L’accélération du déclin de la biodiversité risque d’entrainer le franchissement de points de bascule pour de nombreux écosystèmes dans le monde, alerte le rapport Planète Vivante 2024 du Fonds mondial pour la nature (WWF) publié le 10 octobre. Si la tendance actuelle d’érosion de la biodiversité se poursuit, de nombreux points de bascule seront atteints, avec des « conséquences potentiellement catastrophiques » prévient le rapport. Le manque d’action pour la protection du vivant nous rapproche dangereusement de certains points de bascule, seuils de non-retour au sein des écosystèmes. Explications sur ce que sont les points de bascule.
Les points de bascule, bouleversements parfois irréversibles
Les points de bascule marquent un seuil dans la perte du vivant. Les atteintes à la biodiversité sont souvent progressives et leurs effets absorbés par les écosystèmes. Mais les dommages subis s’accumulent avec le temps. Ils finissent par provoquer un changement qui s’« auto-alimente » et dépasse la limite de l’écosystème. Ce changement provoque alors un « bouleversement considérable, souvent brutal et potentiellement irréversible », selon le rapport Planète Vivante 2024, vers un « nouvel état » qui nous est encore inconnu. « C’est ce qu’on appelle un point de bascule. »
Les causes des atteintes à la biodiversité sont multiples. Elles sont le résultat des « pressions individuelles ou combinées » telles que le réchauffement climatique, la dégradation des habitats mais aussi le changement d’affectation des terres.
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Des conséquences multiples à l’échelle mondiale
Les points de bascule pourraient être atteints partout dans le monde. Parmi les plus importants, ceux des écosystèmes de la biosphère, de l’Amazonie ou du Groenland. Si ces derniers sont atteints, les répercussions iront au-delà de l’échelle régionale et affecteront tout le globe, par exemple la bascule de l’Amazonie affectera le cycle du carbone et le climat mondial tandis que la disparition des glaciers du Groenland entrainera une montée du niveau des océans. Leurs conséquences seront globales et frapperont tous les secteurs de nos sociétés.
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Le directeur des programmes biodiversité du WWF France Yann Laurans explique : « on pense que à partir du moment où l’Amazonie aura perdu 25 % de sa surface, elle va basculer dans un autre régime de climat. Aujourd’hui, grâce à sa masse vivante, la forêt amazonienne parvient à générer sa propre pluie. Si on déforeste, elle va moins capter l’eau et donc il y aura moins d’évaporation, donc de pluie et par conséquent moins de forêt. On estime que dès 21 % de perte de surface forestière amazonienne, o pourrait voir une bascule rapide de l’Amazonie vers un écosystème de « type savane» tel qu’il était il y a plusieurs dizaines de milliers d’années. Ce serait une catastrophe pour la région. » Et le monde entier, Car franchir le point de bascule de l’Amazonie libérerait « des tonnes de carbone dans l’atmosphère ». Il perturberait les conditions météorologiques dans tous les pays avec un impact considérable sur les populations. Yann Laurans rappelle que 17 % de la forêt amazonienne ont déjà été perdues.
De même, la disparition des récifs coralliens provoquerait « l’effondrement de la pêche » et réduirait « la protection des côtes », menaçant « les centaines de millions de personnes qui y vivent ».
Des signaux déjà perceptibles
Les points de bascule ne se limitent pas à des projections alarmistes. Au contraire, les symptômes avant-coureurs ne manquent pas. Comme le démontrent les étés de ces dernières années, l’Amérique du Nord est déjà frappée par des sécheresses sans précédent. Elles entraînent des incendies et des mégafeux aux proportions hors-normes, mais aussi des invasions de parasites. Le scolyte, insecte qui a tiré profit de la sécheresse, a ainsi détruit 3,8 milliards d’arbres sur son chemin depuis la fin du 20ème siècle et affaibli la résistance des forêts américaines aux incendies. Dans la grande barrière de corail en Australie, 91% du récif avait déjà blanchi à la fin de l’été 2022. Cette année, ce blanchissement s’est généralisé à une partie jusque-là épargnée du corail avec des conséquences potentiellement irréversibles.
La destruction des écosystèmes a des répercussions mondiales. Ils sont aussi autant d’avantages « perdus à jamais » pour les populations locales, souligne le rapport. Les forêts stockent le carbone, purifient l’eau mais sont également des lieux de loisir ou à dimension spirituelle. Les récifs de coraux, eux, sont essentiels à la pêche, la résistance contre les tempêtes mais aussi au tourisme.
« Tirer la sonnette d’alarme »
Face à l’imminence des points de bascule, le rapport appelle à « tirer la sonnette d’alarme » pour la protection du vivant. « L’extinction d’une espèce est le ‘clap de fin’ d’une histoire que nous racontons, nous », a déclaré Yann Laurans, directeur du pôle Biodiversité terrestre WWF, à la presse, soulignant la responsabilité humaine dans l’érosion du vivant.
En effet, malgré l’urgence, « les points de bascule peuvent encore être évités », affirme le rapport. Si le cadre légal existe déjà pour initier des changements, il reste à mettre en place des « solutions intégrées, du niveau local au niveau mondial ». Les recommandations sont claires et suivent un même mot d’ordre : « le seul moment sûr pour agir, c’est maintenant ».
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