Benoît Delépine à l’occasion de la sortie du film Animal Totem : « il fallait réaliser un film qui soit une espèce de vengeance symbolique »

Benoit delépine groland michael kael animal totem

Benoît Delépine, le réalisateur du film Animal Totem Photo DR

Avec sa dernière comédie Animal Totem qui sort en salle le 10 décembre, le réalisateur Benoît Delépine met l’écologie et la place des animaux au cœur de son road-movie, une fois de plus, improbable. Darius, incarné par Samir Guesmi, doit traverser à pied la campagne depuis l’aéroport de Beauvais jusqu’à La Défense, accompagné de sa mystérieuse valise à roulettes, dont il ne peut se séparer. Il cherche à mener à bien, et sans empreinte carbone, une mission qui l’amène à d’étonnantes rencontres. GoodPlanet Mag’ est allé interviewer Benoît Delépine, un amoureux des animaux aussi connu pour son emblématique rôle de Michael Kael au Groland, afin d’en savoir plus sur Animal Totem et son rapport à la faune. Il confie aussi quels sont ses animaux totem et pourquoi il est possible d’en changer.

Comment vous est venue l’idée de réaliser ce nouveau road-movie improbable qu’est Animal Totem ?

L’envie de réaliser un film n’a parfois rien à voir avec l’idée qui conduit à sa création. L’envie à l’origine d’Animal Totem est née parce qu’une usine de bitume menaçait de s’installer à moins d’une dizaine de kilomètres de chez moi en Charentes. L’usine devait être construite juste à côté d’un site Natura 2000, près du fleuve Charente. Or, les vents dominants risquaient d’y porter les polluants rejetés. Le projet était scandaleux car il menaçait les paysages et les terres agricoles, surtout qu’à l’époque le gouvernement se vantait de faire du zéro artificialisation nette tout en autorisant la création d’usines pour produire du macadam en France. J’ai rejoint un collectif d’opposants avec lesquels j’ai pris part à des réunions d’information et des manifestations.

« Il était temps de parler des problématiques écologiques plus précisément »

 J’avais des doutes sur notre capacité à stopper le projet. Car, comme l’A69 et Sainte-Soline, toutes les autorisations avaient déjà été données. Il y avait aucune chance que cela ne se fasse pas. Je me suis alors dit qu’il fallait réaliser un film qui soit une espèce de vengeance symbolique par rapport à ce qui allait se passer. Mes nombreuses réflexions et recherches sur le sujet m’ont conduit à m’intéresser aux polluants éternels, les PFAS dont on ne parlait pas beaucoup à l’époque. Je me suis rendu compte que, tant qu’on ne les cherchait pas, on ne trouvait pas les PFAS. Pourtant, dès qu’on les cherche, on les retrouve partout. Je devais donc faire un fim sur ce sujet, mais avoir un sujet ne suffit pas toujours à obtenir un film, sauf pour du documentaire.

Comment en arrivez-vous à la fiction ?

 Je fais de la fiction en raison de mon goût pour. J’ai réussi par l’intrication de plusieurs éléments. J’ai rencontré l’acteur Samir Guesmi, qui incarne Darius le protagoniste principal d’Animal Totem, lors d’un festival à Angoulême. Puis, pendant un voyage en Italie, le fait de voir tous ces gens avec des valises à roulettes dans les rues de Napes, avec le bruit qu’elles font, m’a inspiré. J’ai imaginé Samir marcher avec une valise à roulettes dans ma campagne natale de Picardie et tout s’enchaîne. J’ai, à ce moment-là, le personnage, son but, son caractère, les rencontres qu’il va faire sur son chemin.

Le personnage de Darius, incarné par Samir Guesmi, traverse la campagne picarde dans le film Animal Totem de Benoît Delépine - 2025 ©SRAB FILMS – NO MONEY PRODUCTIONS
Le personnage de Darius, incarné par Samir Guesmi, traverse la campagne picarde dans le film Animal Totem de Benoît Delépine – 2025
©SRAB FILMS – NO MONEY PRODUCTIONS

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Cela fait plus de 20 ans que vous faites des films, Animal Totem semble être celui qui parle le plus frontalement d’environnement, pourquoi ?

Il était temps de parler des problématiques écologiques plus précisément. Tout le monde connaît l’urgence de la situation. Toutefois, l’image de la grenouille dans la marmite qui bout reste d’actualité. Même si dans notre précédent film En même temps avec Gustave de Kervern, le sujet était déjà un peu abordé. Les deux personnages se lançaient dans une possible campagne écolo.

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Est-ce qu’en plus d’être un film sur l’écologie, Animal Totem ne se révèle pas davantage un film sur la place des animaux sauvages ?

Oui, le film traite aussi de la place des animaux dans nos sociétés. J’ai un petit-fils de 3 ans et c’est dingue de voir qu’aujourd’hui encore les livres jeunesse regorgent d’animaux. Cependant, en grandissant, la société nous dit qu’on devrait arrêter d’aimer les animaux afin de consommer, voire de se mettre à manger les animaux dont les livres en question parlent.

« Écologie est devenu un des mots les plus détestés de France »

Ainsi, je préfère parler d’amour de la nature davantage que d’écologie. Je ne veux pas dire que c’est un film écologique, parce que cela rendrait une partie du public réfractaire. Pour reprendre en substance les termes de Français Ruffin, « écologie » est devenue un des mots les plus détestés de France. Or, le terme écologie a été malmené après de nombreuses campagnes de dénigrements qui assimilent les militants à des écoterroristes parce qu’ils s’opposent, par exemple, aux prélèvements des nappes phréatiques au profit d’intérêts privés. Surtout que la justice donne souvent raison plus tard à leur combat. Le glissement de sens du mot écologie devient orwellien.

Le film rend à la fois hommage à de nombreux genres cinématographiques (western, polar, fantastique, comédie…) tout en montrant dès que possible la faune sauvage, jusqu’à en adopter son point de vue, qu’est-ce que cela apporte ? Est-ce une manière de dire que le vivant nous entoure mais que nous ne le voyons pas car nous sommes bien trop anthropocentrés ?

 Tout à fait, je voulais aussi avoir le point de vue de l’autre côté, celui des animaux. En effet, l’être humain a tendance à rapidement étiqueter les choses, y compris les animaux. Darius, le héros, part à la recherche « de son animal totem » d’où il tirerait sa force. J’aurais pu me contenter d’adopter le point de vue du personnage principal qui regarde les animaux et dit lesquels lui correspondent ou non. Mais, ce serait oublier que l’animal lui-même existe, l’animal lui-même est en communion avec la nature et l’animal lui-même regarde également les humains.

« L’animal lui-même regarde également les humains »

Bien que leurs yeux et leurs visions ne soient pas toujours similaires aux nôtres, les animaux nous observent et ils nous voient évoluer. Ils nous considèrent certainement de plus en plus dangereux. Ils doivent donc se méfier. Je tenais absolument à montrer ce regard-là, cette volonté m’a également conduit à choisir un format d’image très large. Avoir un format d’image plus large que le cinémascope me permet de montrer la beauté des plaines picardes de mon enfance et le regard des animaux, y compris de ceux qui ont des yeux disposés sur le côté.

Le personnage de Darius, incarné par Samir Guesmi, traverse la campagne picarde dans le film Animal Totem de Benoît Delépine – 2025
©SRAB FILMS – NO MONEY PRODUCTIONS

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Ce déphasage du regard s’inscrit-il dans la logique des nouveaux imaginaires et nouveaux récits défendue par certains écologistes ?

 Je me sens en phase avec l’idée qu’il faille réenchanter le monde pour donner l’envie d’agir. Le souci, dès qu’on parle d’écologie, réside dans la dimension anxiogène des sujets. L’angoisse a plutôt tendance à figer au lieu de faire agir. Il faut certes se responsabiliser, mais le faire en gardant cet amour de la nature. On devrait arrêter de dire qu’on est écolo, mais plutôt déclarer aimer la nature par-dessus tout. J’ai envie de limiter les abus de l’humain afin que cette nature reste vivace, afin qu’elle reste notre alliée et que nous continuons à vivre avec elle.

« Il faut certes se responsabiliser, mais le faire en gardant cet amour de la nature »

La petite morale du film Animal Totem serait à retrouver dans l’histoire de Totor, le pigeon voyageur piéton. L’écologie consiste d’abord pour tous à être raisonnable. Il ne s’agit pas seulement d’acheter tous une voiture électrique, mais d’utiliser au mieux nos ressources. Sans parler de décroissance, il n’y a rien de délirant à demander à chacun de réaliser son empreinte carbone, pour ensuite la réduire sans être contraint d’en passer par des obligations.

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Votre cinéma est souvent associé au fait de montrer de façon poétique, burlesque voire absurde ce qu’on ne voit pas généralement dans les médias ou au cinéma, à savoir les gens ordinaires, la précarité… Et de leur donner une voix. Diriez-vous, qu’avec Animal Totem, vous adoptez la même démarche mais que cette fois vous donnez une voix à la Nature ?

 Un petit peu, car on se permet beaucoup de choses avec les animaux et la nature qu’on ne se permettrait pas de faire avec des êtres humains. Les destins de l’humanité et du vivant sont pourtant complétement liés.

« On se permet beaucoup de choses avec les animaux et la nature qu’on ne se permettrait pas de faire avec des êtres humains »

Selon vous, est-ce que les questions sociales sont trop mises de côté quand on parle d’écologie ?

Oui, on le voit dans les campagnes où la question de la mobilité et de la place de la voiture demeure centrale. Il y a une problématique incroyable derrière : les implications de la décision d’une partie de la population de quitter les grandes villes. Ils quittent les immeubles pour habiter des maisons. Ils sont sans doute attirés par une forme d’autonomie, par l’absence de voisinage proche, mais aussi par une certaine forme d’amour de la nature. Ce choix de vie pose un vaste problème puisqu’il pousse les gens à passer du temps dans la voiture pour aller au travail, faire les courses. Paradoxalement, on, et moi le premier, se retrouve à passer beaucoup de temps en voiture pour répondre à nos besoins.

« Dans les campagnes où la question de la mobilité et de la place de la voiture demeure centrale »

L’essence est passée au-delà des deux euros le litre. On pourrait se dire qu’écologiquement c’est normal. Mais, ce raisonnement ne vaut que pour les personnes qui ont la faculté de choisir comment se déplacer et en ont les moyens. Malheureusement, une grande partie de la population n’a pas le choix, et ce même s’ils ont une sensibilité écologique et un amour de la nature enfouis en eux. Ces derniers sont contrecarrés par des impératifs de survie et de vie quotidienne.

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Il est compliqué d’imaginer, même si cela pourrait se faire, remettre du train ou des transports en commun. Dans mon village, le maire se bat afin que le train s’arrête de nouveau à la gare, ce qui veut aussi dire de la part de la commune des investissements conséquents. Au final, ces exemples disent qu’il faut des investissements à long terme alors que le pouvoir politique est détenu par des élus à court terme. Le souci est donc que on, la société, doit s’organiser pas à pas : des zones de covoiturage, des groupes WhatsApp pour partager un trajet, mais aussi pour ceux qui le peuvent acquérir un véhicule électrique

Quel est votre animal totem ?

 J’ai eu un rapport particulier avec chacun des animaux présents dans le film. Je peux vous en raconter deux ou trois. Le premier animal totem que j’ai eu, et vous comprendrez aussi pourquoi on peut en changer, est une espèce d’élan qu’on retrouve en Scandinavie.

« Vous comprendrez aussi pourquoi on peut changer d’animal totem »

Doté d’un physique incongru avec son long nez, cet élan me fascine. Par contre, j’en ai bavé pour l’observer. Il vit en Scandinavie, il y en a très peu en zoo chez nous. Au début des années 2000, lorsque j’ai tournée Aaltra avec Gustave Kervenr en Finlande, je n’ai pas réussi à en voir en forêt même en me levant très tôt. J’ai pu en voir un une fois dans un zoo de ville à Göteborg en Suède où c’est une espèce commune. Je l’ai regardé pendant une heure complètement fasciné. Je sais bien que le rôle des zoos est discutable, mais il y a plusieurs années, j’ai découvert qu’en France, le zoo de Chizé en abritait un. J’ai alors fait une centaine de kilomètres pour aller le voir. L’élan était loin, il avait un vaste enclos, ce qui est bien. J’ai attendu, attendu, mais il n’est jamais venu. Du coup, j’ai fait une chose à ne pas faire. J’ai sorti mon téléphone pour chercher une vidéo avec le cri de l’élan en rut. J’ai ensuite tenu en l’air mon téléphone et j’ai lancé la vidéo avec le son au maximum en me disant qu’il y a une chance sur 1000 pour que l’élan du zoo réagisse. Il a levé la tête et s’est mis à foncer comme un damné sur moi. Il s’est arrêté à un mètre de la barrière de l’enclos, en soufflant et en grattant du sabot.

« Il y a une chance sur 1000 pour que l’élan du zoo réagisse. »

À ce moment-là, je me suis dit pas sûr que ce soit mon animal totem car je ne suis pas bagarreur à ce point-là. Je retourne le voir tous les ans et une année, j’aperçois qu’il y a une élane avec lui. Je me dis qu’il va avoir la vie plus douce et que l’année suivante il y aura des élaneaux. Je reviens une année après, plus d’élan, ni d’élane, car il a violé et tué cette dernière. J’ai acté que ce n’était plus du tout mon animal totem.

Suite à cette tragique déconvenue, quel a été votre animal totem suivant ?

Je suis passé au rouge-gorge. C’est un animal territorial, il reste sur son territoire où il est un peu le patron, il est chez lui. J’étais en train d’élaguer chez moi à la campagne, je vois un rouge-gorge qui est en train de picorer car après l’élagage il y a toujours des bêtes et vers à manger pour lui. Je le regarde, je discute avec lui… enfin je me décide à reprendre mon activité plus loin, je pose ma cisaille sur un fauteuil. Il va se poser dessus puis se met à me regarder longuement avec son petit œil tout rond. Il arbore un air de reproche, je regarde ma cisaille et deux mètres plus haut se trouvait son nid. Bien sûr, j’ai tout arrêté. J’ai trouvé ça très beau. Toutes ces anecdotes sont vraies.

Une dernière pour la route…

La dernière concerne le pigeon voyageur. Pour commencer, il y a cette histoire de pigeon voyageur piéton que je raconte dans le film. Je l’ai inventée et racontée à mes trois enfants qui l’adoraient. Je n’avais jamais réussi à la dessiner, je suis un dessinateur frustré, ou la faire dessiner. Je me suis donc dit que le film était l’occasion où jamais de la raconter en dessins. J’ai acheté tout le matériel, papier, crayons, pigments etc. pour le faire. Il ne me restait qu’à donner vie à Totor mon pigeon voyageur. Mais, sans modèle je n’y arrivais pas, je suis plutôt allé chercher un yaourt dans mon frigo. Je cherche sur google, je trouve des images un peu pourries ou d’autres dessins que je n’allais pas imiter. Là, ma fille qui habite à 200 mètres de chez moi m’appelle pour me demander de venir car elle a un pigeon qui vient de se poser sur sa terrasse et qui semble avoir un souci pour repartir. Elle va contacter la Ligue de Protection des Oiseaux.

« Mon film est entièrement en phase avec les animaux »

 Je vais donc chez elle où je vois effectivement ce pigeon. Je reste une semaine avec lui, ce qui me permet de faire l’album qu’on voit dans le film en le dessinant sous tous les angles tout en veillant à ce qu’il ne manque de rien. Nous amenons ensuite le pigeon à la LPO où on lui a retiré sa bague. Elle nous a appris que c’était un pigeon voyageur anglais. La coïncidence est extraordinaire car en 28 ans en Charente, je n’ai jamais vu un seul pigeon voyageur, il y en a un seul qui vient, il vient d’Angleterre et il s’est posé chez moi afin de me permettre de faire mon aventure avant de retourner chez lui. Cette anecdote complètement folle me fait dire que mon film est entièrement en phase avec les animaux.

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Enfin, quel est actuellement votre animal totem ?

Comme je sors mon film, ce serait un cheval de traie, car sortir un film prend au moins 2 ans à 2 ans et demi. Un cheval de traie qui tire de façon monotone sa charrue à travers le champ en étant concurrencé par des énormes tracteurs à 4 roues motrices.

D’ailleurs, en parlant d’engins agricoles, dans le film, on voit une séquence impressionnante où une moissonneuse-batteuse frôle Darius, est-elle réalisée en prise de vue réelle ou reconstituée en post-production ?

Tout est réel. Elle a été possible grâce à un ami agriculteur, qui a été sympa de retarder sa moisson de plus d’une semaine afin qu’on ait dans le film l’image avec tous les ballots de paille.

Avez-vous un dernier mot ?

J’ai des enfants d’une trentaine d’années qui sont à fond dans le combat écologique. Je suis content qu’ils puissent enfin regarder un de mes films.

Propos recueillis par Julien Leprovost

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Pour aller plus loin

La bande-annonce du film Animal Totem De Benoît Delépine avec Samir Guesmi

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