Avons-nous tous un écolo qui sommeille en nous ? Sommes-nous condamnés à regarder la planète brûler sans aucune solution ? Cette semaine, après avoir découvert différentes manières d’agir pour un monde plus vert, notre journaliste se demande si nous sommes tous égaux face au changement climatique. À travers la série estivale L’Odyssée bas carbone, GoodPlanet Mag’ questionne les contradictions, les choix et les solutions apportées à la crise écologique. Des nouvelles manières de voyager, du sport à la mode en passant par ceux qui tentent de changer le monde du travail de l’intérieur, L’Odyssée bas carbone explore comment, individuellement ou collectivement, des personnes aux profils variés tentent de répondre à leur manière aux enjeux de l’époque.
Entre 2001 et 2023, en moyenne quatre événements naturels très graves se sont produits chaque année en France, selon le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. La France est le pays de l’Union Européenne recensant le plus de catastrophes naturelles. Toujours selon le même ministère, 62 % de la population française serait exposée de manière forte ou très forte aux risques climatiques. Ce chiffre, alarmant, montre que tous les habitants du territoire ne sont pas égaux face au changement climatique. Mais alors qui sont les personnes les plus vulnérables ? Et le pays parvient il, sur ce sujet, à remplir ses obligations d’adaptabilité face au changement climatique ?
Qu’est-ce que l’Injustice climatique ?
La condition sociale comme facteur d’accroissement de la vulnérabilité face au changement climatique entre dans ce qu’on appelle l’injustice climatique. L’injustice climatique relève de plusieurs dimensions qui vont au-delà du simple fait d’être victime d’une catastrophe naturelle. « Il y a à la fois une injustice climatique en termes d’émission de gaz à effet de serre. On sait que les personnes les plus riches contribuent de manière beaucoup plus importante au changement climatique que les personnes les plus modestes, voire la majorité de la population. Et il y a aussi une injustice en termes d’impact du changement climatique, car les personnes les plus impactées par le changement climatique sont déjà les plus fragiles. C’est à la fois vrai à l’échelle de la France, mais aussi à l’échelle internationale », explique Robin Ehl, chargé de campagne et de plaidoyer pour Oxfam France.
La gestion de la société face aux changements climatiques, tant dans l’exposition aux risques que dans la responsabilité, doivent, selon Robin Ehl conduire à « complètement changer de paradigme. Il n’est pas tolérable que les plus riches continuent à polluer pendant que le reste de la population subit toujours plus les impacts du changement climatique. Ce modèle-là, n’est pas viable, il est injuste. Donc, il faut absolument taxer les pollutions des plus gros pollueurs pour derrière investir dans la lutte contre le changement climatique et l’adaptation. C’est seulement ainsi que nous pouvons construire un monde plus juste ».
Inégalités sociales et injustices climatiques intimement liées
L’exposition au risque climatique la plus directe est sans doute celle liée aux catastrophes naturelles. Le dérèglement climatique en accentue l’intensité et la fréquence. Mais, la vulnérabilité à ces événements, souvent perçus comme des fatalités, a une dimension socio-économique. La précarité augmente l’exposition aux dangers. « On sait que les 20 % les plus précaires de la population d’une commune touchée par les inondations sont les plus susceptibles de rester dans leur maison, alors que le reste de la population a plutôt tendance à quitter la zone. Donc au fur et à mesure, les inondations creusent encore plus les inégalités territoriales. Les personnes une fois victimes d’une inondation risquent de le redevenir une deuxième fois, une troisième fois, une quatrième fois… », affirme Robin Ehl d’Oxfam France.

« Aujourd’hui, les personnes les plus vulnérables, ce sont d’abord les plus précaires. Ils sont souvent plus exposés et ils ont moins de moyens pour s’adapter », explique Cleo Moreno, coordinatrice juridique de l’Affaire du siècle. Elle donne l’exemple de Salma, une sinistrée climatique qui participe au dernier recours contre l’État français pour demander plus de mesures d’adaptation au changement climatique. Salma vit dans un logement social parisien rempli de moisissures avec sa mère et son frère. Sa famille est confrontée à une autre forme de risque environnemental. Son logement est « très mal isolé et subit l’aggravation du climat. D’autant plus qu’elle est dans ce logement appartenant à une propriétaire qui refuse de rénover », détaille la juriste Cleo Moreno. Dans le cas de logements insalubres ou inadaptés, dans le cas d’expositions à des risques naturels, dès que les personnes en ont les moyens, elles quittent la zone à risque. Celles et ceux qui restent n’ont généralement pas le choix.
« Les inondations creusent encore plus les inégalités territoriales »
Un autre facteur de vulnérabilité face au changement climatique est celui de la condition physique. En plus de l’âge, de la santé voire du handicap, le genre est aussi à prendre en compte. « En termes de genre, les femmes sont plus affectées par le changement climatique », affirme Véronique Moreira, Présidente de WECF France (Women Engage for a Commun Future), le réseau international d’écoféminisme, avant d’ajouter : « femmes et hommes ne sont pas capables d’adaptation au changement climatique de la même façon. Je pense à un travail qu’on a fait sur Paris, où on a démontré aussi, en s’appuyant sur des études, que les femmes transpirent moins que les hommes, donc, elles ont plus de mal à se rafraîchir. Ce qui les rend plus vulnérables aux vagues de chaleur par exemple. »
Mais la physiologie n’est pas la seule raison aux inégalités de genre creusées par le changement climatique. Elles ont aussi une dimension socio-économique. La précarité des femmes, bien trop souvent moins bien rémunérées, accentue leur vulnérabilité face à la crise climatique. Ainsi, pour Véronique Moreira « c’est une question de genre, mais c’est principalement une question sociale de vulnérabilité ».
Importer des tomates contribue à la sécheresse marocaine
La crise climatique découle de la complexité d’un monde où l’énergie favorise la circulation des personnes et des marchandises. Ainsi, un acte de consommation a priori anodin ici participe aux inégalités ailleurs, en entrainant localement, et loin de nous, des répercussions. Pour illustrer l’injustice climatique, Robin Ehl prend l’exemple de la sécheresse qui touche le Maroc. « Au sein du pays, les personnes qui sont déjà vulnérables, notamment des femmes, et aussi des personnes qui vivent de l’agriculture, subissent de plein fouet les conséquences du manque d’eau. Pire : en important massivement des produits du Maroc dont la production consomme beaucoup d’eau, comme des avocats ou des tomates, la France aggrave la crise d’eau au Maroc », détaille-t-il.

Les inégalités face à la crise climatique ne sont plus à prouver, pourtant les personnes vulnérables ne sont que peu prises en compte dans les politiques publiques. C’est pourquoi, des associations et collectifs comme Oxfam France, WECF et l’Affaire du Siècle, militent pour de meilleures politiques d’adaptabilité.
« le changement climatique avance plus vite que l’action de l’État »
« L’idée, c’est de se dire que là, à l’heure actuelle, le changement climatique avance plus vite que l’action de l’État et qu’il faut inverser cette tendance. Il faut que l’État aille plus vite que le changement climatique », estime Cléo Moreno. Mais pour cela, il faudrait que l’État fasse de l’adaptation l’une de ses priorités. Or, « les actions de l’État en termes d’adaptabilité ne sont pas suffisantes et passent derrière d’autres politiques publiques. C’est très grave, parce qu’attendre revient à exposer davantage de citoyens. Et plus on tarde, plus cette adaptation va nous coûter cher en tant que société et plus il y aura des citoyens impactés », poursuit la juriste.
Un coût non négligeable mais nécessaire
Le coût de l’adaptabilité en matière de changement climatique est l’un des freins rencontrés à la mise en place de ces politiques. Pourtant, le coût de l’inaction des impacts est élevé. « Nous appelons à des investissements beaucoup plus conséquents en adaptation. Il manque des investissements énormes en France pour l’adaptation et aussi pour la transition écologique », déclare Robin Ehl d’Oxfam. « On observe malheureusement aujourd’hui que les investissements dans les actions climatiques sont toujours perçus comme une dépense et souvent, malheureusement, comme une dépense facultative. C’est une erreur capitale. Car, agir aujourd’hui pour baisser les émissions de gaz à effet de serre et aussi pour s’adapter, sont des investissements qui permettent de réduire les dégâts demain ».

L’État a donc sa part de responsabilité face au changement climatique pour protéger les personnes les plus vulnérables. Robin Ehl prend l’exemple de l’adaptation aux vagues de chaleur, de plus en plus fréquentes. « Imaginons que l’État ne fasse absolument rien dans le domaine. Certaines personnes utiliseraient la climatisation tout le temps. Mais toutes les autres personnes n’auraient aucun moyen pour se protéger de la chaleur chez elles. Elles vont même vivre dans des villes réchauffées par l’air chaude rejetée par la climatisation. »
Ainsi, sans soutien ni aide de l’État, les personnes les plus modestes, déjà victimes de discriminations, sans aucun moyen de se rafraîchir que ce soit chez elles ou dans l’espace public, se verraient encore plus impactées par les vagues de chaleur.
Les personnes vulnérables, absentes des plans d’adaptation
« Le Haut conseil pour le climat lui-même, dans son avis de 2025, a établi que les personnes les plus vulnérables n’ont pas été assez prises en compte dans le Plan national d’adaptation au changement climatique », rappelle Cléo Moreno. Elle déplore le fait que les vulnérabilités spécifiques « des gens qui habitent dans des zones très denses, des enfants, des femmes enceintes, des personnes âgées, des personnes en situation de handicap ou dans des situations de pauvreté » ne soient pas assez prise en compte.

Les politiques d’adaptation doivent donc prendre en compte les citoyens les plus vulnérables face au changement climatique. Pour Robin Ehl, « il faut que cette adaptation soit juste. Et pour qu’elle soit juste, il faut qu’elle cible les personnes qui ne peuvent pas se protéger par leurs propres moyens ». Ce manque d’adaptabilité de l’État français a poussé le collectif l’Affaire du siècle à l’assigner en justice pour inaction en matière de lutte contre le réchauffement climatique.
Après une première victoire en 2018, le collectif a attaqué une nouvelle fois l’État en justice. C’est la première fois dans l’Union européenne qu’un État est attaqué sur le manque d’adaptation de ses territoires. Avec ce nouveau recours, Cléo Moreno espère que « la justice oblige l’État à accélérer la mise en place de vraies politiques d’adaptabilité, pour que ce ne soit pas une question de bonnes intentions, mais une obligation ».
Justice sociale et justice climatique, même combat
Cette obligation de protection des populations les plus vulnérables face au réchauffement climatique, qui incombe aux États, a été reconnue par un avis consultatif de la Cour internationale de justice le 23 juillet 2025. Cet avis historique devrait permettre aux sinistrés d’une catastrophe naturelle due au réchauffement climatique d’émettre une demande de réparation aux Etats les plus émetteurs de gaz à effet de serre. Cette décision rappelle, comme le dit Véronique Moreira, que droit humain et climatique sont intimement liés.
« la France a l’obligation de protéger sa population des impacts du changement climatique. »
Si pour la présidente de WECF France Véronique Moreira, plusieurs questions restent en suspens comme l’application et la prise en compte de cette décision de la part des États, la décision de la Cour internationale de justice reste porteuse d’espoirs, notamment sur l’écoute des citoyens. « Pour WECF, c’est très important de faire en sorte que la voix des populations et des citoyens soit prise en compte partout sur la planète dans de telles décisions. »
Cette avancée ne doit pas s’arrêter là. Pour Robin Ehl, la prise en compte de cet avis par l’État français passe par la protection des populations les plus vulnérables tant en France qu’à l’international. « La France a l’obligation de protéger sa population des impacts du changement climatique. C’est aussi pour cela que l’Affaire du Siècle saisit le Conseil d’État. Et la France a aussi l’obligation de réparer les dommages causés par le changement climatique, de permettre aux pays du Sud d’investir dans la transition la protection de leur propre population. Et ça, malheureusement, n’arrive ni à l’international ni en France », regrette-t-il.
Pas de protection sans sensibilisation
En attendant plus d’action du côté des pouvoirs publics, il est important de sensibiliser les populations aux risques climatiques. Dans les communes métropolitaines sujettes aux inondations, 64 % de la population n’a pas conscience d’être exposée à un tel risque, selon le ministère de l’Aménagement du territoire et de la Transition écologique. Ainsi, pour Robin Ehl, « il y a évidemment un gros besoin de sensibilisation de la population. Il y a même un besoin de sensibilisation de certains acteurs publics ».

Notamment sur certains dispositifs d’aide encore méconnus du grand public et donc peu utilisés. C’est le cas du registre communal des personnes vulnérables qui sert à identifier les personnes vulnérables aux vagues de chaleur pour leur communiquer les gestes à mettre en place ou leur proposer de l’aide. « Ce registre n’est utilisé que par 10 % des personnes effectivement vulnérables. Les conséquences pratiques sont absolument dramatiques, puisque c’est grâce au registre que les services d’une commune vont contacter la personne vulnérable régulièrement par téléphone en cas de vague de chaleur pour s’assurer qu’elle va bien. De plus, ils vont éventuellement organiser des visites au domicile et ils vont peut-être aussi transporter la personne vers une salle de rafraîchissement si vraiment ça ne va pas », explique Robin Ehl.
« Il n’y a pas forcément un seul facteur qui soit déterminant pour l’exposition au risque et la vulnérabilité. »
Pour sensibiliser à cette vulnérabilité face au changement climatique, Oxfam France a mis en place l’Adapto’Score. Cet outil de sensibilisation prend la forme d’un test qui, selon les réponses données, donne une idée de la vulnérabilité individuelle. « Cette sensibilisation porte sur deux choses. C’est d’abord une sensibilisation pour montrer que le changement climatique a des impacts énormes dès aujourd’hui. Mais, derrière Adapto’Score, il y a aussi cette vocation de montrer que les personnes ne sont pas impactées de la même manière », détaille Robin Ehl. « Il n’y a pas forcément un seul facteur qui soit déterminant pour l’exposition au risque et la vulnérabilité, car celle-ci dépend du contexte local et du parcours de vie de chaque personne. Ce qui est indiscutable, cependant, c’est que les personnes qui sont déjà fragiles sont en première ligne du changement climatique. »

Certains outils permettent de réaliser notre degré de vulnérabilité face au changement climatique et donnent donc des clés d’action aux particuliers. C’est le cas du site gouvernemental georisques.gouv qui permet de prendre connaissance des risques naturels qui existent près de chez soi. En plus d’informer sur les risques, le site conseille sur la préparation en amont pour réduire sa vulnérabilité face à ces risques et renseigne sur les aides proposées par l’État.
La nécessité d’un engagement collectif
Une fois sensibilisé à ces enjeux, est-il possible d’agir à l’échelle individuelle contre l’injustice climatique ? Pour Véronique Moreira, « l’engagement citoyen est très important. S’engager dans une association, voter, participer à des pétitions… Toutes ces actions correspondent à des formes de l’engagement citoyen qui permet de faire bouger la législation. »
S’il est difficile à l’échelle individuelle de s’attaquer aux inégalités climatiques, c’est le collectif qui apporte la force de le faire. Et de, pourquoi pas mettre assez de pression sur l’État pour le pousser à agir, comme l’espère Cléo Moreno.
« On ne parle plus d’un futur lointain »
Aujourd’hui, agir contre les inégalités climatiques n’est plus en option. « On ne parle plus d’un futur lointain, les catastrophes sont déjà là, elles frappent déjà fort. L’État doit protéger ses citoyens dès maintenant. », met en garde Cléo Moreno.
Vous venez de lire le sixième épisode de la série L’Odyssée bas carbone.
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Pour aller plus loin :
L’outil de sensibilisation de l’Oxfam, Adapto’Score.
L’outil de l’État pour connaître les risques environnementaux près de chez soit : Géorisques

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