Les sons de la biodiversité recensés pour la première fois dans une base de données internationale

La participation au projet Worldwide Soundscapes dépend de quatre exigences dans la prise de son : "stationnaire", "ambiant", "Passif" et "répliqué dans l’espace et/ou dans le temps". © Steven Van WIlgenburg

La participation au projet Worldwide Soundscapes dépend de quatre exigences dans la prise de son : "stationnaire", "ambiant", "Passif" et "répliqué dans l’espace et/ou dans le temps". © Steven Van WIlgenburg

Début mai, l’INRAE a annoncé la mise en place d’un réseau mondial de chercheurs mutualisant les données sonores sur la biodiversité. Les enregistrements acoustiques passifs de la biodiversité permettent de recenser les espèces sans affecter les écosystèmes.

En travaillant sur la méthode du suivi acoustique passif de la biodiversité en Chine, Kevin Darras, chercheur à l’INRAE, réalise le manque de synthèse sur la méthode, malgré son utilisation par de nombreux chercheurs. Trois ans plus tard, la synthèse du projet Worldwide Soundscapes voit le jour. « Je me suis dit qu’il serait utile d’avoir un aperçu de ce qui se fait au niveau global en termes de suivi acoustique passif », se souvient le chercheur en technologie de développement durable en agriculture.

Le suivi acoustique passif de la biodiversité, un outil de détection des espèces dans les milieux naturels

Mais qu’est-ce que le suivi acoustique passif de la biodiversité ? Non-invasive, cette méthode permet d’écouter l’ensemble des sons émis dans l’environnement, tant dans les milieux terrestres qu’aquatiques. La technique permet de détecter et recenser les espèces vivantes qui utilisent le son pour communiquer ou encore s’orienter.

« l’avantage de la méthode est de pouvoir fonctionner à travers différents groupes d’animaux dans différents écosystèmes terrestres et aquatiques »

Pour Kevin Darras, l’atout du suivi acoustique passif est de n’introduire aucun biais dans les données et de ne pas déranger les animaux. Convaincu de l’intérêt d’une telle approche, le chercheur continue : « l’avantage de la méthode est de pouvoir fonctionner à travers différents groupes d’animaux dans différents écosystèmes terrestres et aquatiques, ce qui reste très rare. La plupart du temps, on a des méthodes spécialisées qui sont dédiées pour chaque groupe d’animaux. En captant des ondes mécaniques, c’est-à-dire le son, on peut couvrir une large gamme d’espèces animales dans une grande diversité de milieux ». L’observation acoustique offre d’autres avantages, notamment comparé à l’observation visuelle. Les outils sonores utilisant moins d’énergie qu’un appareil photo, la méthode du suivi acoustique passif permet un enregistrement de la biodiversité sur le temps long. La surface couverte par les outils sonores est également supérieure à celle des appareils photo.

Une prise de son passive signifie sans surveillance ni dérangement de la biodiversité par le preneur de son © Thomas Sattler
Une prise de son passive signifie sans surveillance ni dérangement de la biodiversité par le preneur de son © Thomas Sattler

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La grande nouveauté du projet Worldwide Soundscapes est l’unification des données terrestres et aquatiques. « Il n’y a pas encore de consortium qui se soit attaché à faire ça. Normalement on est quand même séparés entre les communautés d’écologues terrestres et aquatiques », précise Kevin Darras.

Un jeu de données peu mutualisé

Si l’efficacité de la méthode n’est plus à prouver, encore faut-il être capable de l’exploiter de manière globale. « C’est pour ça qu’on a sorti cette synthèse. C’est pour mettre le point sur « regardez, on est en train d’utiliser les mêmes méthodes et en se mettant ensemble, on peut arriver à donner un aperçu exhaustif global de ces efforts d’échantillonnages de suivi de la biodiversité basé sur le son », s’enthousiasme Kevin Darras.

Récifs coralliens de l’Île de Sesoko au Japon par Tzu-Hao Lin le 06/06/2017

Récolter les données d’observation sonore de la biodiversité à travers le monde a une première utilité au niveau local. « On pourrait le savoir avec cette base de données qui devient une sorte d’annuaire ou de Google Maps des projets de suivi acoustique. Donc, au niveau local, c’est important pour savoir où il y a des lacunes et où est-ce qu’il y a déjà des données », explique le scientifique.

Croiser les données de la biodiversité aquatique et terrestre permet de répondre à diverse question de recherche © Xavier Raick
Croiser les données de la biodiversité aquatique et terrestre permet de répondre à diverse question de recherche © Xavier Raick

Le projet Worldwide Soundscapes a pour vocation de permettre de répondre à diverses questions de recherches universelles tel qu’un potentiel lien entre le déclin de la biodiversité et le changement climatique.

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Le projet Worldwide Soundscapes un colosse de la métadonnée

Pour le moment, cette base de données se contente de métadonnées. En ouvrant la base de données, l’utilisateur n’a pas accès directement aux enregistrements audio, mais à des informations textuelles sur ces derniers.

Le projet Worldwide Soundscapes permet de cartographier les zones sans enregistrement acoustique passif de la biodiversité © Alexander Flecker
Le projet Worldwide Soundscapes permet de cartographier les zones sans enregistrement acoustique passif de la biodiversité © Alexander Flecker

Son utilité première est donc de référencer les différents lieux et sujets de suivis acoustiques à travers le monde. « Ça permet d’éviter les doublons, de découvrir et de réutiliser si elles sont appropriées les données », confie Kevin Darras avant de poursuivre. « Nos métadonnées pointent vers les personnes qui détiennent les enregistrements sonores, mais ne contiennent pas ces enregistrements. Tous les enregistrements qui sont recensés dans notre base font plus de 500 térabytes de données. On n’a pas les moyens, ni mis en place une collaboration internationale, pour héberger toutes ces données-là qui sont encore stockées chez chaque collaborateur. »

« une aventure intéressante »

Le projet Worldwide Soundscapes réunit plus de 350 chercheurs de 57 pays différents. De quoi ajouter aux enjeux de recherches des questions de géopolitique. Kevin Darras se souvient de plusieurs tensions entre chercheurs ou Etats dues à cette collaboration internationale. Le dernier obstacle rencontré par le consortium est celui de l’administration Trump. « On a dû remplacer le terme « changement climatique » dans notre article à la dernière minute à la demande des chercheurs étasuniens qui avaient peur de perdre leur travail à cause des nouvelles directives de l’administration Trump qui leur interdit de faire de la recherche sur le changement climatique. Donc on a appelé ça des transitions climatiques. » Ce projet reste sur la base du volontariat. Loin d’être fini, le projet Worldwide Soundscapes reste « une aventure intéressante » tant du point de vue de la recherche qu’humain, sourit Kevin Darras.

Madeleine Montoriol

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