Catherine Rolin, bénévole prévention et gestion des déchets à France Nature Environnement : « aujourd’hui, on arrive à recycler moins de 1 % des textiles pour en faire de nouveaux textiles »


Femmes à Bahawalpur, Pendjab, Pakistan © Yann Arthus Bertrand

Face à la prolifération des déchets textiles, le gouvernement travaille sur une réforme de la filière de collecte et de recyclage. Fin juillet, certains éléments de cette réforme ont été présentés, la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher propose de faire évoluer le cahier des charges de la filière, ce qui transforme en partie le fonctionnement du principe de responsabilité élargie du producteur (REP). Certaines des propositions font l’objet de critiques de la part des associations, notamment le recours accru à l’incinération des textiles. Catherine Rolin, bénévole pour la prévention et gestion des déchets au sein de France Nature Environnement, éclaire certains enjeux liés à la collecte et au recyclage du textile en France. Ainsi, plutôt que de tout miser sur le recyclage, la FNE, comme d’autres associations, demande à ce que la production et la vente des textiles soient mieux encadrées afin d’éviter la saturation des déchets textiles, reflet d’une surproduction et d’une surconsommation.

Tout d’abord, pouvez-vous expliquer concrètement pourquoi réduire la production de vêtements permet d’augmenter le taux de collecte des déchets textiles ?

Aujourd’hui, nous n’arrivons à collecter que 30 % des déchets textiles. Cela fait une dizaine d’années que l’objectif est de parvenir à 50 % de taux de collecte mais on ne réussit jamais. Le nouveau cahier des charges proposé par le gouvernement remet à l’ordre du jour l’objectif des 50 % de collecte. La collecte est un geste citoyen, mais les objectifs ne sont pas atteints car les gens ne comprennent pas bien à quoi elle correspond. En effet, il y a un malentendu car ces derniers pensaient au départ qu’on collectait uniquement des textiles de bonne qualité pour pouvoir les revendre en France ou à l’étranger. Pourtant, dans les faits, sur la collecte, bien sûr, il peut y avoir de la revente en seconde main mais il peut aussi y avoir du recyclage. L’idée est de récupérer tous les textiles, pas seulement ceux qui peuvent être à nouveau portés.

Dire aux gens « Allez-y, consommez, on recycle. » tout en leur donnant bonne conscience.

De plus, les récents changements d’habitudes des consommateurs posent de nouvelles difficultés à la collecte et se répercutent donc sur le traitement des déchets textiles. Ce qu’on appelle « la crème » était vendue en France au niveau local et ce qui était de moins bonne qualité était exporté en Afrique de l’Ouest. Avec les sites de vente en ligne, au lieu de donner les textiles de bonne qualité, on peut désormais les revendre et en tirer profit.

« L’industrie textile nous fait croire qu’il faut toujours changer et nous pousse à la consommation, c’est ce qu’on appelle l’obsolescence marketing. »

Or, beaucoup de fast fashion mises sur le marché n’ont pas de valeur marchande et ne peuvent donc pas espérer être revendues en seconde main. C’est une nouvelle dimension du marché de l’habillement à ne pas oublier et à prendre en compte dans l’optique du tri et du recyclage. Surtout que les volumes de ventes et de déchets sont en augmentation constante.

Que faire de ces vêtements en fibre synthétique usés, souvent issus de la fast fashion ? Le recyclage est-il vraiment une solution durable ?

Pour le moment, les textiles synthétiques posent un problème, car il n’y a pas vraiment de solution pour les traiter convenablement. Ainsi, sur les 30 % de textiles recyclés, 20 % partent en effilochage pour faire de l’isolation et 10 % vont en coupage pour faire des chiffons d’essuyage. Et, seule une infime partie, moins de 1 % est recyclée en fils pour obtenir de nouveaux textiles. La réalité est donc qu’aujourd’hui, on arrive à recycler moins de 1 % des textiles pour en faire de nouveaux textiles. Si on veut recycler quelque chose, il ne faut pas avoir de mélange entre le naturel et le synthétique. Il faut trier par composantes, par couleurs et avoir par conséquent un gisement important. Finalement, ce sont des coûts assez élevés. Pour l’instant, il y a des perspectives, mais elles restent limitées à une fraction des tonnages à recycler.

En l’absence de solution effective de traitement, l’incinération est-elle alors la solution ?

En attendant, l’incinération est proposée dans le nouveau cahier des charges. Les vêtements vont constituer un combustible solide de récupération qui remplace le pétrole dans les chaufferies. Au lieu de mettre du pétrole, on met des textiles fabriqués avec du pétrole. Cela n’a pas de sens, mais en réalité cela permet de dire aux gens « Allez-y, consommez, on recycle. » tout en leur donnant bonne conscience. Autant prendre directement le pétrole pour alimenter les machines qui ont besoin d’énergie plutôt que de passer par des processus polluants de fabrication des textiles pour que ceux-ci finissent finalement brûlés comme du pétrole.

Le plastique dans les vêtements est l’une des grandes difficultés techniques du recyclage textile. Y’en a-t-il d’autres ?

Prenez un jean. Pour le recycler, il faut commencer par enlever les boutons, les fermetures éclair, etc. C’est ce qu’on appelle des perturbateurs de recyclage. Le problème réside dans le coût de recyclage quand il est plus élevé que la matière première. On ne peut pas tout recycler non plus : avec 100 kg de vêtements en coton, on ne va pas obtenir 100 kg de fibre. Et puis, il s’agit d’un processus technique complexe.

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Evidemment, l’idéal serait de faire coïncider l’aspect économique et écologique. Il faudrait que les techniques écologiques soient moins chères afin d’attirer les industriels.

Existe-t-il des alternatives écologiques à l’incinération qui seraient moins couteuses et plus simple à mettre en œuvre ?

Non, pas vraiment. Dans la hiérarchie du traitement des déchets, il y a d’abord la prévention, c’est-à-dire consommer moins et durablement. La prévention englobe aussi la réutilisation, le réemploi et la réparation.

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Ensuite, il y a le recyclage. Puis, l’incinération avec récupération d’énergie et le stockage qui est simplement une mise en décharge. Il n’y a pas vraiment de solution et c’est le problème.

Quel conseil donneriez-vous aux personnes désireuses d’agir pour réduire les déchets textiles ?

Il faut mettre l’accent sur la prévention. L’industrie textile nous fait croire qu’il faut toujours changer et nous pousse à la consommation, c’est ce qu’on appelle l’obsolescence marketing. Il y a donc un enjeu majeur à réduire la quantité de vêtements mise sur le marché. Aujourd’hui, tout l’argent est mis sur le recyclage mais on pourrait profiter du nouveau cahier des charges, pour promouvoir les mesures de réduction des déchets, en premier lieu la prévention et la seconde main.

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Avez-vous un dernier mot ?

Il faut vraiment insister sur la réduction des quantités mises sur le marché et sur l’amélioration de la qualité. Elle peut être encouragée via différents mécanismes comme les éco-contributions ou encore la modulation des contributions.

Propos recueillis par Tania Mebarki

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Un commentaire

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    • Dehousse Marc

    A ce sujet je lis sur un site du Gouvernement qu’un score de coût environnemental sera bientôt affiché sur les vêtements. : https://epargnonsnosressources.gouv.fr/actualites/le-cout-environnemental-de-nos-vetements/
    Mais ce score qui s’exprime en chiffre n’aidera pas beaucoup l’acheteur. Pourquoi pas un score en couleur ? Peur d’une réaction des producteurs peu vertueux comme pour le nutriscore ?
    Nos gouvernements sont décidément peu courageux et plus préoccupés d’habiller leur image que leurs citoyens.