Les villes doivent être développées en pensant « piéton »

Fin 2012, le Forum International des Transports, un think tank sur la mobilité au sein de l’OCDE publie le rapport « Piétons, sécurité, espace urbain et santé » qui valorise la marche à pied. Rencontre avec Véronique Feypell-de la Beaumelle, experte en sécurité routière, qui a participé à l’élaboration de ce rapport.

Il est plutôt surprenant de voir l’OCDE s’intéresser à la marche à pieds, quelle en est la raison donc ?

Les questions de sécurité routière et de mobilité ont toujours été au centre des activités de recherche du Forum International des transport à l’OCDE ; elles pèsent en effet sur les dépenses de santé publique. Le rapport « Piétons, sécurité, espace urbain et santé » a été élaboré avec la participation d’experts de 19 pays et avec la participation de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) . Il était initialement centré sur les questions de sécurité routière et il est apparu essentiel de placer la problématique du piéton dans un contexte plus large, lié à l’urbanisme, à la santé et à l’environnement.

Pourquoi, alors que tout le monde marche, ce mode de déplacement est négligé ?

Pendant longtemps, les décideurs ont privilégié l’automobile. Mais de nombreux pays de l’OCDE sont en train de revenir sur ce modèle et sur leurs erreurs passées en matière d’urbanisme. Le souci est celui-ci : même si tout le monde marche à un moment donné lors d’un déplacement, il existe encore très peu d’études sur la marche comme mode de déplacement. Celle-ci permet d’entamer et de finir un trajet. Mais, elle n’est pas encore assez envisagée comme un mode de déplacement à part entière. Et pourtant, elle convient parfaitement dans les villes très denses.

Que préconisez-vous afin de redonner aux piétons leur place en ville ?

Il faut adapter les villes aux piétons et non pas contraindre l’humain à se conformer aux exigences urbaines. L’une de nos principales recommandations consiste à envisager une généralisation des zones 30 dans les centres villes et les zones résidentielles. A cette vitesse, le risque et la gravité des accidents est largement diminuée – ne serait-ce que par rapport à une vitesse de 50 km/h. Cela facilite aussi la cohabitation entre les usagers de la route, en outre, l’impact d’une diminution de vitesse en centre ville sur les temps de parcours est minime.

Les villes doivent être développées en pensant « piéton ». Il faut mettre fin aux grandes artères avec peu de possibilité de les traverser, il faut aussi penser aux moyens d’éviter des détours aux piétons, ainsi lorsque de grands bâtiments sont construits, il faut prévoir une manière de les traverser sans avoir à les contourner.

Par ailleurs, adapter la ville à ses usagers les plus vulnérables, comme les enfants, les personnes à mobilité réduite et les personnes âgées, bénéficie à tous. Pendant longtemps, l’urbanisme a été conçu par et pour des personnes en bonne condition physique. Cette approche a conduit à des erreurs. Un simple exemple, la vitesse calculée pour traverser à un feu rouge se base sur un rythme de marche de 1,2 m/s, or à de nombreux feux, le rythme imposé pour traverser est trop rapide et peut perturber le piéton. Concevoir la traversée sur une base de 1 m/s est plus adaptée, en particulier pour les personnes âgées, pour des personnes avec des poussettes, des valises ou des enfants.

Il s’agit d’une remise en cause du modèle de la voiture et une réappropriation de la rue comme espace de vie. Les villes deviennent alors plus conviviales.

Marcher est une habitude qui peut se prendre dès le plus jeune âge, et qui si elle est prise, sera conservée. Permettre aux enfants de se rendre à l’école à pied contribue à leur épanouissement, ils sont actifs. Ils découvrent la ville, les règles de la vie en société, ils ne sont pas assis et passifs comme à l’arrière d’une voiture. Aujourd’hui, pour les jeunes urbains, la mobilité ne passe plus par la voiture, mais par l’intermodalité, c’est-à-dire la marche, le vélo, en plein essor et les transports en commun.

Quels sont les bénéfices de la marche à pied ?

C’est une façon douce de se déplacer et bon marché. Presque tout le monde peut marcher, cela demande peu d efforts et c’est naturel. Surtout, la marche joue un rôle important dans la prévention de l’obésité et des maladies cardiovasculaires : l’OMS préconise en effet de pratiquer quotidiennement une demi-heure d’effort physique modéré. Prévenir ces maladies permet aux systèmes de soins de réaliser de substantielles économies.

Ensuite, le développement de la marche bénéficie au cadre et à la qualité de vie. Si une part du transport motorisé se reporte sur la marche ou le vélo, cela contribue à fluidifier le trafic, rend la ville moins bruyante et moins polluée. Marcher ne pollue pas l’air et ne rejette pas de gaz à effet de serre.

Des villes plus agréables sont également plus commerçantes. Même si les villes compactes, les plus adaptées à la marche, figurent parmi les plus chères, le commerce y est prospère et les prix (et l’attractivité) de l’immobilier bénéficie souvent des infrastructures piétonnières comme les rues ou les parcs.

Quels sont les pays où on marche le plus ?

Tout le monde marche ! Toutefois, la marche est plus développée dans les pays d’Europe : Suisse, Pays-Bas, France et Belgique. Elle est le fait de citadins qui habitent dans des villes compactes et denses. Le recours à la marche est inversement proportionnel à celui de l’automobile, c’est donc logiquement aux Etats-Unis qu’on marche le moins, car les villes sont étendues et conçues pour se déplacer en voiture.

Avez-vous des exemples de villes qui ont su valoriser la marche à pied ?

En parallèle au développement de son réseau de transports en commun et dans le cadre d’une politique sanitaire, Londres fait des efforts remarquables. La ville a su réaménager ses trottoirs, auparavant assez étroits, encombrés, peu agréables. Il y a encore quelques années, les passants s’y sentaient enfermés, pris entre différentes voies de circulation. Maintenant, ils sont plus larges. La traversée des artères a été facilitée. L’exemple le plus flagrant est sans doute la transformation du célèbre carrefour d’Oxford Street avec la mise en place de passages piétons en diagonale. Ce lieu emblématique de Londres se montre désormais plus attrayant pour les piétons.

Ailleurs d’autres villes, comme Bogota en Colombie [à lire sur ce sujet : Le dimanche sans voitures de Bogota et Le village 20 minutes] ou Curitiba au Brésil ont su redonner leur place aux piétons. Pour cela, elles ont aussi beaucoup misé sur les transports en commun.

Plus près de nous, la Belgique et la France ont une approche très innovante en faisant évoluer le code de la route – en développant ce qu’on appelle le code de la rue qui donne plus de priorités aux piétons et aux cyclistes en ville.

Quels sont les freins au développement de la marche ?

Le premier frein est la conception même des villes, avec le modèle de l’étalement urbain et la division de l’espace en fonction très séparés et éloignées. Les lieux de vie sont loin du lieu du travail ou des commerces.

Et la sécurité ?

La sécurité et la sureté figurent sans doute parmi les premiers freins. Cela passe par le code de la route, par les infrastructures adaptées, en particulier l’éclairage public, la possibilité de traverser les rues en toute sécurité, des chaussées en bonne état. En effet, dans une ville conçue pour les voitures, les piétons ne sont pas à l’aise. Dans la plupart des pays de l’OCDE, la vitesse est limitée à 50 km/h en ville, ce qui reste excessif. Certes, en France, seul 15 % des accidents de la route impliquent des piétons, mais ils sont parmi les usagers de la route les plus vulnérables. Et leur sécurité a fait d’énormes progrès puisque dans les pays de l’OCDE, le nombre d’accident a diminué de 50 % en 20 ans.

Mais, le risque perçu d’accident avec un véhicule demeure élevé, alors qu’une étude néerlandaise a montré que les chutes sont l’accident le plus courant. Elles constituent, 75 % des accidents de piétons enregistrés dans ce pays.

Le sentiment que les rues sont dangereuses, surtout pour les enfants, a des effets pervers puisque de plus en plus de parents conduisent leurs enfants en voiture à l’école : sans ils contribuent à l’augmentation du trafic et à ce manque de sécurité. C’est un cercle vicieux qu’il faut briser.

Propos recueillis par Julien Leprovost

Aucun commentaire

Ecrire un commentaire

    • Hugo

    Correction géographique
    Bogota, COLOMBIE. Pas Bolivie

    • Julien GoodPlanet

    Merci Hugo
    Merci Hugo, c’est corrigé

    • therese Delfel

    laissez-nous marcher à la campagne aussi !
    A la campagne aussi, il est urgent de redonner les routes existantes aux personnes désireuses de marcher, confrontées à des « 2×2 » voies qui traversent leurs villages et à des axes pensés exclusivement pour des automobilistes, du reste souvent agressifs, les marcheurs doivent mettre leur vie en péril quand ils veulent aller acheter un pain dans la ville voisine ou y accomplir des formalités administratives en utilisant simplement leurs jambes ! Plus marquant, ces zones rurales ne sont même pas desservies par des transports en commun dignes de ce nom, ce dans la France de 2013 ! Cessons cette discrimination pro-automobile ! Marchons, y compris contre cette annexion des routes au profit exclusif des voitures !

  • […] interview sur la place de la marche à pieds dans les déplacements en  ville. Fin 2012, le Forum International des Transports, un think tank sur la mobilité au sein de l’OCDE […]