Pression atmosphérique

Pourquoi certains accords sur l’environnement fonctionnent et d’autres non ?

Pourquoi le Protocole de Montréal a-t-il été un succès et celui de Kyoto, un échec? Ce sont tous deux des traités environnementaux négociés sur ce qui est perçu comme une menace pour l’atmosphère. À Montréal, la menace venait essentiellement des dégâts causés par les chlorofluorocarbures (CFC) dans la couche d’ozone; à Kyoto, elle venait de gaz comme le dioxyde de carbone dont de nombreux scientifiques disent qu’ils sont en train de changer le climat. Les deux traités tentaient donc de s’attaquer à des problèmes qui concernent tous les pays et découlent d’activités présentes dans tous les pays. L’un comme l’autre ont été négociés dans un contexte d’incertitude scientifique. Les connaissances en matière d’appauvrissement de l’ozone étaient incertaines en 1987 lorsque le Protocole de Montréal a été négocié; les incertitudes concernant la science du changement climatique sont considérables.

Pourtant, le Protocole de Montréal semble avoir été un succès. Seuls quelques pays ne l’ont pas signé (comme l’Afghanistan et l’Iraq, qui avaient d’autres préoccupations). L’accumulation d’éléments chimiques nuisibles à la couche d’ozone était au plus haut en 1994 ; elle est maintenant en recul. La couche d’ozone est en train de se reconstituer et la concentration d’ozone dans la stratosphère devrait retrouver un niveau équivalent à celui des années 80 d’ici 2050.

Le protocole de Kyoto, pourtant calqué à dessein sur Montréal, est un vrai gâchis. Il a été ratifié par une centaine de pays, principalement ceux dont les émissions de dioxyde de carbone ne sont pas plafonnées par le protocole. Par contraste, le pays qui émet le plus de CO2, les États-Unis, a refusé de signer. Rien d’étonnant puisque cela aurait impliqué une réduction des émissions de 30 à 35%, sur la base du niveau actuel, d’ici 2008-2012. Aucun gouvernement n’aurait pu faire une telle promesse. Tout semble indiquer que les émissions de CO2 au niveau mondial sont au-delà des cibles de Kyoto et vont le rester encore quelque temps.

Qu’est-ce qui nous attend ?

Professeur d’économie de l’environnement à l’Université Johns Hopkins, Scott Barrett affirme dans son nouveau livre que le fait que les deux traités n’aient pas connu la même fortune met en lumière les raisons pour lesquelles certains accords internationaux fonctionnent et d’autres non. Selon lui, les traités de ce type ne fonctionnent que s’ils prévoient un mécanisme qui assure leur application.

Aucun pays ne veut payer pour protéger l’environnement. Mais tous reconnaissent que si personne ne paie, le résultat global sera bien pire. Donc, chaque pays signataire d’un traité qui fonctionne préfère faire des concessions plutôt que d’accepter les conséquences du « chacun pour soi« . Il n’y a jamais eu autant d’accords environnementaux: sur les 225 actuellement en vigueur, seulement quatre ont été passés avant 1945. Il est donc important de les faire respecter. Puisqu’un traité se négocie entre nations souveraines, il faut qu’il offre aussi des avantages susceptibles de les convaincre de changer d’attitude.

Ces avantages prennent des formes variables. M. Barrett prend comme exemple de réussite l’un des plus vieux accords environnementaux, le Traité International sur les Phoques à fourrure. Ce traité passé entre les quatre principaux pays chasseurs de phoques a été signé en 1911 et a enrayé le rapide déclin qu’une chasse effrénée avait entraîné chez les populations de phoques à fourrure. Il y est parvenu en interdisant la chasse en mer, où les phoques étaient considérés comme propriété commune et soumis à la surexploitation. Depuis, les phoques ne peuvent être tués que sur les territoires nationaux. Les gouvernements ont donc intérêt à les protéger. Cela se solde par un bénéfice global (il y a plus de phoques) qui est réparti de manière à ce que chaque pays en profite, ce qui constitue une motivation pour respecter l’accord. Une telle réussite est difficile à réitérer. Si les bénéfices de la coopération sont importants, il est tentant de faire cavalier seul: de prendre les gains sans payer le coût. Dans une situation où il y a beaucoup à gagner, il est d’autant plus difficile de sanctionner les cavaliers seuls parce que les pays qui eux coopèrent en pâtissent généralement aussi. Dans le cas du Protocole de Montréal, comme dans celui du traité sur les phoques, les signataires ont respecté leurs engagements. Pourquoi? En partie parce qu’il prévoit un mécanisme d’application à la différence de la plupart des traités environnementaux. Les sanctions incluent des sanctions commerciales contre les produits contenant des chloro­fluoro­carbures ou (point plus délicat) dont la fabrication fait intervenir des chlorofluorocarbures.

Plus important encore, les coûts engendrés par l’application du protocole sont relativement bas et les bénéfices tels que la réduction du nombre de cancers de la peau et de cataractes sont énormes. Pour être sûrs d’en profiter, les pays riches ont besoin de la coopération de nombreux pays moins riches. Le traité inclut donc un fonds destiné à aider ces pays à assumer le coût du passage à des technologies sans chlorofluorocarbures. Cette aide contribue à répartir les gains et à réduire les coûts.

Et Kyoto? D’après M. Barrett, l’équilibre entre coûts et bénéfices est beaucoup moins prometteur. Certains pays pourraient bénéficier du changement de climat: l’agriculture au Canada et en Russie (deux gros producteurs de carburants fossiles) pourrait y gagner, même si elle en souffrirait dans les pays tropicaux. Aux États-Unis, on gagnerait fort peu à réduire les émissions de gaz carbonique comparé aux dommages que causerait la concentration de ce gaz dans l’atmosphère si elle était multipliée par deux. La triste vérité, dit M. Barrett, c’est que l’érosion de la couche d’ozone pourrait bien être le problème écologique le plus grave. L’érosion de la couche d’ozone met la vie des gens en danger.

Les études actuelles ne présentent pas le changement climatique comme aussi dangereux. Et les coûts associés à la préservation du climat sont bien supérieurs à ceux engendrés par l’abandon des chlorofluorocarbures. L’économie des politiques afférentes à l’ozone est très différente de celles afférentes au climat.

Il propose une approche alternative basée sur la technologie, pour libérer les normes en vigueur partout dans le monde de la dépendance aux carburants à base de carbone. Une telle politique consisterait à se demander en premier lieu quel comportement adopter plutôt que, comme pour le protocole de Kyoto, prendre en compte l’application après-coup. M. Barrett a peut-être raison. Mais il est plus probable qu’il ne soit pas possible, au moins en l’état actuel des connaissances, de mettre véritablement en œuvre un traité sur le changement climatique. À moins que les gains soient clairement perçus comme supérieurs aux coûts, le monde préférera s’adapter plutôt que de trouver un d’accord.

Atmospheric Pressure

Scott BARRETT

The Economist

17 avril 2003

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