Alors qu’un nouveau round des négociations internationales sur le climat prend place à Varsovie, une étude vient minorer la responsabilité historique des pays industrialisés dans le changement climatique. Selon elle, plus de 48 % du total des émissions de gaz à effet de serre (GES) rejetés dans l’atmosphère depuis 1850 proviendrait de la Chine et des pays en développement. Selon les chercheurs néerlandais de la Netherlands Environmental Assessment Agency qui ont publié cette étude « Ces résultats montrent l’importance des choix dans le calcul des contributions historiques par les différents pays. Les résultats de ces calculs pourraient influencer les décideurs dans leurs négociations sur le climat ».
La responsabilité historique en question
La responsabilité historique des pays occidentaux est un point important des négociations climatiques. En effet, c’est un argument avancé par les pays du Sud pour demander au Nord des efforts accrus. Car jusqu’à présent, il était reconnu que le Nord avait émis une part plus importante des GES présents dans l’atmosphère. Historiquement, en effet, depuis la moitié du XIXe siècle, les pays riches, Etats-Unis et Europe de l’Ouest ont été parmi les premiers à utiliser les énergies fossiles, comme le charbon et le pétrole.
Les premières négociations sur le climat, et en particulier le protocole de Kyoto, ont mis l’accent sur le rôle particulier des pays industrialisés – ces derniers ont été regroupés dans ce qui est appelé l’Annexe I (approximativement, les pays de l’OCDE). Le protocole de Kyoto leur a demandé des efforts chiffrés (5 % par rapport au niveau de 1990, en moyenne) de réduction de leurs émissions de GES, tandis que les autres pays (dits de l’Annexe II) étaient exonérés de telles demandes.
Mais, en une dizaine d’années, certains pays en développement, notamment la Chine, l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud et la Russie, sont devenus d’importants émetteurs de GES. La Chine, grosse consommatrice de charbon, est devenue le premier pays émetteur de CO2 devant les Etats-Unis.
Dès lors, se pose un problème complexe dans les négociations climatiques, sur lequel ont achoppé les dernières réunions internationales depuis le sommet de Copenhague en 2009 : « L’idée que les pays émergents puissent prendre des engagements et se différencient ainsi des pays en développement constitue un virage complet par rapport au Protocole de Kyoto et à la conception générale du régime climatique. S’est alors rapidement posé la question de la nature des obligations pour chaque pays et de la répartition de ces obligations. Or les pays n’ont pas tous la même conception de ce que cet accord impliquerait. Ainsi, les Etats-Unis veulent des obligations symétriques entre pays développés et pays émergents. Au sein des BASIC (groupe de négociation réunissant le Brésil, l’Afrique du Sud, l’Inde et la Chine), les positions divergent, avec notamment la Chine qui accepte l’idée d’engagements juridiques, au-delà de 2020, et l’Inde qui, au nom de l’équité, résiste à l’idée d’un instrument juridiquement contraignant », résume Pierre Radanne dans une note sur les enjeux des négociations de Varsovie.
Quelle justice pour le climat ?
Les pays industrialisés sont en faveur d’une répartition des efforts. La Chine argue que même si elle émet plus que tout autre pays, elle pollue moins si on ramène les émissions au nombre d’habitant. En clair, un Chinois rejette moins qu’un occidental. L’Inde et le Brésil mettent en avant la responsabilité historique des pays de l’Annexe I. Bref, les avis divergent et la solution retenue jusqu’à présent de « responsabilité commune mais différenciée », semble mise à mal par le fait que les pays émergents seront bientôt au même niveau que les pays riches pour les émissions.
Comme l’explique Pierre Radanne : « lors des négociations portant sur la période 2012-2020, le même découpage a été conservé. Le souhait des pays Annexe 1 de voir des engagements appliqués aux pays émergents s’est heurté à un refus. Cette nouvelle distinction est d’autant plus hasardeuse que n’a jamais été précisé comment on distinguait un pays émergent d’un pays en développement. Le sentiment d’injustice qui a découlé d’une détermination peu équitable des engagements implique une refonte des bases de la négociation, afin d’adapter le cadre légal aux mutations en cours. Pour ce faire, il faudra estomper les catégories de pays établies par la Convention Cadre de lutte contre le changement climatique et reprises dans les accords suivants. »
L’enjeu de 2015 : la répartition des efforts
Contactée par email de Varsovie, Alix Mazonoue du Réseau Action Climat France, en charge des questions de Politiques internationales n ‘a pas eu connaissance du rapport de la Netherlands Environmental Assessment Agency. Mais elle insiste sur le rôle historique des pays industrialisés et elle met en garde : « On sait que la majorité des émissions se situent ou se situeront bientôt dans les pays en développement. Mais attention, il s’agit des émissions liées à la production et non à la consommation. Or la plupart des choses produites dans les pays en développement sont consommées dans les pays développés. Le système de comptabilisation des émissions actuelles ne prend pas cette donne en compte, ce qui fausse la vision globale. Les émissions françaises décroisent officiellement si on regarde uniquement la production. Mais si on regarde les émissions liées à la consommation sur le territoire français, elles augmentent de 14%. »
Le sommet de Varsovie est une étape avant la signature d »un accord prévu pour 2015. Alix Mazonoue estime que la répartition des efforts constitue un des axes majeurs dans la conclusion d’un accord sur le climat à Paris dans deux ans et que tous les pays doivent s’engager : « la question en 2015 va être la répartition des efforts en fonction de la responsabilité historique, présente et future et en fonction des capacités présentes et futures. Et dans ce contexte, c’est aux pays développés de faire preuve d’ambition et de renforcer leurs actions climatiques maintenant. Car un pays en développement ne s’engagera pas dans un accord multilatéral s’il a pour exemple les pays développés qui ne tiennent pas leurs promesses. En outre, il faut des financements additionnels pour aider tous les pays en développement à faire plus, sinon ils n’auront pas les moyens de réduire leurs émissions. »
Julien Leprovost
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