Agnès Golfier et Frédéric Pitaval à propos de l’Assemblée populaire du Rhône : « en travaillant avec les habitants, on s’est posé la question de la reconnaissance des droits de la nature »


Arbres au milieu de l'eau près de Taponas, Rhône, France ©Yann Arthus-Bertrand

Pendant deux ans, l’Assemblée Populaire du Rhône, créée par l’association Id-eau, a enquêté le long du bassin versant pour imaginer une nouvelle gouvernance autour du fleuve. Constituée de 25 riveraines et riverains de Suisse et de France, cette Assemblée Populaire constitue une première. Elle a rendu ses conclusions en mars 2024, mais son engagement est loin d’être terminé. Frédéric Pitaval, le directeur d’Id-eau et Agnès Golfier bénévole à l’Assemblée Populaire du Rhône, reviennent pour GoodPlanet sur la genèse du projet et expliquent ses tenants et aboutissants.  

Quel est l’état du Rhône aujourd’hui ?  

Frédéric Pitaval d’Id-eau : On a des difficultés à se rendre compte de la raréfaction de la ressource en eau. Pendant très longtemps, on a eu l’impression que la ressource en eau était inépuisable. On ne s’est jamais vraiment posé beaucoup de questions, ni au niveau de l’industrie, ni au niveau de l’agriculture, ni au niveau même de nos usages domestiques, on ouvrait le robinet tout allait bien. Ce n’est plus le cas, et ce sera de moins en moins le cas. 

[À lire aussi Fabrice Nicolino : « une société mûre, sûre d’elle-même, démocratique, a le droit et le devoir d’exiger une eau de bonne qualité » ]

Le Rhône a été aménagé pour être mis au service de l’État.  Le fleuve a été corseté pour produire de l’énergie. Nous sommes dans un monde ultra-industrialisé où l’on souhaite aller vite, faire beaucoup, en dépit du bon sens, et donc, la pollution est là. Les enjeux sur la qualité de l’eau sont énormes. Le Rhône n’est qu’une représentation de tout ce qui est en train de se passer, en France, en Europe, et dans le monde. La guerre de l’eau n’est plus une menace, c’est une réalité dans beaucoup d’autres territoires. 

Agnès Golfier, bénévole à l’Assemblée populaire du Rhône : J’ai vu récemment, que l’ambassadrice de France en Suisse a, en haut de sa pile de dossiers importants, la négociation de l’accord sur la gestion des eaux du Rhône. Ce qui en dit long sur les enjeux autour de cette gestion transfrontalière. La France a besoin d’eau pour rafraichir ses centrales nucléaires, et dans le même temps, la Suisse a besoin d’eau pour ses barrages. Face à une ressource qui diminue, il va bien falloir négocier. C’est un sujet important de diplomatie et également très actuel. 

Pourquoi plaider en faveur d’une reconnaissance d’une personnalité juridique pour le fleuve Rhône ? 

FP : L’association id-eau a cherché une façon d’agir qui soit bien plus performante que simplement la vulgarisation et la sensibilisation. On voit les limites de la sensibilisation, on s’aperçoit qu’elle ne suffit pas à faire bouger les lignes. 

Puis, en travaillant avec les habitants, on s’est posé la question de la reconnaissance des droits de la nature. 

La reconnaissance juridique du Rhône est-elle suffisante ? 

FP :  Pour nous, ce n’est pas un objectif, c’est uniquement un moyen. Obtenir une personnalité juridique sans changer le mode de vie et de réception dans lequel elle peut s’inscrire ne modifiera pas grand-chose pour le fleuve.  On fait rapidement face à des limites si l’obtention d’une personnalité juridique ne se traduit pas concrètement par des changements dans sa gestion. 

[À lire aussi Christine Jean, biologiste française et lauréate du prix Goldman en 1992 : « Aujourd’hui, militer pour l’environnement ce n’est pas vouloir le chaos, mais rester lucide et toujours se battre à partir de faits scientifiques »]

AG : En termes de quantité et de qualité de l’eau, les situations sont compliquées tout au long du fleuve qui traverse deux pays. Les prélèvements augmentent sur toute la longueur du bassin versant en raison du manque de ressources en eau. Il y a également la pollution aux PFAS. Il y a donc ce sentiment initial qu’il y a besoin d’agir de façon transfrontalière, comme le disait Frédéric.  

En effet, les solutions qui se pensent uniquement à partir d’un endroit, côté suisse ou côté français, sont forcément limitées. C’est seulement en reconnaissant un fleuve dans son entièreté, avec ses droits, qu’on peut faire face à ses problèmes et à ses difficultés. La reconnaissance juridique du fleuve dans un seul pays n’est pas suffisante, ce qui donne un argument supplémentaire afin d’éviter que le Rhône dépende de systèmes juridiques séparés. 

Le Rhône est un fleuve d’Europe, long de 812 kilomètres. Il prend sa source dans le glacier du Rhône, en Suisse, et se jette dans la mer Méditerranée par le delta de Camargue. ©Yann Arthus-Bertrand

Pourquoi avoir créé l’Assemblée Populaire du Rhône ? 

AG : L’Assemblée Populaire du Rhône est une initiative inédite parce qu’elle est initiée par une association. Elle rassemble un collectif d’habitantes et d’habitants riverains suisses et français du Rhône. Ils ont parcouru, étudié, analysé, réfléchi à de nombreux aspects de la vie du fleuve, en lien avec des personnes qui travaillent avec ce dernier, dont notamment la personnalité juridique. Les riveraines et riverains sont tirés au sort, donc sans conditions préalables d’engagement pour les droits de la nature. Leur parole est informée, elle est éclairée, il ne s’agit pas d’une parole d’experts scientifiques.

Ce groupe, avec les boussoles de l’association, s’est pendant six séances réuni, a échangé, est allé aussi au bord de l’eau pour avoir une expérience sensible et donner à la fin une série de recommandations sur ce qu’ils pensent être nécessaires en termes de gouvernance du fleuve.

Qui sont ces panélistes qui ont participé à l’Assemblée Populaire du Rhône ? 

FP : On s’est aperçu que finalement les panellistes avaient tous une curiosité, une sensibilité vis-à-vis de l’environnement. On a eu la chance de disposer d’un panel assez divers avec souvent d’ailleurs des désaccords, mais ils ont été constructifs, puisqu’il a fallu les mettre sur la table et en discuter. 

[À lire aussi La diversité fantôme, nouveau marqueur de l’ampleur des impacts des activités humaines sur la biodiversité végétale]

Pourtant, quand on parle de ce commun qu’est l’eau, on a tous et toutes une bienveillance naturelle à son égard, parce qu’on sait pertinemment qu’elle nous est vitale et essentielle. On s’aperçoit rapidement que les gens sont concernés, soit par la quantité, soit par la qualité de l’eau. Il ne faut pas oublier, que chacun d’entre nous entretient un rapport intime avec cette ressource souvent associée au bien-être, à la détente et au tourisme. 

Quels seraient les constats que vous feriez aujourd’hui ? 

FP : Malheureusement, dans notre volonté de redéfinir un modèle de gouvernance de nos territoires, il faut prendre le temps, alors que l’actualité va plus vite que nous. Néanmoins, il faut garder la tête froide et continuer à avancer, dans la stratégie qui est la nôtre : enquêter, expérimenter, déployer. Ce type de démarche, qui requiert du temps et de la réflexion, n’est pas toujours très simple à faire comprendre, mais on s’aperçoit cependant qu’on a fait des grands progrès.  

AG : J’ajoute aussi qu’on a vu en cinq ans, que le long du bassin versant, il y a d’autres initiatives qui se sont développées avec les mêmes constats. Cela va même bien au-delà du Rhône. Il y a la convention citoyenne sur la Seine, c’est encore autre chose, mais il y a tout ce qui se passe autour de la Garonne. Notre initiative fait partie d’un mouvement plus global qui fait avancer les réflexions sur la prise en compte des cours d’eau. 

Vous parlez de cette gestion transfrontalière du fleuve. Est-ce une difficulté supplémentaire que le Rhône soit en Suisse et en France ? 

FP : Contrairement à ce qu’on pourrait penser de prime abord, c’est une chance. On l’a bien vu pour la Loire ou d’autres fleuves nationaux comme la Garonne, ceux-ci sont engoncés dans un modèle franco-français. Celui-ci empêche de réinventer la vision et la gestion du fleuve. L’avantage des fleuves transnationaux réside dans la nécessité de les penser comme un tout. Or justement, un bassin versant fonctionne comme un véritable organisme. C’est un fonctionnement global. Dans un fonctionnement global, il faut avoir une vision d’ensemble.  

[À lire aussi Une nouvelle étude ouvre la voie à une meilleure régulation des microplastiques dans l’eau potable]

Ce qui n’empêche pas de trouver des solutions localement avec des territoires qui rencontrent les mêmes problématiques. Et après, évidemment, de territoire en territoire, vous construisez une vision globale.  

AG :  C’était une source d’enrichissement aussi, au niveau de l’Assemblée Populaire,  d’avoir des panélistes qui ont grandi dans des systèmes différents de références politiques ou de gouvernance. Cela obligeait à prendre du recul par rapport à ce qu’on peut connaître comme le mode de gestion de l’eau, ou de décisions politiques, et donc à regarder l’échelle fleuve-bassin versant et moins l’échelle décision du département, de la région, du comité de bassins, etc. 

Un dernier mot ?  

AG : On parle d’humains, on parle de personnes qui partent de différents endroits et qui, se retrouvent sur des fondamentaux. En ayant des expériences à la fois sensibles, à la fois intellectuelles, des réflexions et des discussions au sujet du fleuve, elles arrivent à s’accorder sur ce qu’ils voient comme fondamental, ce qui a également transformé leur rapport à l’autre.  

Madeleine Montoriol

Cet article vous a plu ? Il a été rédigé par un de nos rédacteurs, soutenez-nous en faisant un don ou en le relayant.
L’écologie vous intéresse ? Inscrivez-vous 
gratuitement à notre newsletter hebdomadaire.

Pour aller plus loin

Le livret précisant les recommandations de l’Assemblée Populaire du Rhône est téléchargeable en ligne.

Le cadre, les méthodes, le détail des sessions, les recommandations de l’Assemblée Populaire du Rhône sont disponibles en ligne.

Un commentaire

Ecrire un commentaire