Alors qu’à l’échelle nationale comme européenne, les réglementations autour des pesticides provoquent d’intenses débats, que sait-on au juste des alternatives à ces produits pour lutter contre les mauvaises herbes ? Tour d’horizon des différentes alternatives existantes
Impossible de prononcer leur nom sans provoquer de vives réactions. Les pesticides sont l’objet de multiples débats, qui peuvent vite devenir passionnels, entre les agriculteurs qui assurent ne pas avoir de solutions alternatives viables, des produits qui perdent souvent en efficacité à mesure qu’ils sont utilisés et des populations soucieuses de préserver leur environnement et leur santé.
Pour répondre à ces inquiétudes, le gouvernement français avait renforcé en 2018 son plan national d’action pour la réduction de l’utilisation des pesticides d’ici 2025 et notamment l’engagement sur une sortie de l’utilisation du glyphosate. Toutefois, en 2024, le gouvernement avait suspendu ce plan en réponse aux protestations du monde agricole. Un nouveau plan national, Stratégie Ecophyto 2030, favorise une nouvelle approche en prévoyant le financement de recherches pour des solutions alternatives aux pesticides les plus dangereux.
Par conséquent, les engagements pris en 2018 concernant la réduction des pesticides et la sortie du glyphosate ont été modifiés, et les objectifs initiaux ne sont plus d’actualité.
Ce produit est utilisé pour faire face à une des bêtes noires des agriculteurs : les mauvaises herbes. Mais pour venir à bout de ces indésirables, le monde agricole dans son ensemble planche également sur des alternatives, plus respectueuses de l’environnement et de la santé. Ce domaine a vu des innovations technologiques significatives ces dernières années. Retour sur la raison d’être des actions anti mauvaises herbes et sur ces nouvelles initiatives.
Qu’appelle-t-on en agriculture une « mauvaise herbe » et un « herbicide » ?
Commençons par un constat : les mauvaises herbes portent sans doute mal leur nom. Ce terme désigne en fait des plantes qui apparaissent spontanément dans les champs cultivés. Elles ne sont pas mauvaises en soit, mais simplement à l’endroit où elle se trouve. Par exemple, le datura (Datura stramonium) comme le coquelicot (Papaver rhoeas) servent de plantes d’ornement dans nos jardins, mais sont toxiques et donc indésirables dans les champs. Le vulpin (Alopecurus myosuroides) et le ray-grass (Lolium perenne L.) ne sont pas toxiques, mais entrent en compétition avec la plante cultivée.

Les scientifiques préfèrent pour cela le terme d’« adventices », qui vient du latin adventicius, signifiant « qui vient de l’extérieur ».
Afin de lutter contre ces plantes invasives, les agriculteurs utilisent souvent des herbicides, soit des substances actives destinées à éliminer les mauvaises herbes. L’une des plus connues du grand public étant le glyphosate. On parle également de « désherbant chimique », car la plupart sont des molécules de synthèse. Un herbicide a vocation à détruire les mauvaises herbes sans affecter le développement de la plante cultivée. Pour cela, on tâche de l’utiliser à un moment stratégique de manière à détruire les adventices sans impacter la croissance les plantes cultivées.
Les herbicides ciblent en général des processus physiologiques et métaboliques de la mauvaise herbe, qui causeront leur mort ou un arrêt de leur développement.
Pourquoi les mauvaises herbes sont considérées comme nuisibles ?
Mais pourquoi essayer de se débarrasser des mauvaises herbes ? La flore adventice pose en fait divers problèmes à l’agriculteur. Directement, elle peut réduire le rendement de la culture en entrant en concurrence dans l’accès aux ressources telles que l’eau et les éléments nutritifs du sol. De plus, en produisant des graines, les adventices peuvent devenir de plus en plus nombreuses d’année en année jusqu’à atteindre un nombre de pieds par mètre carré difficilement contrôlable par l’agriculteur. La nuisibilité peut aussi être indirecte, par exemple en compliquant les conditions de récolte à la moisson et la qualité de cette dernière. Il faudra alors une étape supplémentaire pour éliminer les graines des adventices de la récolte.
Mais l’utilisation répétée d’herbicides peut avoir un effet contre-productif : celui de conduire à la sélection et développement de résistances aux substances actives chez les plantes dont on cherche à se débarrasser. Un peu de la même façon qu’un antibiotique trop utilisé peut générer une antibiorésistance. Par exemple, deux espèces d’adventices dans les champs de céréales d’hiver, le ray-grass et le vulpin des champs, posent actuellement des difficultés de désherbage aux agriculteurs français, car elles sont envahissantes et difficiles à maîtriser avec les herbicides actuels (Figure A).
Mais ces derniers sont aussi controversés pour d’autres raisons.
Pourquoi les herbicides font polémique ?
De fait, l’utilisation de ces herbicides, et plus généralement des pesticides, peut présenter des risques pour la santé humaine, en premier lieu pour les agriculteurs car des expositions prolongées peuvent entraîner des pathologies reconnues comme maladies professionnelles (cancers, infertilité, maladies neurologiques…).
De plus, les herbicides peuvent également avoir un impact négatif sur l’environnement en contaminant les milieux aquatiques et les ressources en eau potable. Cette pollution génère des coûts de dépollution de plus en plus importants pour les acteurs de la gestion de l’eau et les consommateurs.
Les herbicides peuvent aussi impacter divers organismes autres que les adventices visées, tels que les invertébrés du sol, réduisant ainsi la biodiversité dans les espaces cultivés.
Le retrait d’un bon nombre d’herbicides du marché, en raison de leurs effets négatifs sur la santé et l’environnement, a donc poussé les agriculteurs, les conseillers agricoles et les chercheurs à améliorer les usages des herbicides et à trouver des alternatives.
Quelles sont donc ces alternatives aux herbicides ?
Au niveau de l’agriculteur, il existe divers leviers agronomiques pouvant limiter la présence des adventices et donc potentiellement limiter le recours à la lutte chimique. Chaque levier pris isolément est moins efficace que la lutte chimique, mais la combinaison des leviers dans leur ensemble représente une option pertinente pour un désherbage agroécologique.
Le choix de la rotation culturale, c’est-à-dire de la nature des cultures et de leur ordre de succession représente un levier de première importance pour le contrôle des adventices. La répétition trop fréquente des mêmes cultures dans la rotation, avec par exemple exclusivement des cultures d’hiver semées à l’automne, va favoriser les adventices qui présentent des cycles de développement similaires à la plante cultivée. Donc au fur et à mesure des années, la population de ce type d’adventice devient de plus en plus importante. La gestion de l’interculture qui est la période entre deux cultures principales, présente également des opportunités pour contrôler les adventices. Le maintien d’un couvert végétal au sol permet d’éviter de laisser le sol nu, propice au développement des adventices.
Un autre levier d’importance est le travail du sol qui regroupe un ensemble de techniques utilisées depuis longtemps en agriculture. Le labour est ainsi une technique emblématique particulièrement efficace, qui consiste à retourner la couche de terre arable d’un champ cultivé sur une certaine profondeur. Avant de semer la culture, cela permet d’enfouir efficacement les semences d’adventices et d’éviter ainsi leur germination. Pour être plus efficace, il est important de ne labourer que tous les 3 ou 4 ans afin d’éviter que les graines enfouies ne remontent à la surface car les graines peuvent avoir une durée de vie de plusieurs années.
Le désherbage mécanique va lui réduire la quantité d’adventices au champ par une action physique, grâce à des équipements spécifiques. Par exemple, les socs de la bineuse pénètrent dans le sol sectionnant les adventices présentes dans les inter-rangs (zone du champ entre les rangs de semis de la culture). Dans certains cas, comme pour la betterave par exemple, beaucoup d’agriculteurs utilisent déjà cette technique en complément du désherbage chimique. De nombreux systèmes de guidage existent aussi pour positionner ces machines au plus près du rang de culture sans les endommager : guidage manuel, par GPS de précision, par caméra ou autres systèmes de détection par capteurs sont les plus utilisés.
Quelles perspectives en recherche et développement ?
En parallèle des actions de recherche et développement en agroécologie, l’émergence de l’agriculture dite « numérique » observée depuis une dizaine d’années offre des solutions innovantes peu connues du grand public. Cette agriculture repose sur l’utilisation des sciences et technologies du numérique permettant l’acquisition de données (satellites, capteurs, smartphones…), leur transfert, leur stockage des données et leur traitement, notamment grâce à l’intelligence artificielle
Dans ce contexte technologique, divers capteurs ont été développés pour détecter les adventices au champ, aussi bien entre les rangs qu’au sein des rangs, permettant ainsi un désherbage localisé. L’imagerie couplée à l’IA permet de distinguer les adventices de la culture principale et de les éliminer par pulvérisation localisée d’herbicide ou par une action mécanique de travail du sol.
L’utilisation de bioherbicides d’origine végétale représente une autre alternative écologique aux pesticides de synthèse chimique. Actuellement, le seul produit utilisable en grandes cultures est l’acide pélargonique mais d’autres produits sont à l’essai.
On pourrait peut-être envisager dans le futur des bioherbicides d’origine microbienne (bactéries, virus, champignons) qui viendraient impacter spécifiquement l’adventice.
Des recherches scientifiques ont également montré que certains coléoptères, les carabes adultes granivores, étaient capables de se nourrir de graines d’adventices et de réduire le nombre de graines dans un champ mais leur mode d’utilisation au champ n’est pas encore effectif.
La robotique représente aussi un domaine en plein développement pour les productions végétales. Pour exemple, un robot de désherbage autonome est déjà utilisé en France en culture betteravière sur de petites surfaces. Il permet de semer mais surtout de désherber de façon mécanique jusqu’à 6,5 ha par jour, alimenté par un panneau solaire, permettant d’être totalement autonome énergétiquement.

Toutes ces technologies ont de réelles perspectives à court terme. Elles permettront aux agriculteurs de réduire le recours à la lutte chimique, de réduire leur empreinte carbone en réduisant leur consommation d’herbicides et de protéger les nappes phréatiques de la pollution par herbicides. Une meilleure connaissance des espèces adventices et de leur dynamique au champ permettra dans tous les cas de mieux les anticiper et les gérer.
Agriculture : comment lutter contre les mauvaises herbes sans pesticides ? par Pierre-Yves BERNARD, Enseignant-chercheur en Agronomie – Directeur du Collège Agrobiosciences – Associé UR AGHYLE, UniLaSalle; Adrien Gauthier, Enseignant-chercheur en Phytopathologie – Unité de Recherche AGHYLE – Responsable du Parcours Métier Farming for the Future, UniLaSalle et Guillemette Garry, Enseignante chercheure en biologie option phytopathologie, associée à l’Unité de recherche Aghyle, UniLaSalle
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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5 commentaires
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PAT-22
Tous ces herbicides de synthèse sont cancèrigène (dont le glyphosate), mais pour tous ces lobbys de l’agrochimie, la lorts d’un agriculteur, le coût pour la sécurité sociale et la disparition de la biodiversité, c’est rien. Surtout comparé au clientélisme de nos élus et aux dividendes de ces multinationales type Bayer et autres ! Merci à « nos » parlementaires qui renouvellent toutes ces autorisations mortifères !
Pat-22
Francis
Les mauvaises herbes peuvent non seulement réduire le rendement des cultures, mais aussi et surtout l’anéantir purement et simplement, comme cela se voit souvent en bio. La combinaison des leviers agronomiques est bien sûr un moyen de réduire la pression parasitaire autant des adventices que des maladies cryptogamiques. La profession agricole s’est engagée dans cette voie. Le climat intervient beaucoup, c’est plus facile en climat continental. Nos aïeux passaient leur temps au printemps et en été à désherber dans les champs à la main ou avec une bineuse-brouette poussée avec les épaules.. Nos écolos des villes devraient faire des stages de désherbage dans des fermes bio pour se rendre compte du travail que c’est. Cet article ignore un paramètre: les molécules désherbantes sont-elles biodégradables ou pas ? On retrouve le même problème qu’avec les médicaments et tous les produits chimiques: les molécules organo-chlorées, organo-fluorées et organo-bromées ne le sont pas parce que les liaisons inter-atomiques entre le carbone et les halogènes sont extrêmement puissantes. Par contre, les molécules organo-phosphorées et organo-soufrées sont biodégradables, y compris le glyphosate. Interdire ce dernier serait une imbécilité, il est indispensable à l’agroécologie.
arbocas
Les adventices sont des plantes bio-indicatrices. Elles donnent de précieuses informations sur l’état de la terre, ses carences ou au contraire ses saturations. C’est en se penchant sur les études faites qu’il est possible d’agir pour limiter, voire éliminer les plantes gênantes pour les cultures.
Quidamus
NON Francis ! Le glyphosate n’est pas biodégradable, il se désagrège en éléments plus toxiques, comme les PFAS. AUCUN pesticide chimique ou désherbant n’est réellement biodégradable, il se transforme juste en poison. Seuls les bioherbicides d’origine végétale sont réellement dégradables. Et NON tous les écolos ne vivent pas en ville. Les plus « hargneux » sont justement ceux qui vivent en permanence au plus proche de la nature. Mais même un « écolo des villes » qui ne connait pas le travail de désherbage à l’ancienne, sait qu’il ne veut pas de PFAS dans son eau. Il n’y a plus de compromis possible au niveau chimique, dès l’instant où les abeilles sont en perdition, les sols deviennent stériles et l’eau polluée, il n’y a plus à tortiller : ON ARRETE TOUS LES PESTICIDES ET LES HERBICIDES CHIMIQUE ! C’est une question de vie ou de mort.
Il y a des solutions viables qui permettent de se passer de tout ça, sans forcément demander un travail de força. Il y a déjà des milliers d’agriculteurs qui le font dans le monde, avec l’aide d’organismes comme Greenpeace (ou CIWF pour les éleveurs). Il faut juste arrêter d’être les vaches-à-laits des industries agrochimiques, avec la complicité du FNSEA. Les écologistes (les vrais, pas ceux en cartons dans les médias ou au gouvernement) sont les meilleurs alliés des agriculteurs pour le futur du métier, contrairement à ce que le FNSEA ou l’agrochimie essaient de vous faire croire.
Francis
NON, avec un peu de compétence en chimie, on sait que le glyphosate et l’AMPA n’ont rien à voir avec les PFAS. Mais il est vrai qu’ils ne sont biodégradés qu’en conditions biodégradantes, c’est à dire dans les sols vivants riches en champignons saprophytes. Le F de PFAS désigne le fluor, vous pouvez le vérifier sur Wikipédia. Il n’y a pas de fluor dans le glyphosate.
Les adventices sont des plantes bio-indicatrices, c’est exact. On peut et on doit s’en servir. Mais il est illusoire de croire que ça suffit à résoudre tous les problèmes. Les injonctions contradictoires données par les différentes mauvaises herbes rendent fou, d’autant plus que certaines indiquent un sol fertile et profond, comme les chardons. Nos aïeux savaient qu’on ne doit pas planter de pommiers dans les patures où il n’y a pas de chardons parce qu’ils n’y survivent pas. Les plantes, adventices ou cultivées, sont d’abord et avant tout des êtres vivants opportunistes. Quand certaines disparaissent parce que la technique de culture ne leur convient plus , elles sont remplacées par d’autres dont les besoins vitaux sont proches de ceux de la plante cultivée. La biologie et l’écologie sont ces sciences en évolution constante, ce qui est vrai à un moment peut devenir faux 10 ans plus tard quand les être vivants concernés contournent les moyens de lutte utilisés contre eux ou le changement des conditions naturelles. C’est banal avec les microbes et les virus.
Concernant la FNSEA, ce n’est pas un corps monolithique. Elle possède une grande diversité d’adhérents qui sont libres de travailler chez eux comme ils veulent. Sa section bio est le plus grand syndicat d’agriculteurs bio de France.