Avons-nous tous un écolo qui sommeille en nous ? Sommes-nous condamnés à regarder la planète brûler sans aucune solution ? À travers la série estivale L’Odyssée bas carbone, GoodPlanet Mag’ questionne les contradictions, les choix et les solutions apportées à la crise écologique. Des nouvelles manières de voyager, du sport à la mode en passant par ceux qui tentent de changer le monde du travail de l’intérieur sans oublier ceux qui sont écolos jusque dans la mort, L’Odyssée bas carbone explore comment, individuellement ou collectivement, des personnes aux profils variés tentent de répondre à leur manière aux enjeux de l’époque.
En 2024, 58 % des Français de 15 ans et plus ont pratiqué une activité sportive régulière selon l’Institut national de la Jeunesse et de l’Éducation Populaire. Le sport, qu’on le regarde ou qu’on le pratique, est ancré dans notre quotidien. Mais les modifications du climat risquent d’en affecter la pratique. Dans un monde à +4 °C, d’après le WWF, on pourrait perdre jusqu’à 66 jours par an de pratique sportive. Alors que l’impact du changement climatique s’observe déjà dans le sport, il ne faut pas oublier que, en dépit d’activités parfois en plein-air, le sport contribue aussi aux émissions de gaz à effet de serre. Entre pratique amateur et sport professionnel, enjeux économiques et bienfaits pour la santé, la crise climatique appelle une mutation du sport. Avez-vous déjà envisagé le sport autrement ?
Comme toute activité humaine, le sport émet des gaz à effet de serre (GES). 80 % des émissions de CO2 imputées à une compétition sportive proviennent du transport, selon l’ADEME. Un sport comme le football émet 64 à 66 millions de tonnes de CO2 par an, d’après le New Weather Institute. Ainsi, à l’échelle mondiale, ce sport, qui a le plus de licenciés en France, émet autant de GES qu’un pays comme l’Autriche. Si la pratique sportive contribue à la crise climatique, elle n’y échappe pas pour autant. « Le réchauffement climatique va intensifier les vagues de chaleur, les sécheresses, les fortes précipitations. Ces phénomènes vont compliquer la pratique sportive, notamment en extérieur », s’inquiète la triathlète Aurélie Martin.
Pas de sport au-dessus de 32°C
Dans un monde où les canicules deviennent de moins en moins rares, la pratique du sport s’avère de plus en plus compliquée. Surtout quand l’on sait que cette dernière est déconseillée à partir de 32°C. « Demain, le sport sera fortement impacté par le réchauffement climatique, c’est certain. Il va devoir s’adapter, mettre en place des mesures de réduction », estime Aurélie Martin.
76 % des athlètes se disent préoccupés par le réchauffement climatique
Face à cette dualité entre acteur et victime du dérèglement, certains athlètes s’engagent pour un sport plus vert. « J’ai hyper conscience de l’impact du sport sur l’environnement. C’est pour ça que je m’investis autant », témoigne Aurélie Martin avant de rappeler que le sport n’est pas seul responsable du réchauffement climatique. « À partir du moment où l’on vit sur cette planète, on a un impact. Toute activité, y compris le sport, augmente cet impact. »

[À lire aussi Régis Mangeot, sportif de haut niveau et végétalien]
C’est en s’engageant pour l’environnement dans sa vie professionnelle, qu’Aurélie Martin réalise l’impact de la discipline qu’elle pratique. La sportive joue alors depuis 15 ans au hockey sur gazon. Elle se souvient des déplacements en minibus en France, des terrains synthétiques qui impliquent un fort besoin d’eau ou encore des équipements qui viennent du Japon. « On dépendait beaucoup d’un modèle de surconsommation. C’est un sport qui n’est pas très viable aujourd’hui ». Aurélie Martin décide alors de s’engager pour aider sa fédération à mettre en place une politique de développement durable. Mais lorsqu’elle comprend que « la fédération ne fait absolument rien pour réduire » l’impact du hockey sur gazon, Aurélie Martin décide d’arrêter ce sport. « Ce n’était pas du tout en phase avec mes valeurs. C’est pour ça que j’ai essayé de me tourner vers d’autres pratiques et d’autres sports plus connectés à la nature qui peuvent avoir un impact plus limité. »
« Je me suis dit que c’était trop bien d’allier sa passion pour le sport et ses convictions environnementales personnelles. »
À 25 ans, Aurélie Martin s’est lancé le défi de parcourir, en triathlon c’est-à-dire en courant, à vélo et à la nage, le massif du Mont Blanc, le massif des Ecrins et le massif de la Vanoise. Les trois massifs alpins concentrent les plus grands glaciers de France. Son but ? Sensibiliser à la préservation des glaciers. « Je me suis dit que c’était trop bien d’allier sa passion pour le sport et ses convictions environnementales personnelles. »

Pour Clothilde Sauvages, la fondatrice du podcast Vent Debout, « il y a un enjeu de repenser politiquement les pratiques qu’on mène ». Clothilde Sauvages décide d’arrêter sa pratique du Wakeboarding (sport nautique dans lequel le sportif sur une planche est tiré par un bateau) en raison de son impact environnemental. « Avec le début de la guerre en Ukraine, à un moment où en France, on se ruait vers les stations essence, où on ne savait pas si on pourrait se chauffer au cours de l’hiver qui arrive, j’ai réalisé que ma discipline implique de cramer du gasoil pour un besoin absolument pas primaire. Réaliser qu’il n’est absolument pas vital a vraiment été le déclic pour arrêter ma pratique. », se souvient la trentenaire. D’après une enquête de World Athletics, en 2022, 76 % des athlètes interrogés lors de quatre championnats du monde d’athlétisme se disent extrêmement ou très préoccupés par le changement climatique.
« Les sportifs ont bon dos »
Face aux enjeux environnementaux, les sportifs doivent-ils tous prendre position ? Pour Aurélie Martin qui cherche, à travers la rédaction d’un mémoire, à savoir si les sportifs de haut niveau ont un rôle à jouer dans la transition écologique du sport, ces derniers ont « un devoir moral d’agir de par le pouvoir qu’ils peuvent avoir » via leur médiatisation notamment. Cependant, pour Clothilde Sauvages, la contradiction se trouve aussi dans les attentes envers ces sportifs. « Je pense qu’il n’y a pas de bon et de mauvais modèle. La manière d’influencer et d’alerter prend différentes formes en tant que sportif. » Elle rappelle que « les sportifs ont une puissance médiatique, mais zéro puissance politique ».

En raison de leur dépendance à l’égard de leurs sponsors, il peut être risqué pour certains sportifs de haut-niveau de prendre position de manière trop « extrême ». « Si leur approche de l’écologie est politique, dans ce cas-là, ils prennent un risque. Parce qu’aujourd’hui, malheureusement, et pas que dans le sport, ces discours-là, vers la convergence des luttes, sont vus comme radicaux et donc sont censurés, voire mis de côté. Vouloir que l’industrie du sport se transforme radicalement veut dire remettre en question des modèles économiques, dont celui de sponsoring. Or, les athlètes, aujourd’hui, dépendent de leurs sponsors. »
« Quel que soit le sport qu’on pratique, en nature ou pas, on aura toujours un impact »
Malgré tout, les deux athlètes ressentent un verdissement du sport. Aurélie Martin est « persuadée que l’engagement des athlètes de haut niveau représente une grosse source d’espoir vers la transition écologique du sport. » Elle observe notamment beaucoup de soutien à son projet Sport Planète de la Maif, il s’agit d’un triathlon pour la préservation des glaciers. Face à ces « débats internes assez particuliers » sur la dualité entre son engagement et l’impact environnemental de son sport, Aurélie Martin essaye de pratiquer le triathlon « de la manière la plus respectueuse possible ». « Quel que soit le sport qu’on pratique, en nature ou pas, on aura toujours un impact, mais je pense que l’essentiel, c’est de faire en sorte qu’il soit le plus simple possible. »

L’équipement sportif, la seconde source d’émissions de gaz à effet de serre
Si les déplacements représentent la plus grande part d’émissions de GES dans le sport, l’équipement n’est pas en reste. Pour reprendre l’exemple du football, les équipements sportifs arrivent en deuxième position avec 19 % des émissions de GES. Le principal impact du matériel sportif sur l’environnement ne survient pas lors de l’utilisation, mais à la production et fin de vie. Pour Madeline Laire-levrier qui fait sa thèse sur la circularité des plastiques provenant des articles de sport et de loisir (ASL) « toute la partie fin de vie des équipements est souvent négligée. Les pratiquants ne se rendent pas compte que leurs équipements sportifs vont avoir un impact environnemental une fois arrivé en fin de vie. » Dans ce contexte, la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire est venue mettre en place une filière à responsabilité élargie des producteurs (REP) pour les ASL pour assurer la gestion des déchets qui en sont issus.
[À lire aussi Le défi du recyclage des plastiques des équipements sportifs]
L’un des défis principaux de cette filière réside dans la diversité des matériaux utilisés. « On a des mélanges de matières, des multicouches, donc forcément, le produit va être plus robuste, mais à la fin, il n’y a aucun désassemblage possible. », explique la chercheuse. C’est pourquoi elle préconise « une éco-conception pour faciliter la fin de vie tout en préservant la durabilité des équipements ». Si cette éco-conception implique des coûts supplémentaires qui peuvent freiner certains producteurs, d’autres agissent déjà, notamment en privilégiant la réinjection de matières recyclées. Les producteurs d’équipements sportifs se penchent plus ou moins sur l’éco-conception en fonction de leur domaine. « Ceux qui ont la meilleure conscience écologique, ce sont les fabricants de produits pour les sports outdoor », précise Madeline Laire-levrier.
« Les pratiquants ne se rendent pas compte que leurs équipements sportifs vont avoir un impact environnemental via leur fin de vie. »
Pour la chercheuse, un autre moyen d’agir sur l’impact des équipements sportifs est « de consommer juste » à travers la location de matériels ou la réutilisation. Mais dans des sports à risque comme l’alpinisme ne vaut-il pas mieux acheter neuf ? Pour Clothilde Sauvages, la seconde main n’est pas la norme. « Dans le sport aujourd’hui, on promeut les outils technologiques qui font en sorte qu’on ait une meilleure performance. Parce que la culture sportive, actuellement, elle est tournée vers ça. » Pourtant, « acheter d’occasion plus facilement » est l’une des raisons qui poussent Aurélie Martin à se tourner vers les sports de montagne comme le trail ou l’alpinisme.

Pour Lauriane Beaunier professeur à l’École des Arts Décoratifs de Paris, « finalement, l’usage des équipements sportifs est hyper social comme question. » L’école finalise cette année la chaire Eco-Design et Création menée sur trois ans en partenariat avec Decathlon. Les étudiants de l’école de design ont travaillé dans une logique d’adaptation des pratiques sur de nouveaux équipements sportifs réduisant les émissions tout en répondant aux nouveaux modes de consommation. « Il y a l’efficacité, les promesses techniques des produits, la question de leur production et la durabilité. C’est la réponse à toutes ces exigences simultanées. Le rôle des designers consiste aussi à éveiller les consciences sur certains points, de faire les meilleurs choix. » poursuit l’enseignante.
À travers cette chaire, l’école s’est notamment penchée sur la question de l’attachement aux équipements sportifs. Un rapport d’Ecologic montre ainsi que 12 % des personnes conservant leurs anciens équipements sportifs inutilisés le font par attachement sentimental. La valeur sentimentale devient alors la troisième raison de stocker du matériel après la volonté de se remettre au sport et l’utilité de remplacement en cas de matériel défectueux.
[À lire aussi Le bilan carbone du football et du rugby en France]
L’équipement sportif a donc sa place dans la décarbonation du sport. Dans son rapport pour la décarbonation du football, le Shift Project préconise comme levier d’adaptation du football amateur à la crise environnementale d’ « allonger la durée de vie des articles de sport » et pour les fabricants, de « décarboner l’électricité consommée par les machines pour transformer les matières premières ». Ainsi, décarboner le sport et l’adapter aux enjeux environnementaux reste tout à fait réalisable.
« Le sport peut être un super levier de transition »
Au fil des épisodes de Vent Debout, Clothilde Sauvages a repris espoir. « Je rencontre des personnes formidables qui questionnent leur pratique et qui réalisent qu’on ne peut plus continuer comme avant, qu’il y a urgence à faire autrement. Elles sont motrices d’action et ouvrent la voie. »
Parmi ces sportifs, on peut citer le collectifs des Climatosportifs dont fait partie Aurélie Martin. Les Climatisportifs, c’est l’histoire de trois amis, Amélie, Matthéo et Younès, qui, en discutant sur leur canapé, décident de créer un collectif de sportifs qui s’engagent pour essayer de changer le sport. Le collectif se base sur deux convictions : « la réduction de l’empreinte environnementale du sport est essentielle et le sport doit faire sa part » et l’idée que le sport peut être un moteur de mobilisation en faveur de la transition écologique.
Le sport comme levier de la transition écologique est la croyance commune à tous les témoins de cet article. Pour Clothilde Sauvages, en étant bien dans son corps et son esprit grâce au sport, on peut trouver la puissance d’agir pour l’environnement. « Dans l’écologie, on parle beaucoup de comment on réinstaure de la joie. Je crois grandement dans la place que les pratiques sportives peuvent avoir pour amener de la joie. Mais, dans ce domaine, beaucoup reste à construire. »
Vous venez de lire le deuxième épisode de la série L’Odyssée bas carbone.
Cet article vous a plu ? Il a été rédigé par un de nos rédacteurs, soutenez-nous en faisant un don ou en le relayant.
L’écologie vous intéresse ? Inscrivez-vous gratuitement à notre newsletter hebdomadaire.

Ecrire un commentaire