En Allemagne, ressusciter les marais pour combattre le réchauffement

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La scientifique allemande Meline Brendel, spécialisée dans la paludiculture et l'écologie végétale au Greifswald Mire Centre, dans une zone de marais remis en eau à Neukalen près de Malchin, dans le nord-est de l'Allemagne, le 15 juin 2023 © AFP Paul NOLP

Malchin (Allemagne) (AFP) – Perdue au milieu des champs dans le nord de l’Allemagne s’étend une marée de massettes. Ces plantes aquatiques à longue tige signalent la présence de l’un des plus grands marais remis en eau d’Europe.

Cuissardes enfilées jusqu’à la taille et yeux rivés sur son GPS, la biologiste Meline Brendel déambule dans l’eau stagnante entre ces roseaux de deux mètres, là où, il y a quatre ans, s’étalait encore un champ.

Elle plante des piquets et note consciencieusement les niveaux d’eau: « bas », « moyen », « haut ».

La surface de 10 hectares, à deux pas de la petite ville de Malchin, avait été asséchée au fil des siècles pour extraire la tourbe, cultiver des céréales ou élever des animaux, comme 98% des marais en Allemagne, selon le centre de recherche spécialisé Greifswald Moor.

Véritables régulateurs climatiques, les marais retiennent en temps normal le carbone enfermé dans leur tourbe, cet amas de matière organique morte qui s’accumule sous terre.

La nappe d’eau qui recouvre le sol empêche le gaz polluant de s’échapper dans l’air.

« Les marais représentent 3% de la surface de la terre et renferment deux fois plus de CO2 que l’ensemble des forêts. Ils agissent comme des énormes puits de carbone », explique la scientifique.

Redoutables pollueurs

Mais une fois asséchés, les sols, au contact de l’oxygène, libèrent le carbone autrefois prisonnier, et se transforment en redoutables pollueurs.

« Dans la région, les (anciens) marais rejettent ainsi plus de CO2 que l’ensemble des transports », regrette Meline Brendel.

Sur une année, un hectare de marais asséché produit autant de CO2 qu’une voiture qui roulerait 145.000 kilomètres, selon le centre Greifswald Moor.

A Malchin, des tranchées d’eau ont été creusées le long de la surface ré-inondée et des graines de massette ont été plantées. Aujourd’hui, amphibiens, oiseaux, poissons, araignées et insectes ont élu domicile dans le marais renaissant.

La massette, dont la tige est très solide, est coupée chaque hiver. Elle est utilisée notamment comme isolant thermique pour les habitations.

« La paludiculture, c’est l’utilisation des marais », explique Meline Brendel.

« Avec du roseau on peut construire des toits, avec de la massette on peut isoler des maisons », ajoute-t-elle, regrettant que ces solutions en soient toujours au stade de projets pilote.

 Convaincre les agriculteurs

Le gouvernement allemand, qui vise la neutralité climatique en 2045, a lancé l’an passé un plan d’action doté de 4 milliards d’euros afin « d’améliorer l’état général des écosystèmes dans le pays » d’ici 2026, la remise en eau des marais figurant au tête des priorités.

Une loi encourageant les pays de l’UE à agir dans ce sens vient aussi d’être adoptée au parlement européen.

La tâche n’est pas aisée car il faut convaincre les agriculteurs.

En Allemagne, les zones marécageuses, en écrasante partie asséchées, représentent 5% de la surface du pays.

L’idée n’est pas « d’imposer la remise en eau des champs aux agriculteurs », mais de leur faire comprendre que « c’est important pour le climat » et « qu’ils peuvent vivre » de la paludiculture, selon Mme Brendel.

Les obstacles ne manquent toutefois pas, reconnaît la scientifique de 28 ans, puisque ce type d’exploitation n’est pas reconnu et ceux qui la pratiquent n’ont pas droit aux subventions de la culture biologique.

Le Bavarois Lorenz Kratzer a opté il y a vingt ans pour une solution intermédiaire, l’élevage extensif sur marais bas.

Par une chaude journée d’été à Freising, dans le sud de l’Allemagne, une vingtaine de vaches limousines cherchent l’ombre des arbres et buissons qui poussent sur ses terres marécageuses utilisées comme pâturage.

Comme les sols s’assèchent sous l’effet du changement climatique, ce « serait une très bonne chose (…) de +renaturer+ les marais, de les inonder de nouveau », dit cet homme de 64 ans.

« La création de pâturages en fait partie. On voit bien que l’herbe pousse mieux », ajoute-t-il.

L’éleveur vend sa viande bio en circuit court et montre au final qu’allier agriculture et protection des marais est aussi possible.

Retour à Malchin : face au marais reconstitué s’étend un champ où paît un troupeau de vaches sur un sol sec, troué de petites tranchées.

« On ne le voit pas, mais du carbone s’échappe du sol », soupire Mme Brendel, qui dit rêver « d’un monde idéal » où « plus aucun marais ne sera asséché ».

© AFP

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