 32 départements par tous les acteurs armés – guérillas, paramilitaires, forces de l’ordre – d’un conflit de plus d’un demi-siècle, encore jalonné de massacres, enlèvements, attentats.

Après avoir manipulé et placé un nombre incalculable d’explosifs, Edwin Correa se sent aujourd’hui « utile » de « pouvoir aider les paysans, (…) leur laisser des terres débarrassées de mines, qu’ils puissent semer, récolter, se déplacer tranquillement ».

Protéger la coca

Depuis 1985, les mines et autres munitions abandonnées ont touché plus de 11.780 personnes, dont 20% ont été tuées, selon le Haut commissariat gouvernemental pour la paix.

L’entraînement au déminage a lieu à La Montañita, près de l’Espace territorial de formation et de réinsertion (ETCR) d’Agua Bonita, où vivent quelque 300 autres ex-guérilleros et leurs proches

La localisation, dans ce corridor stratégique entre l’est et l’ouest du pays, n’est pas un hasard. « Il y a eu ici beaucoup de combats entre armée, guérilla, paramilitaires parce qu’il y a la coca », matière première de la cocaïne, rappelle le responsable technique d’Humanicemos DH, German Balanta, 55 ans.

Dans une guerre interne comme en Colombie, les mines, explique-t-il, constituent « une arme importante qui permet à des forces de petite taille de se confronter à de plus grandes ».

Porfirio Andrade, représentant d’une association de victimes cité dans un rapport du CNMH sur « La guerre cachée », se souvient que les guérilleros « disaient qu’ils devaient y recourir pour se défendre ». Mais « en réalité dans une zone de coca, les mines servent à tuer », dit-il.

Aujourd’hui, elles sont encore utilisées par l’Armée de libération nationale (ELN), dernière guérilla active, par des dissidents des Farc, qui ont rejeté l’accord de paix, et par des gangs pour « protéger » les narco-plantations.

Difficiles à localiser

Souvent fabriquées avec les moyens du bord – bouteille de plastique, bocal, PVC – et armées d’un ressort relié à une pointe, elles contiennent du TNT, explosif résistant à l’humidité, et peuvent ainsi rester actives pendant 15 ans.

A leur durée de vie mortifère, s’ajoute l’absence de données sur leur localisation. D’où la complexité de retrouver ces engins placés dans l’urgence d’une attaque pour ralentir l’ennemi, par des combattants aujourd’hui disparus ou bien sur des terrains dont la végétation a changé, voire qui ont bougé dans ce pays sismique.

Avant l’accord de paix, le ministre de la Défense de l’époque, Luis Carlos Villegas, prévenait que les mines étaient « le plus grand défi de l’après-conflit ». « Déminer la Colombie va nécessiter le temps d’une génération, des dizaines de milliers de spécialistes et beaucoup de coopération internationale », avait-il déclaré à l’AFP fin 2015.

Signataire de la Convention d’Ottawa sur l’interdiction des mines anti-personnel, ce pays aspirait à en être débarrassé en 2021. Mais le gouvernement du président Ivan Duque a annoncé en mars qu’il demanderait une prorogation.

© AFP

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