Les continents de l’hémisphère Nord voient leurs quantités d’eau de surface disponible se réduire à un rythme sans précédent, ce qui contribue à la hausse du niveau des océans. Sous les effets cumulés d’une utilisation non-durable de la ressource en eau, du changement climatique et de sécheresses plus fréquentes et intenses, les continents se déshydratent. Ces modifications dans les réserves au niveau de l’eau continentale qui touchent autant les eaux de surface (glace, neige, lacs et rivières mais aussi canopée des arbres et humidité du sol), que les eaux souterraines (aquifères et nappes phréatiques), altèrent le cycle de l’eau. L’extraction intensive des eaux souterraines contribue aux deux tiers (68 %) à des pertes en eau douce, l’autre partie (18 %) étant imputable à l’utilisation des eaux superficielles. Le phénomène conduit à l’augmentation du niveau des océans due en partie (44 %) à la déperdition des eaux souterraines en raison de leur surexploitation, en plus de la fonte des glaces et glaciers terrestres.
Cette estimation de la proportion de la hausse du niveau de la mer en fonction des pertes en réserve d’eau terrestre résulte d’une étude au titre explicite Unprecedented continental drying, shrinking freshwater availability, and increasing land contributions to sea level rise (Asséchement continental sans précédent diminution de la disponibilité en eau douce et des continents et augmentation des contributions terrestres à la hausse du niveau des mers), publiée le 25 juillet dans la revue Science Advances.
« Cet article confirme qu’aujourd’hui l’élévation du niveau de la mer est beaucoup plus en lien avec la surexploitation des eaux souterraines qu’avec la fonte accélérée des glaciers et des calottes polaires », explique l’hydrologue française Charlène Descollonges, par ailleurs autrice de l’ouvrage Agir pour l’eau (Tana édition 2024). Elle n’a pas pris part à la recherche publiée dans Science Advances dont elle juge favorablement tant les apports en termes de connaissances sur l’eau que son message.
Moins d’eau douce disponible dans le monde
Les scientifiques de l’université de l’Arizona constatent que « les implications négatives en ce qui concerne la disponibilité en eau douce sont faramineuses. 75 % de la population mondiale vit dans 101 pays qui ont perdu de l’eau douce durant les 22 dernières années. »
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« Cette étude arrive à un moment propice. Comme le rapport du GIEC, elle vient souligner qu’il est urgent de se préoccuper maintenant de la question de l’eau. Ses auteurs ont un ton fort qui permet de remettre la question de la gestion des eaux, notamment souterraines sur le devant de la scène. Or, l’eau est souvent considérée comme un problème de second plan, ce qui conduit à poursuivre son exploitation comme si de rien n’était, sans remettre en cause nos pratiques, en mode business as usal », commente l’hydrologue Charlène Descollonges.
4 régions en voie rapide d’asséchement
De plus, il ressort de ces travaux, réalisés grâce à des observations satellitaires effectuées entre 2002 et 2024, que près de 830 000 km2 de terres s’assèchent chaque année dans le monde, soit une superficie supérieure à celle de la France métropolitaine. Le phénomène, qui, d’après les auteurs de l’étude, s’opère à un « rythme sans précédent » concerne principalement quatre grandes régions de l’hémisphère Nord. Il s’agit du sud-ouest de l’Amérique du Nord et l’Amérique centrale, l’Alaska et le nord du Canada, le Nord de la Russie ainsi que l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. « C’est un fait nouveau de dire que ce sont des pays du Nord qui sont en proie à des sécheresses plus massives que les pays du Sud »., affirme Charlène Descollonges. « Ces régions ne pourront plus continuer à avoir une empreinte-eau démesurée. »

« Il est frappant de mesurer quelles quantités d’eau non renouvelables nous perdons », souligne Hrishikesh A. Chandanpurkar, scientifique à l’université de l’Arizona et co-auteur de l’étude publiée dans Science Advances. Il présente les nappes comme des réservoirs dans lesquels puiser en cas de besoin, par exemple lors des sècheresses. Mais le chercheur déplore surtout le fait qu’on « se dirige vers la banqueroute en ce qui concerne l’eau » puisque même lors des saisons humides on ne permet pas aux réserves d’eau souterraine de se remplir. En effet, avec ses collègues, ils ont mis en lumière le fait que les pertes en eau dans les régions confrontées à un processus de déshydratation ne sont plus compensées par les gains en eau dans les régions plus humides. En clair, les réserves en eau douce de surface et souterraine diminuent.
L’hydrologue Charlène Descollonges rappelle que l’eau extraite des aquifères met du temps à se régénérer, parfois des milliers d’années. L’étude montre ainsi que « le rythme d’extraction est plus rapide que le taux de rechargement des aquifères », ce qui en l’état actuel signifie que la plupart des eaux souterraines employée pour l’irrigation ou d’autres activités humaines sont « irrémédiablement perdues ».
Un appel à agir pour l’eau
« Nos recherches comptent car elles montrent clairement que nous avons un besoin urgent de nouvelles politiques et stratégies de gestion de l’eau souterraine à l’échelle mondiale », selon le chercheur américain Jay Famiglietti. Il ajoute que cela contribuera à la lutte contre le changement climatique : « nous pouvons faire face au dessèchement continental grâce à des mesures régionales et internationales sur les eaux souterraines pour assurer la durabilité de la ressource. Cela aidera à lutter contre la montée du niveau des mers tout en préservant l’eau pour les générations futures », affirme-t-il.
En 2026 se tiendra le Conseil mondial de l’eau qui va rassembler la communauté internationale pour aborder ce sujet et ses enjeux. Les solutions pour répondre aux défis posés par la raréfaction de l’eau de surface et la diminution des stocks présents dans les aquifères existent. Le cycle de l’eau, complexe, implique de travailler à différents niveaux, tant sur le plan spatial que temporel, en fonction des différents états de l’eau, qui sont à la fois un flux et un stock. Bref, il convient de tenir compte à la fois des bassins versants et de la saisonnalité.
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Or, il existe différentes catégories d’eau, qu’elle soit simplement liquide, solide, contenue dans les sols, dans les nappes ou dans les végétaux.
Charlène Descollonges plaide pour une hydrologie régénérative dans laquelle la végétation, par le biais de l’eau verte, joue un rôle majeur dans le cycle de l’eau, en permettant notamment le passage de l’eau des précipitations aux nappes en sous-sol. L’hydrologue détaille le processus pour « favoriser la recharge passive des aquifères par le biais du « recyclage continental de la pluie », un aspect qui n’est pas traité ici dans cette étude mais bien connu par ailleurs. » Il consiste notamment grâce à une couverture végétale diversifiée à ralentir les eaux de pluie et de ruissellement, d’aider à les infiltrer dans les sols et sous-sols par un ensemble de dispositifs et de pratiques à l’échelle des bassins versants.
Charlène Descollonges met en avant la « nécessité d’une véritable sobriété sur l’eau », en particulier sur les prélèvements en eau souterraine. Elle s’envisage à l’aune d’une réflexion pour réduire l’empreinte-eau qui devrait conduire à revoir « les régimes et donc la production alimentaire, ainsi que la production énergétique et industrielle ». L’hydrologue française confie que la situation « risque d’empirer » avec le changement climatique déjà en marche. C’est pourquoi, il faut, selon elle, combiner les efforts de réduction, d’atténuation, mais aussi de sobriété, et miser sur l’hydrologie régénérative. Cette approche doit permettre, grâce à la végétation et son eau verte, de ralentir les eaux de pluie et les aider à infiltrer les nappes souterraines.
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Pour aller plus loin
L’étude (en anglais) dans Science Advances Unprecedented continental drying, shrinking freshwater availability, and increasing land contributions to sea level rise
Le communiqué (en anglais) de l’Université de l’Arizona New global study shows freshwater is disappearing at alarming rates
Agir pour l’eau de Charlène, aux éditions Tana
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