Populations, déserts et zones arides dans les pays en développement

Introduction

Les terres arides abritent plus d’un milliard de personnes et la croissance démographique de ces régions est plus rapide que la moyenne. D’après les Nations Unies, la croissance démographique mondiale en 2004 était de 1,14% par an; en Afrique, où les terres arides représentent 40% du territoire, la croissance annuelle atteint 2,4%. L’Afghanistan, très aride, détient le record mondial avec 4,77%. La Mongolie, constituée principalement de terres arides gelées, voit quant à elle sa population augmenter de 1,45% chaque année. Conservation International (une organisation à but non lucratif luttant pour la protection de la biodiversité) estime que chaque année, la population augmente de 1,8% dans les zones arides à écosystèmes critiques.

Associée au changement climatique attendu, cette croissance accélérée soumet les ressources des terres arides à des contraintes toujours plus fortes, pouvant mener à une dégradation des terres et des conditions de vie des populations concernées.

Utilisation des ressources naturelles des zones arides

Certes, il est difficile pour l’Homme de s’adapter à des régions où les pluies sont rares et les températures, souvent très élevées, pourtant des sociétés survivent dans les zones sèches depuis des millénaires. Il y a plus de 6.000 ans, les Mésopotamiens irriguaient leurs cultures grâce à l’Euphrate et au Tigre qui coulaient tout au long de l’année (1). Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, les eaux souterraines permettaient une agriculture d’oasis dans des milieux particulièrement hostiles.

Plus récemment, les ressources naturelles des régions arides ont été exploitées afin d’être utilisées dans des régions plus humides. Ainsi les Romains de l’Empire faisaient-ils venir leur sel d’Afrique du Nord. Entre le XVIIe et le XIXe siècle, l’Europe importait la gomme arabique du Sahara du sud-ouest. Aujourd’hui, une grande partie du monde dépend du pétrole du Moyen-Orient et de l’uranium extrait dans le désert du Namib.

Ces zones peuvent également être occupées par de petites communautés, se déplaçant selon leurs besoins: les éleveurs mongols et leurs troupeaux de yaks migrent en fonction des pluies et des pâturages et le peuple San (les Bochimans) du Kalahari, au sud de l’Afrique, suit les animaux migrateurs et cueille les fruits et racines disponibles.

Le développement colonial et post-colonial a perturbé ces modes de vie extensifs dans la plupart des régions arides. Au Kenya, les colons britanniques ont limité les déplacements des bergers Masai en créant des réserves naturelles et en instaurant une agriculture exclusivement destinée à l’exportation. Dans certaines régions d’Australie, du Botswana ou de l’Ouest des États-Unis, des pâturages extensifs payants sont organisés à l’intérieur de fermes clôturées. Ailleurs en Afrique, des techniques agricoles ont été importées de pays plus humides. Au Kenya, seuls 20% du territoire sont suffisamment fertiles et reçoivent suffisamment de pluie pour permettre des récoltes régulières, pourtant l’agriculture sédentaire y a été largement développée depuis trente ans. Si ces cultures permettent de répondre à une demande locale, voire mondiale, elles ne sont pas viables à long terme, notamment parce que ce type d’agriculture exige des apports en eau à des périodes précises.

Dans les régions les plus reculées de Mongolie, les activités de pâture nomades existent toujours. Mais même là, les puits en pompage, construits avec l’aide de l’ex–URSS, s’effondrent, ce qui limite les déplacements de troupeaux et entraîne une utilisation immodérée des puits restants et des cours d’eau saisonniers. En zone sèche, une culture réussie passe essentiellement par l’utilisation des cours d’eau permanents, comme le Colorado, l’Indus ou le Nil, ou des eaux puisées dans les aquifères souterrains grâce à des galeries ou des qanats.

Urbanisation, agriculture en expansion et dégradation des terres

L’exploitation des zones sèches, quel que soit le pays, affecte les écosystèmes locaux. L’urbanisation rapide est un réel problème. Dans les régions sèches des pays développés ou en développement, de nombreuses villes se sont étendues à une vitesse impressionnante depuis un demi-siècle. Aux États-Unis, Phoenix est passée d’environ 500.000 habitants en 1960 à 1,5 million aujourd’hui. Pékin, Dubaï, Karachi, Santiago et Téhéran sont toutes situées dans des zones sèches. La population urbaine des zones arides a augmenté de 4 à 16% au cours des quarante dernières années, contre 3,2% environ dans le reste du monde (2, 3).

Dans d’autres régions, cet accroissement de la population et de l’agriculture dans les régions sèches peut entraîner une importante dégradation des terres et mener à ce que l’on appelle la « désertification », un terme relativement complexe et contesté (4). En Afrique par exemple, des recherches montrent que près de 25% des zones sèches, soit 320 millions d’hectares (sans compter les régions hyperarides où l’agriculture est impossible), sont concernées par la dégradation du sol liée à l’agriculture, 5 à 8% de ces terres étant particulièrement dégradées.

Ce phénomène ne se limite pas à une érosion accélérée du sol, il regroupe d’autres facteurs qui contribuent à diminuer la productivité des terres. Par exemple, si les terres sont intensément cultivées, les jachères, raccourcies ou abandonnées, ou si aucun engrais n’est utilisé, les nutriments se raréfient; c’est notamment le cas en Afrique subsaharienne à cause de l’extension des cultures et du coût élevé des engrais. La salinisation des sols, causée par l’association d’eau riche en minéraux (comme le sont souvent les eaux souterraines), de températures élevées et d’une forte évaporation, représente une autre menace. Au Pakistan par exemple, la salinisation a réduit d’un quart la productivité des cultures irriguées (5).

Les changements climatiques, l’instabilité politique ou l’introduction de techniques agricoles inadaptées sont autant d’éléments qui participent à la dégradation des sols. La famine et la dégradation des terres au Sahel durant les années 1960 et 1970 ont été causées en partie par la sécheresse, mais aussi par la croissance démographique, par les conflits politiques et par la corruption qui ont affecté l’acheminement de nourriture et les déplacements de populations, ou encore par l’expansion d’une agriculture de type occidental durant les années 1950, une décennie particulièrement humide. On peut également citer la rapide expansion agricole des plaines d’Amérique du Nord, qui a précédé dix années de sécheresse et de tempêtes de poussières (Dust Bowls ) dans les années 1920 et 1930. C’est néanmoins grâce à ce phénomène que l’on a compris qu’il était important de mettre en place des techniques de conservation des sols et une gestion des terres plus adaptée.

La dégradation du sol sous toutes ses formes rend l’agriculture moins durable. Dans la plupart des régions sèches, les systèmes pastoraux qui limitaient les contraintes sur les terres ont été remplacés par des agricultures sédentaires exploitant les mêmes parcelles en permanence.

Les bons pâturages finissent ainsi par céder la place à des herbes annuelles, envahissantes et à croissance rapide, possédant des qualités nutritionnelles inférieures à celle des espèces pérennes. Dans les cas extrêmes, les arbustes, dont les racines sont plus profondes, se multiplient et prennent le dessus sur la végétation à faible enracinement. Ce phénomène « d’envahissement par les broussailles » a été constaté en Afrique, en Australie et dans l’ouest des États-Unis (6).

Qualité et quantité de l’eau en baisse

L’expansion et l’intensification de l’agriculture augmentent la demande en eaux souterraines des puits ou des trous de forage. Aux États-Unis, 30% des eaux d’irrigation proviennent de l’aquifère de Ogallala, qui s’étend du Dakota du Sud au nord du Texas. L’eau est prélevée bien plus vite que l’aquifère ne peut se recharger. Dans une partie de l’Oklahoma, l’aquifère de l’Ogallala a diminué de quatre mètres depuis 1995 (7). Le bassin du Kalahari, au sud de l’Afrique, connaît des problèmes similaires suite à l’essor de l’élevage sédentaire de bétail. Des études montrent que les nappes se rechargent à un rythme maximum d’un millimètre par an au centre du bassin, alors qu’à certains endroits, les prélèvements ont réduit le niveau de l’eau de près d’un mètre au cours des dernières années (8).

La diminution de ces nappes phréatiques provoque une augmentation de la salinité et une dégradation de la qualité de l’eau, notamment dans les zones urbaines en expansion où les eaux usées affectent également la qualité de l’eau. La désalinisation permet de retirer le sel de l’eau de mer (ou des eaux saumâtres), mais ces techniques restent très coûteuses et produisent des déchets polluants très concentrés et potentiellement dangereux. Cependant, pour des régions comme la péninsule arabe, la désalinisation de l’eau est essentielle pour obtenir de l’eau potable, et les progrès technologiques dans le domaine de l’énergie solaire devraient permettrent de réduire les coûts. Toutefois, en tant que moyen efficace et économique de fournir de l’eau aux zones urbaines des régions sèches à long terme, la désalinisation reste vivement contestée: certains estiment que le traitement des eaux locales, le recyclage et les transferts d’eau sont des solutions plus réalistes (9).

Conséquences sur les stratégies

Les nouveaux modes de vie, souvent dictés par les politiques nationales et internationales, ont dégradé les zones sèches de nombreux pays en développement. Les agriculteurs africains cultivent leurs champs pour pouvoir vendre leurs produits dans les supermarchés occidentaux, bien que cela soit risqué à long terme: une agriculture non diversifiée dans un environnement instable rend les ménages plus sensibles à certains problèmes tels que les sécheresses ou les aléas de l’économie.

Le changement climatique mondial menace également la survie en zones arides. Il faut déjà s’attendre à d’importants changements en ce qui concerne les écosystèmes, l’accès à l’eau et les conditions de vie en général dans ces régions au cours des prochaines décennies; les régions arides subtropicales, notamment en Afrique, sont particulièrement vulnérables (10). Les communautés seront contraintes de s’adapter à ces évolutions.

Par le passé, les techniques indigènes et les connaissances locales fondées sur une bonne maîtrise de l’environnement ont permis à de nombreuses communautés de s’adapter aux variations climatiques. Mais ces techniques ont été progressivement remplacées par des technologies importées, inadaptées aux conditions locales. Certains chercheurs suggèrent par exemple que la dégradation des sols au Kenya s’est accélérée lorsque, sous l’administration des colons, les systèmes de conservation des sols mis en place par les populations indigènes ayant permis de préserver les collines de l’érosion durant plusieurs générations ont été remplacés (11). De nombreuses agences pour le développement reconnaissent désormais les avantages des techniques ancestrales: la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification, par exemple, reconnaît explicitement la valeur des connaissances indigènes et agit en faveur d’une approche qui inclut les communautés non gouvernementales à sa Conférence des parties.

La diversification des moyens de subsistance représente une autre solution pour faire face aux tensions économiques et environnementales, en rendant les populations moins sensibles au déclin d’une activité ou d’une technique. Dans le district de Beitbridge, au Zimbabwe, les agriculteurs sont passés du maïs, difficile à cultiver dans des conditions de sécheresse permanente, au sorgho, résistant à la sécheresse et aux insectes ravageurs, et ont entrepris la réhabilitation des zones humides, l’élevage de caprins et l’implantation de pépinières de semis (12). Le succès de Beitbridge est en partie dû à la création d’une institution communautaire pouvant recevoir, gérer et utiliser des fonds extérieurs sans intermédiaires. Mettre en place des stratégies ou fournir des subventions appuyant des institutions communautaires comme celles-ci peut jouer en faveur de la diversification, mais il faut veiller à ne pas polariser les activités.

Les zones sèches nécessitent des stratégies tournées vers l’avenir mais répondant également aux besoins immédiats des populations, notamment dans les régions les plus pauvres. Des interventions directes peuvent être nécessaires, mais les techniques et les connaissances des populations locales doivent être prises en compte. Il peut arriver que des interventions centralisées ne reconnaissent pas la diversité culturelle et environnementale des régions sèches. À l’heure où les changements climatiques risquent de modifier l’environnement plus rapidement et plus profondément que jamais, la capacité d’adaptation grâce aux connaissances et à l’expérience locales peut s’avérer cruciale.

Notes

[1] JACOBSEN (Thorkild) et ADAMS (Robert M.), « Salt and silt in ancient Mesopotamian agriculture », Science n° 128, 1958, p. 125-1258.

[2] WHITE R. et NACKONEY J., « Drylands, People, and Ecosystem Goods and Services: A Web-Based Geospatial Analysis », Institut des ressources mondiales.

[3] COOKE R.U., BRUNSDEN D., DOORNKAMP J.C. et al., Urban Geomorphology in Drylands, Oxford, Oxford University Press, 1982, p. 324.

[4] THOMAS D.S.G. et MIDDLETON, N.J., Desertification: Exploding the myth, Chichester, Wiley 1994, 194 p.

[5] MIDDLETON N. et THOMAS D.S.G., World Atlas of Desertification (2e édition). PNUE/Edward Arnold, Londres, 1997

[6] DOUGILL A.J., HEATHWAITE A.L. et THOMAS D.S.G., « Soil water movement and nutrient cycling in semi-arid rangeland: Vegetation change and system resilience », Hydrological Processes n°12, 1998, p. 443-459.

[7] Services de statistiques agricoles d’Oklahoma, Département de l’Agriculture d’Oklahoma.

[8] THOMAS D.S.G, « The environmental impact of groundwater exploitation in African grasslands« . Intervention à la Conférence internationale de Dubaï (2002) sur les ressources en eaux, Balkema, Rotterdam, 2003.

[9] COOLEY H., GLIECK P.H. et WOLFF G., Desalination, with a grain of salt, Oakland, Pacific Institute, 2006, 100p.

[10] DE WIT M. et STANKIEWICZ J., « Changes in surface water supply across Africa with predicted climate change », Science n° 311, 2006, p. 1917-1921.

[11] TIFFEN M., MORTIMORE M., GICHUKi F. More People, Less Erosion: Environmental recovery in Kenya, Wiley, Chichester, 1994.

[12] CHIGWADA J., Étude de cas n° 6: « Zimbabwe climate proofing infrastructure and diversifying livelihoods in Zimbabwe », Institute of Development Studies Bulletin n° 36, 2004, p. 103-116.

People, deserts and drylands in the developing world

David THOMAS

SciDev, octobre 2006

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