En Corse, « l’enfer » des chenilles du bombyx disparate, dévoreuses de 20.000 hectares de forêts

Des chenilles du papillon bombyx s'attaquent au feuillage d'un chêne dans une forêt à Guitera-les-Bains, en Corse, le 11 juin 2025 © AFP Pascal POCHARD-CASABIANCA

Des chenilles du papillon bombyx s'attaquent au feuillage d'un chêne dans une forêt à Guitera-les-Bains, en Corse, le 11 juin 2025 © AFP Pascal POCHARD-CASABIANCA

Guitera-les-Bains (France) (AFP) – Mi-juin, les chenilles du papillon bombyx disparate ont déjà dévoré 20.000 hectares de forêts en Corse. Mais si le phénomène est naturel, c’est un « enfer » dans les villages touchés, comme à Guitera-les-Bains, où rien n’arrête ces envahisseurs et tout semble avoir brûlé.

« Pour les pouvoirs publics, ce n’est pas grave, mais pour nous c’est une catastrophe », confie à l’AFP Jean-Marie Casamarta, 49 ans, propriétaire de la maison d’hôtes « Zella », dans ce village du Taravo, à 50 km d’Ajaccio, réputé pour son eau chaude sulfureuse: « J’ai l’impression d’être dans le Seigneur des Anneaux, quand ils tuent dix orques et qu’il en arrive 100 ! »

Car rien n’y fait: « J’en ai tué des milliers, j’ai balayé, brûlé, noyé, mis de l’insecticide bio et fait venir à deux reprises une société spécialisée, pour un total de 1.700 euros, ce qui a permis de sauver la saison, mais elles reviennent en permanence », explique-t-il.

Isolée dans la forêt, la maison est au cœur de l’exploitation agricole familiale, entre 150 cochons, une fromagerie, des chênes multicentenaires et, partout, des chenilles de quelques centimètres très poilues – « i brughi » en corse -, qui ont métamorphosé les collines boisées, les faisant virer au gris-brun, comme calcinées.

« Je pensais que la vallée avait brûlé, comme il y a 40 ans », a cru Ernest Albucker, apiculteur de 70 ans à la retraite et en vacances en Corse, l’île méditerranéenne la plus boisée avec 550.000 hectares de forêts, soit 58% du territoire, selon l’office national des forêts.

« Les routes sont brunes », tachées par des milliers de chenilles écrasées, témoigne Serkan Aksin, motard gallois de 47 ans venu de Cardiff, surpris par ce paysage monochrome insolite et « l’odeur âcre ».

Si cette invasion est visuellement impressionnante, cela reste un phénomène naturel bien connu dans l’extrême sud de l’île, qui dure de fin avril à juillet, quand les chenilles deviennent papillons, tente de rassurer la préfecture de Corse, précisant que « les cycles de pullulation durent de deux à quatre ans, avec une période de latence de six à 12 ans entre chaque cycle ».

Pas urticant

« Les populations de chenilles vont se réguler naturellement dès la mi-juin », avec « la diminution de ressource alimentaire et l’accroissement des prédateurs, notamment des oiseaux », explique-t-elle, imputant l’ampleur du phénomène « aux fortes températures récentes » et soulignant que s’il « affaiblit nécessairement les arbres touchés » il ne les tue pas.

C’est la deuxième année de pullulation et après 5.000 hectares touchés en 2024, 20.000 hectares déjà ont été affectés cette saison, du Cap corse à la région du Taravo, impactée sur 3.000 hectares, explique à l’AFP Orso Cerati, l’un des six observateurs insulaires pour le département de la santé des forêts (DSF).

« On les entend manger dans les feuillages », souligne cet expert.

« Psychologiquement c’est dur, c’est un combat quotidien et on a perdu de l’activité. Des randonneurs ont annulé », souligne M. Casamarta, « en colère contre les pouvoirs publics. Il y a 25 ans à Porto-Vecchio, ils avaient traité par hélicoptère ».

Contrairement à sa cousine processionnaire, la chenille du bombyx disparate « ne possède pas de poils urticants », note la préfecture, même si plusieurs villageois, dont M. Casamarta, assurent, photos à l’appui, avoir développé des plaques rouges.

« C’est invivable, l’enfer, dès six heures du matin on balaye les terrasses, les façades, il y en a partout, même dans l’insert de la cheminée, on vit enfermé, on n’a pas le choix », confie à l’AFP Juliette Giannotti, factrice de 54 ans, dans sa maison à Guitera: « En 50 ans, je n’ai jamais vu ça ».

« Depuis mi-avril, on est envahi, on ne vit plus dès que le soleil chauffe », renchérit sa fille, Katia Giannotti, aide à domicile de 30 ans, dont un client de 82 ans à Corrano, un village voisin, « ne sort plus de chez lui ».

Dès mi-juillet, les arbres dévorés, principalement les chênes, vont recommencer à faire des feuilles, précise M. Cerati. Mais cela est coûteux en énergie et réduira la production de glands.

© AFP

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